Bonjour,
Je rencontre de grandes difficultés dans la pureté. J’ai pourtant 35 ans et bien que mariée, il m’arrive régulièrement de commettre le péché solitaire. C’était pourtant mon axe d’efforts durant ce Carême et on ne peut pas dire que ça a été une grande réussite jusque là. Je me suis confessée et le voilà déjà assaillie par les tentations. Je veux absolument tenir jusqu’à Pâques mais je me sens si faible que j’ai peur de ne pas tenir jusque là.
Je vous remercie par avance pour vos conseils.
Les réponses sont dans les commentaires
Voir aussi : Comment éviter la masturbation ?
Tisseur
Bonjour Sophie,
En vous lisant, je me disais qu’il y aurait peut-être quelque chose à voir autour de ce que vous appelez votre « très grosse libido ».
La puissance du désir sexuel est bien connue, elle est évidemment bonne puisque voulue par Dieu pour notre bonheur et notre fécondité.
Mais vous décrivez ce désir comme trop fort pour pouvoir être dirigé vers autre chose que des pratiques qui vous plombent.
Dieu a fait de nous des êtres désirants, et il veut que nous le désirions, lui, plus fort que toute autre chose.
L’être humain est doté d’une puissance de désir dont le désir sexuel n’est qu’une partie, c’est donc la totalité de votre désir qu’il faut considérer.
Qu’est-ce que vous désirez profondément dans votre vie ? Avez-vous livré toute votre vie à Dieu ? Quelles sont les réalités fondamentales dans lesquelles vous voulez donner votre amour, votre énergie, votre force intérieure et extérieure ?
Il faudrait peut-être voir si vous pouvez vous impliquer avec force dans des réalités qui vous saisiront de telle manière que votre libido sera moins bruyante.
Voilà des éléments qui me viennent en vous lisant, j’espère que l’une ou l’autre chose vous inspirera.
Sophie D
J’ai du mal à faire le lien entre la libido et l’amour de Dieu. Quand on a faim, on mange et quand on a soif, on boit. L’amour de Dieu va vous aider a supporter temporairement la faim et la soif mais à un moment donné, il faudra bien boire et manger. Pour moi, le désir sexuel, c’est exactement la même chose.
Tisseur
La différence radicale, c’est que l’exercice des facultés génitales n’est pas nécessaire pour vivre. Les moines nous montrent cela. Bien sûr, tout le monde n’est pas appelé au monastère, mais il nous est bon de rappeler que la continence n’est pas réservée aux moines. Elle est pour tous les baptisés non mariés. Et la chasteté, le juste ajustement de l’esprit et du corps, est pour tous.
La libido n’est donc pas à réprimer mais à sublimer, autant que possible.
Combien de saints religieux ont exprimé vivre un désir incandescent de Dieu avec des accents faisant penser à la violence du désir sexuel.
Et les religieux ne sont certes pas des anges sans aucune tentation ! Beaucoup expriment la difficulté qu’ils ont quand ils vivent les tentations de la chair. Et si parfois un prêtre ou un religieux dit que c’est facile de triompher de ces tentations, il ne peut parler qu’en son nom propre !
Le boire et le manger peuvent faire l’objet d’une ascèse mais pas d’une privation totale, pas besoin non plus d’aller jusqu’au curé d’Ars avec ses 5 patates pourries par jour.
L’exercice des facultés génitales, même si c’est difficile, est réservé aux personnes mariées.
Le désir sexuel, offrande précieuse remise entièrement à Dieu, correctement orienté comme doivent l’être tous les désirs, trouve sa place au sein de notre brasier de désir qui nous porte vers Dieu et nos frère humains, pour servir toujours davantage.
Il s’agit une fois de plus de faire de notre vie un don en toutes choses.
Pelostome
Bonjour,
votre commentaire m’a évoqué ce qu’on appelle improprement « la pyramide de Maslow », du fait que vous présentez la nourriture et la boisson comme profondément distincts des besoins sexuels.
Maslow était un scientifique de la première moitié du 20° siècle, qui a étudié les ressorts de motivation en classant les besoins des êtres humains en 5 strates :
• physiologiques : respirer, boire, manger…
• sécurité : avoir un abri, un emploi stable…
• affectifs : amitié, famille, tribu…
• estime de soi : respect des autres, respect par les autres…
• besoins de s’accomplir : dépassement de soi…
Un consultant en gestion a représenté ce classement par une pyramide dont la base est constituée par les besoins physiologiques, et le sommet, par les besoins de s’accomplir. Maslow n’était pas forcément favorable à cela car il avait une vision dynamique des besoins.
Il y a des exemples criants dans le domaine du travail : prétendre valoriser un travailleur au niveau de l’estime de soi sans lui assurer un salaire décent ni une certaine stabilité dans son emploi est une forme de mépris et une erreur grossière ; pour autant, nous sommes entourés d’exemples de personnels soignants, d’enseignants, de policiers, de pompiers, de médecins… travaillant dans des conditions exécrables et pourtant passionnés par leur métier. Et cela n’est pas non plus une raison pour légitimer l’exploitation des personnes au nom d’un idéal.
Un des points que j’avais oubliés, et qui m’interpelle particulièrement : Maslow cite le sexe parmi les besoins physiologiques, et l’intimité sexuelle parmi les besoins affectifs. Ça donne à réfléchir : cela revient à considérer qu’il y a une sexualité animale à laquelle nous sommes soumis en tant qu’animaux, et une sexualité consacrée à laquelle nous sommes appelés en tant qu’êtres humains.
Maslow a été vertement critiqué par l’Église au motif que la vision pyramidale des besoins impliquerait que l’être humain ne peut pas accéder à un besoin plus élaboré si les besoins plus élémentaires ne sont pas satisfaits. J’ai effectué une recherche sur « Maslow vs Église » : parmi les articles que j’ai pu lire, l’un d’entre eux cite un évêque du 19° siècle qui s’insurge contre « la proclamation des droits de l’homme contre les droits de Dieu ». Je pense que l’Église a probablement évolué depuis, et que le Vatican n’est pas en guerre contre l’ONU ; mais c’est assez révélateur de la vision de ces travaux qu’ont les catholiques.
C’est d’autant plus dommageable que la « pyramide de Maslow » est une vision caricaturale de sa pensée. Je ne peux pas imaginer que tous les moines et religieuses qui renoncent au sexe animal et subliment le sexe affectif sont soit des refoulés, soit des malades, soit des hypocrites. Il est clair que certains êtres humains sont suffisamment exceptionnels pour arriver à cela.
Il est clair également qu’il y a une hiérarchie dans les besoins physiologiques entre le temps qu’un être humain peut continuer à vivre sans respirer, sans boire, sans manger, sans dormir ; et également que ne jamais éprouver de plaisir sexuel ne va pas précipiter notre mort physique.
Mais la classification du sexe parmi les besoins physiologiques ne me semble pas absurde car c’est effectivement un besoin naturel ; et plus encore, la distinction entre sexe animal et sexe affectif me semble tout à fait pertinente, et conforme à la vision de Benoît XVI sur l’éros et l’agapè.
Le drame, c’est que l’Église la refuse ; l’Église ne reconnaît le sexe, et tout le sexe, que comme partie intégrante de la sainteté absolue.
Sophie D
Je vous remercie, je pense en effet que la masturbation est un besoin physiologique et qu’elle est nécessaire à un juste équilibre psychologique.
Sophie D
Si les moines parviennent à s’en passer, tant mieux, c’est un sacrifice qu’ils offrent à Dieu et qui est méritoire. Mais concernant le commun des mortel, je ne vois pas en quoi la masturbation constitue-t-elle un péché. Il y a deux choses qui rendent sa privation totale impossible :
– premièrement l’excitation : et en ce qui me concerne elle est particulièrement puissante et difficile à calmer autrement que par la masturbation ou un rapport sexuel (ce qui dans mon cas est compliqué étant donné que mon mari m’a quitté).
– deuxièmement le plaisir : je ne sais pas ce qu’il en est des autres femmes mais mes orgasmes sont vraiment très très intenses. C’est tellement bon de jouir que l’idée de m’en priver m’est insupportable.
Je ne vois pas en quoi le désir sexuel est relié à Dieu. L’Amour de Dieu passe par la Charité, la prière, les sacrifices offerts pour son Amour et surtout l’ardent désir d’être un jour auprès de Lui au Paradis. Se priver de ce plaisir peut en effet nous aider à nous rapprocher de Dieu, comme n’importe quelle autre privation. Mais de là à être condamner à l’Enfer juste parce que l’on s’adonne à la masturbation, je trouve ça un peu fort de café.
Pelostome
Bonjour Sophie,
l’Église peut difficilement nous manifester de la sympathie, bien qu’elle souhaite notre bonheur.
Toutes proportions gardées, son attitude est la même que lors de la Réforme : elle est sincèrement convaincue que nous sommes hérétiques, c’est-à-dire dans l’erreur, et se refuse à nous accorder ne serait-ce que le bénéfice du doute. A l’époque des guerres de religion, les catholiques étaient horrifiés des convictions des protestants, et désolés parce que, selon eux, ils iraient brûler en enfer. Ils souhaitaient simplement les adjurer d’abjurer, mais devant leur refus, les autorités religieuses considéraient qu’elles devaient se résoudre à briser leur corps afin de sauver leur âme.
Bien sûr, nous n’en sommes plus là, mais le principe de base reste le même. Et le principe de l’Église ne lui pose aucun problème car pour elle, le point le plus important est que nous reconnaissions le mal-fondé de la masturbation.
À partir de là, le reste est relativement simple : il s’agit de prendre en horreur l’acte qui vient de nous procurer un plaisir et un sentiment de plénitude aussi intenses. À partir du moment où on a pris la ferme résolution d’aller confesser cette soi-disant horreur, la communion sacramentelle est d’ores et déjà possible.
Bien sûr, il faut tarder le moins possible à se rendre à confesse. Et là, l’étape suivante consiste simplement à regretter de tout son cœur cet extraordinaire feu d’artifice qui nous embrase en entier ; cette étape doit être couplée au désir sincère de se défaire de cette délicieuse habitude qui nous permet, en prenant soin de nous, de mieux aimer les autres.
Que nous soyons faibles, que nous retombions dans ce merveilleux travers, n’a pas grande importance pour l’Église. Je pense que, si nous nous reconnaissons tout simplement incapables de nous en passer, le simple fait de demander à Dieu la grâce miraculeuse d’opérer en nous, sans que nous sachions comment, le changement nécessaire pour ne plus jamais convoquer en nos sens ce big bang céleste, suffit au prêtre pour nous absoudre.
Évidemment, cette simple demande, pour sincère qu’elle soit, ne doit pas nous exonérer d’un minimum d’efforts pour tenter au moins d’espacer nos rechutes, et surtout, ne jamais renoncer à la confession. C’est ainsi que l’Église nous aime : soumis, repentants, inlassablement rongés de remords, et surtout fermes dans la foi et l’obéissance à celui qui connaît mieux que nous nos besoins et nous a dotés d’une sensibilité si magnifique pour la réserver exclusivement à un seul partenaire que nous ne devons jamais abandonner ni tromper, quels que soient les aléas de l’existence et les torts qui pourraient être les siens.
Je crois qu’il y a vraiment des chrétiens qui adorent se sentir ainsi purifiés par la grâce divine après avoir reconnu de tout leur cœur que l’impétueux raz-de-marée d’hormones du plaisir qui les a submergés est une abomination.
L’Église ne nous demande pas grand-chose, au fond : professer l’inverse exact de ce que nous ressentons dans chaque parcelle de notre corps. Un peu comme demander aux protestants de reconnaître la conception virginale. Pourquoi ne le font-ils pas, puisque nous le faisons ?
Le plus dramatique dans cette histoire, c’est que l’Église a dépensé des trésors d’énergie pour actualiser son discours et maudire la masturbation au nom de l’amour entre époux, pour finir, en désespoir de cause, par avouer piteusement que la seule chose qui la gêne, c’est une jouissance sans espoir de procréation. Le vrai crime des humains, c’est de refuser de croître et se multiplier.
Cat-modératrice
Bonjour Pelostome,
Quelques petites remarques par rapport à votre commentaire.
Vous écrivez :
Ils souhaitaient simplement les adjurer d’abjurer, mais devant leur refus, les autorités religieuses considéraient qu’elles devaient se résoudre à briser leur corps afin de sauver leur âme.
Que je sache, les meurtres de protestants par des catholiques n’ont jamais eu pour but de sauver leur âme, puisqu’en mourant en état d’hérésie on pensait qu’ils allaient droit en enfer. Même Thérèse d’Avila croyait qu’ils allaient en enfer et en avait le cœur brisé pour eux. Le but de la destruction des protestants était plutôt d’empêcher leur doctrine de se propager et de « protéger » les catholiques des mauvaises influences.
Vous écrivez :
C’est ainsi que l’Église nous aime : soumis, repentants, inlassablement rongés de remords
L’Église ne veut surtout pas que nous soyons rongés par le remord. Elle veut au contraire que nous vivions dans la paix intérieure et la confiance. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus dit qu’elle ne s’inquiète pas d’être une personne qui retombe sans cesse, au contraire elle s’en réjouit car cela lui permet de rester petite et dans les bras de Dieu. Il est vrai qu’elle ne commettait pas de péchés graves, mais elle précise que ce n’est pas cela l’important :
« Dites bien, ma Mère, que, si j’avais commis tous les crimes possibles j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent. » (Carnet Jaune 711)
Vous écrivez :
un seul partenaire que nous ne devons jamais abandonner ni tromper, quels que soient les aléas de l’existence et les torts qui pourraient être les siens.
Je rappelle juste que l’Église n’interdit pas la séparation quand elle est nécessaire.
Vous écrivez :
Un peu comme demander aux protestants de reconnaître la conception virginale.
Les protestants reconnaissent la conception virginale de Jésus, qui est clairement indiquée dans l’Évangile de Saint Matthieu (1, 18-25). Par contre ils affirment que Marie n’est pas restée vierge après la naissance de Jésus.
Vous écrivez :
Le plus dramatique dans cette histoire, c’est que l’Église a dépensé des trésors d’énergie pour actualiser son discours et maudire la masturbation au nom de l’amour entre époux, pour finir, en désespoir de cause, par avouer piteusement que la seule chose qui la gêne, c’est une jouissance sans espoir de procréation. Le vrai crime des humains, c’est de refuser de croître et se multiplier.
À quoi faites-vous allusion quand vous dites que l’Église maudissait la masturbation au nom de l’amour entre époux ? La masturbation n’est pas condamnée par l’Église en tant qu’obstacle à la procréation. Les célibataires chrétiens qui se masturbent ne concevraient de toute façon pas d’enfant (s’ils vivent vraiment le célibat), et l’Église ne le leur demande pas ; et la masturbation n’empêche pas les couples de concevoir.
Pelostome
Bonjour Cat,
merci pour vos remarques ; elles sont une véritable occasion d’apprendre de mes erreurs et d’approfondir ma réflexion.
J’avais effectivement oublié qu’il y a quelque temps, l’Église considérait que mourir en état de péché était synonyme de damnation perpétuelle. Je ne sais pas si c’est toujours le cas, d’ailleurs.
J’avoue aussi avoir exagéré en écrivant que l’Église nous aime inlassablement rongés de remords. Que la Petite Thérèse se réjouisse de ses péchés reste pour moi un mystère ; j’aurais sans doute dû exprimer que l’Église nous aime prisonniers du péché : en effet, la confession permet d’être pardonné mais pour pécher fatalement à nouveau car l’Église enseigne que nous sommes pécheurs de notre premier à notre dernier souffle (c’est tout le sens de la notion de péché originel).
En écrivant cela je sais que je profère encore une hérésie puisque l’Église prétend nous libérer du péché mais je n’arrive pas à le comprendre. De plus, ma souffrance personnelle est encore plus insupportable : je ne pourrai jamais être pardonné du fait que je ne peux pas regretter un acte qui ne me semble pas fautif.
J’ai également oublié que l’Église ne condamne pas la séparation des ex-amoureux, mais « uniquement » le fait de construire un nouvel amour incluant une nouvelle union charnelle ; et j’ai confondu les vision protestantes sur la conception virginale et la virginité perpétuelle. Mea culpa.
Enfin, le verbe « maudire » est peut-être exagéré mais le Catéchisme de l’Église Catholique condamne bel et bien la masturbation au motif que celle-ci diffère de « la relation sexuelle requise par l’ordre moral, celle qui réalise, dans le contexte d’un amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine » (2352)
« Le sens intégral de la donation mutuelle » « dans le contexte d’un amour vrai », c’est ce que j’ai traduit par « au nom de l’amour entre époux ». Ça ne me semble pas hérétique.
D’autre part, la dimension de la « procréation humaine » fait bien partie de la condamnation énoncée ci-dessus, d’autant plus que, lorsque l’on évoque la masturbation entre époux, c’est le seul reproche qui puisse subsister.
Au final, tout en jurant le contraire, l’Église en revient à l’interprétation populaire du mythe d’Onan : « laisser la semence se perdre à terre ».
Cat-modératrice
Bonjour Pelostome,
À l’heure actuelle, l’Église catholique considère que vont en enfer ceux qui rejettent Dieu volontairement. Cela se traduit par le péché mortel. Un péché mortel est un péché qui nous coupe de la relation avec Dieu, et donc si l’on meurt en état de péché mortel, on va en enfer. Il n’y a pas une liste de péchés mortels, car pour qu’un péché soit mortel, il faut réunir trois conditions :
– Qu’il y ait matière grave. Les péchés graves sont ceux qui se rattachent aux dix commandements (mais tous les péchés en liens avec les dix commandements ne sont pas forcément graves) : renier Dieu, ne pas aller à la messe le dimanche, tuer un être humain sans que ce soit de la légitime défense, tromper son conjoint, calomnier quelqu’un… La masturbation est elle-même considérée comme un péché grave (mais difficilement mortel, je pense).
– Que la personne soit consciente de commettre un péché grave.
– Que la personne agissent librement : qu’il n’y ait pas de contrainte extérieure, de menace, d’addiction ou tout autre raison qui ferait qu’elle n’agit pas vraiment librement.
Donc pour que la masturbation conduise quelqu’un en enfer, il faudrait que la personne ait pleinement conscience d’agir très mal, et qu’elle n’agisse pas par addiction ni par faiblesse humaine. Donc que ce soit une volonté de faire le mal et de se couper de Dieu. Le Catéchisme de l’Église Catholique parle d’« une aversion volontaire de Dieu » (CEC n°1037).
À l’heure actuelle, bien entendu l’Église ne considère plus que les protestants vont droit en enfer, au contraire elle les considère comme des frères chrétiens qui suivent le Christ.
Vous écrivez :
Que la Petite Thérèse se réjouisse de ses péchés reste pour moi un mystère
Ce n’est pas exactement qu’elle se réjouisse de ses péchés, mais elle se réjouit d’être petite et faible, car ça l’aide à être comme un enfant dans sa relation avec Dieu. C’est comme lorsque Jésus dit : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes, qui n’ont pas besoin de repentir. » (Luc 15, 7) Cela ne veut pas dire que c’est une bonne chose de pécher. Les 99 justes qui n’ont pas besoin de repentir sont en fait des pécheurs qui n’ont pas de péché bien visible et qui pensent ne pas avoir besoin de rédemption. Ils ne sont donc pas du tout proches de Dieu, contrairement au pécheur qui se jette dans les bras de Dieu, et contrairement à Marie sans péché qui accepte d’être pleinement dépendante de Dieu.
Sainte Thérèse écrit, par exemple, à sa sœur Céline : « Nous voudrions ne jamais tomber?… Qu’importe, mon Jésus, si je tombe à chaque instant, je vois par là ma faiblesse et c’est pour moi un grand gain… Vous voyez par là ce que je puis faire et maintenant vous serez plus tenté de me porter en vos bras. » (Lettres 89)
Vous écrivez :
j’aurais sans doute dû exprimer que l’Église nous aime prisonniers du péché : en effet, la confession permet d’être pardonné mais pour pécher fatalement à nouveau car l’Église enseigne que nous sommes pécheurs de notre premier à notre dernier souffle (c’est tout le sens de la notion de péché originel).
En écrivant cela je sais que je profère encore une hérésie puisque l’Église prétend nous libérer du péché mais je n’arrive pas à le comprendre.
Avant l’Église, c’est déjà la Bible qui affirme que nous ne sommes pas capables de ne pas retomber dans le péché. Déjà, le Notre Père, qui est la prière des chrétiens, suppose que nous péchons toujours. « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » : nous sommes déjà capables de pardonner à ceux qui nous ont offensés mais nous avons encore besoin d’être pardonnés.
Autre exemple :
Si nous disons : ‘‘Nous n’avons pas de péché’’, nous nous abusons, la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, lui, fidèle et juste, pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité. (1Jean 1, 8-9)
Il est vrai que juste après cette affirmation, Saint Jean écrit :
Petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu’un vient à pécher, nous avons comme avocat auprès du Père Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. (1Jean 2, 1-2)
Un peu plus loin, dans la même lettre, il écrit :
Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché parce que sa semence demeure en lui ; il ne peut pécher, étant né de Dieu. (1Jean 3, 9)
Il écrit enfin :
Petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité. À cela nous saurons que nous sommes de la vérité, et devant lui nous apaiserons notre cœur, si notre cœur venait à nous condamner, car Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît tout. (1Jean 3, 18-20)
Il y a de quoi être désemparés avec ces quatre passages de la même lettre de Saint Jean. Le premier nous dit que nous ne pouvons pas ne pas pécher, le deuxième nous incite à ne pas pécher mais nous rassure au cas où nous pécherions, le troisième nous dit qu’en tant que chrétiens nous ne pouvons pas pécher, le quatrième nous dit que notre cœur peut avoir des raisons de nous condamner mais que Dieu est assez grand pour nous donner la paix malgré la condamnation de notre cœur.
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un manque d’intelligence de Saint Jean, et il ne peut pas ne pas avoir vu ces contradictions. Il veut nous dire quelque chose à travers cela.
Je ne vais pas décrypter les contradictions apparentes de Saint Jean, mais je pense que lorsqu’on dit que Jésus nous libère du péché, cela veut dire deux choses : d’une part, une grâce et une force peuvent nous être données pour ne plus tomber dans le péché. De nombreuses personnes témoignent qu’à travers la confession elles ont été libérées d’un péché, parfois grave, dans lequel elles tombaient toujours. Parfois c’est à travers une seule confession, parfois c’est après des années de confessions.
Il y a de nombreux exemples de saints qui ont cessé de commettre des péchés visibles, mais il y a aussi des saints qui ont continué à pécher, ou qui sont à un moment retombés dans un grave péché. Saint Jérôme est resté colérique. Saint Pierre a renié Jésus. Sainte Clotilde, alors qu’elle avait déjà obtenu la conversion de Clovis et donc la transformation de la France en un royaume catholique, a, par orgueil, accepté la mise à mort de ses petits-enfants.
Donc l’autre façon dont Jésus nous libère du péché n’est pas en nous empêchant de tomber dans tout péché. Mais il nous libère de l’esclavage du péché. Notre attitude envers notre propre péché change. Il s’agit d’un attitude d’humilité, de confiance et d’amour. L’humilité de ne pas avoir peur de reconnaître notre péché, de le confesser, d’en reconnaître notre responsabilité. La confiance qui fait que l’on ne reste pas rongé par le remord, que l’on croit que Dieu nous propose un bonheur plus grand que celui que nous donne ce péché, que l’on ne se décourage pas de se voir retomber éventuellement de nombreuses fois, que l’on peut se réjouir en Dieu même en se sachant pécheur, que l’on n’a pas peur pour son salut éternel car on sait que Jésus ne nous rejettera pas. L’amour qui fait que notre péché ne nous empêche pas de nous donner et d’aimer en vérité. C’est ce que dit Saint Jean, si nous aimons « en acte et en vérité », « nous saurons que nous sommes de la vérité » et Dieu apaisera notre cœur même si nous avons péché. Saint Pierre écrit aussi que « la charité couvre une multitude de péchés. » (1Pierre 4, 8)
Vous écrivez :
De plus, ma souffrance personnelle est encore plus insupportable : je ne pourrai jamais être pardonné du fait que je ne peux pas regretter un acte qui ne me semble pas fautif.
Si votre certitude que la masturbation est bonne est une certitude sincère et sans hypocrisie, votre péché n’est pas du tout le même que s’il vous était égal de faire le mal. Déjà, vous n’êtes pas dans les critères du péché mortel dont je parlais au début, puisque pour commettre un péché mortel il faut avoir conscience de faire le mal. Jésus dit aux Pharisiens : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure. » (Jean 9, 41)
Vous pensez que l’Église se trompe sur la question de la masturbation, et vous pensez qu’il n’est pas légitime d’obéir à l’Église sur les points où elle se trompe. Même si vous avez besoin de conversion, Dieu voit si vous êtes sincère, si vous recherchez la vérité, si vous faites le bien par ailleurs. Dieu n’est pas injuste, comme dit Saint Jean, « Il connaît tout », il sait pourquoi vous pensez et agissez ainsi.
Vous écrivez :
Le Catéchisme de l’Église Catholique condamne bel et bien la masturbation au motif que celle-ci diffère de “la relation sexuelle requise par l’ordre moral, celle qui réalise, dans le contexte d’un amour vrai, le sens intégral de la donation mutuelle et de la procréation humaine” (2352)
« Le sens intégral de la donation mutuelle » « dans le contexte d’un amour vrai », c’est ce que j’ai traduit par « au nom de l’amour entre époux ». Ça ne me semble pas hérétique.
D’autre part, la dimension de la « procréation humaine » fait bien partie de la condamnation énoncée ci-dessus, d’autant plus que, lorsque l’on évoque la masturbation entre époux, c’est le seul reproche qui puisse subsister.
Au final, tout en jurant le contraire, l’Église en revient à l’interprétation populaire du mythe d’Onan : « laisser la semence se perdre à terre ».
Je ne comprenais pas « au nom de l’amour entre époux », car l’Église ne dit pas que la masturbation nuit à l’amour entre époux, encore moins dans le cas de la masturbation des célibataires. En ce qui concerne la procréation humaine, vous aviez écrit « la seule chose qui gêne [l’Église], c’est une jouissance sans espoir de procréation. Le vrai crime des humains, c’est de refuser de croître et se multiplier. » Bien sûr qu’il y a un lien avec la procréation, puisque les relations sexuelles sont considérées comme justes par l’Église quand elles sont ouvertes à la procréation, même si elles restent justes en cas de stérilité ou de ménopause. Mais l’Église ne condamne pas la masturbation en tant que « refus de croire et de se multiplier », la masturbation n’empêche pas les couples d’avoir des enfants par ailleurs, et pour les célibataires qui n’ont pas de relations sexuelles hors mariage, ils ne concevraient de toute façon pas d’enfant. Par ailleurs, l’Église considère comme justes les méthodes de régulation naturelle des naissances, quand elles visent à limiter le nombre d’enfant à ce qui est raisonnable.
En ce qui concerne le crime d’Onan, vous le savez sans doute, il ne s’agissait pas de masturbation mais de contraception. Si vous voulez échanger sur la question de la contraception et des méthodes de régulation naturelle des naissance, j’ai tout récemment répondu à quelqu’un sur le sujet : https://annoncescatho.com/une_question/la-masturbation-dans-le-mariage/
Pelostome
Bonjour Cat,
merci beaucoup pour vos messages de soutien ; ils me font réfléchir et m’apportent un peu d’apaisement. Je me souviens que vous avez déjà développé plusieurs de ces arguments, et qu’à l’époque, ils ne m’avaient pas forcément touché ; mais il y a quelque chose d’assez étrange qui m’est arrivé dernièrement, qui a rendu mon âme disponible à vos avis.
Il y a quelque temps, j’ai entendu parler d’un couple qui s’aime énormément mais qui n’a plus de désir l’un pour l’autre. Ils auraient pu suivre la mode du moment en se séparant tout en restant en bons termes ; ils auraient pu suivre les préceptes de l’Église quitte à sacrifier l’éros sur l’autel de l’agapè pour vieillir ensemble en renonçant pour toujours au plaisir sexuel ; ils auraient pu essayer une thérapie de couple pour tenter de ranimer la flamme du désir entre eux ; ils ont finalement opté pour une dissociation entre l’amour, qu’ils continuent de vivre chaque jour avec une communion qui force l’admiration, et le désir / plaisir, qu’ils choisissent de vivre auprès d’autres partenaires.
J’en ai ressenti deux sentiments opposés. D’un côté, une immense tristesse : si je devais me retrouver confronté à un amour sans désir, ce serait pour moi un terrible aveu d’échec. D’un autre côté, un immense soulagement : je pense qu’effectivement, l’intuition que j’avais de cette usure quasi inéluctable de l’éros face à l’agapè dans de nombreux couples n’est pas qu’une simple vue de l’esprit.
Mais il y a aussi une dualité sur deux intuitions contraires et complémentaires. D’un côté, ce choix suppose une qualité dans la communication et l’attention à l’autre qui fait probablement défaut à la plupart des couples ; ainsi, si ma femme et moi étions confrontés à cette situation, nous éviterions sans doute comme la peste une option aussi radicale. D’un autre côté, il est pour moi extrêmement réconfortant de savoir qu’au nom de l’amour, un couple peut opter pour des solutions qui ne rentrent pas dans la norme moyenne imposée sous le vocable de « morale ».
Vous évoquez la figure de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, blottie en pensée au creux du sein de Jésus dans une attitude toute enfantine.
Pour ma part, depuis bientôt 30 ans, je me sens des affinités avec Jacob, dénommé aussi Israël – « Fort contre Dieu » : révolté par le droit d’aînesse arbitraire accordé à son jumeau, il use de ruse pour le lui dérober ; pour éviter d’être massacré par son frère, il fuit honteusement dans le désert ; il se retrouve polygame contre sa volonté car son oncle l’a marié à sa fille aînée alors qu’il était amoureux de la cadette ; il est contraint de travailler pendant 24 ans au service de son oncle pour gagner simplement le droit d’aimer et d’être aimé ; et lorsqu’il rentre chez lui, il se bat pendant toute une nuit au gué de Yabboq contre un mystérieux inconnu qui lui accordera à l’aube sa bénédiction tout en lui déboîtant la hanche, le laissant handicapé à vie.
Cette figure-là n’est pas celle d’une personne blottie comme un enfant contre Dieu ; c’est celle d’un homme meurtri qui gagne son statut adulte par un combat contre les conventions, contre lui-même, contre les principes religieux de son temps qui aliènent l’homme au lieu de le libérer.
Il est étrange que mon apaisement actuel n’ait pas pu venir uniquement de vos paroles de réconfort ; qu’il ait également été nourri de l’expérience de deux mécréants amoureux qui pourraient en remontrer à bien des couples catholiques ; que cette conjonction des planètes ait suscité en moi une alchimie mystérieuse propre à me faire avancer quelque peu sur ma route.
Vous avez fait votre part ; merci.
Cat-modératrice
Bonjour Pelostome,
Je me réjouis si j’ai pu écrire des choses qui vous ont apporté un apaisement.
Comme vous vous en doutez, je ne pense pas que le couple dont vous parlé ait pris la bonne décision.
Vous comparez Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et Jacob. Pour moi, ces deux attitudes ne sont pas antinomiques. C’est le même Jésus qui a dit : « En vérité je vous le dis : quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant n’y entrera pas. » (Luc 18, 17), et qui a dit : « le Royaume des Cieux souffre violence, et des violents s’en emparent. » (Matthieu 11, 12)
D’abord, Thérèse dit qu’elle veut que Jésus la porte dans ses bras, mais elle ne parle pas de se blottir.
L’attitude de l’Enfant dans les bras de Jésus est d’une plus grande maturité spirituelle que celle du violent. C’est la confiance totale en Jésus qui fait que l’on n’a plus besoin de se battre.
Cat-modératrice
Bonjour Pelostome
En repensant à ce que j’ai écrit, je me dis que c’est très ambigu. Quand je parle de lutte et de violence, j’entends sur le plan spirituel.
Des saints qui vivaient dans l’enfance spirituelle n’ont pas pour autant cessé de se battre pour la justice et pour le bonheur des autres.
Quand on parle de combat de Jacob, il s’agit d’un combat spirituel. Jacob se bat contre Dieu. Cela ne désigne pas un antagonisme envers Dieu mais la volonté de se rapprocher de lui quand on n’est pas encore capable de s’abandonner totalement à lui.
Pelostome
Bonjour Cat,
concernant le couple qui m’a tant touché, à titre personnel, je suis plutôt d’accord avec vous : pour moi, dans un couple, éros et agapè ne devraient pas être séparés. Mais les sacro-saints principes se heurtent souvent à la réalité. Je pense qu’il appartient à chacun de chercher à discerner la solution qui soit la meilleure pour son propre couple, et ce que je considère comme bon pour moi ne l’est pas forcément pour d’autres. Au final, c’est cette prise de conscience de la diversité des situations relationnelles qui m’a procuré un apaisement certain.
Concernant Thérèse de l’Enfant-Jésus, il est vrai qu’elle ne parle pas de se blottir mais de se laisser porter ; j’ai beaucoup de mal avec la petite Thérèse. Je n’arrive pas à me représenter une adulte se laissant porter par un enfant, tout comme le fait de « s’abandonner à (Ses) divins caprices ».
Concernant le personnage de Jacob, je pensais au qualificatif « symbolique » pour désigner son combat nocturne mais « spirituel » est également tout à fait vrai. La vie de Jacob représente un mythe au sens le plus noble du terme ; elle est d’une telle richesse qu’il faudrait sans doute ouvrir un nouveau fil pour l’évoquer.
Pelostome
Bonjour Sophie,
Tisseur écrit : « Le désir sexuel, offrande précieuse remise entièrement à Dieu, correctement orienté comme doivent l’être tous les désirs, trouve sa place au sein de notre brasier de désir qui nous porte vers Dieu et nos frères humains, pour servir toujours davantage ».
Aussi quand vous écrivez : « Je ne vois pas en quoi le désir sexuel est lié à Dieu », la réponse est, en quelque sorte : pour les chrétiens convaincus, tout est lié à Dieu. Pour eux, tout ce que nous faisons : respirer, manger, boire, dormir, aller aux toilettes, faire l’amour, nous mettre en colère (Jésus lui-même s’est mis en colère dans le temple de Jérusalem)… tout doit être orienté vers Dieu et noyé dans un immense élan vers Dieu de tout notre être.
Personnellement, j’ai énormément de mal avec cela. Il faut bien noter que ce qui est appelé « brasier de désir qui nous porte vers Dieu et nos frères humains », c’est la définition même de l’agapè, alors que le sens premier du désir, c’est l’éros. C’est pour cela que je me méfie quelque peu de l’Église : j’ai toujours l’impression qu’elle tente plus ou moins consciemment de confisquer l’éros pour le noyer dans l’agapè.
Je ne sais pas si vous ressentez la même chose. Mais dernièrement j’ai relu votre histoire ; j’y ai trouvé quelques petites similitudes avec la rencontre de Jésus et de la Samaritaine, dans l’Évangile selon Saint Jean.
Au tout début, vous ne parliez que de masturbation, en précisant que votre mari n’était pourtant pas inactif en matière sexuelle. Puis vous avez évoqué un collègue qui cherchait à flirter avec vous, agréable, drôle, attirant ; vous avez fini par fantasmer sur lui et, de peur de succomber, vous vous en êtes ouverte à votre mari.
Celui-ci a alors dévoilé son vrai visage ; selon vos dires, cela ne le gênait pas le moins du monde car cela faisait des années que lui-même vous trompait.
Vous avez alors tout naturellement cédé à votre collègue ; j’ai noté dans vos écrits : « ça faisait bien longtemps que je ne m’étais plus sentie autant aimée » ; concernant votre mari : « Depuis combien d’années n’a-t-il pas pris soin de moi? Montré de la considération? Apporté de la tendresse. C’est peut-être de là, ce manque d’amour, que m’est venue ce besoin de me masturber. », et plus loin : « Depuis hier, je me sens revivre ».
Les mois qui ont suivi ont été extrêmement bousculés. Votre perception de la masturbation a évolué, mais pas votre rapport au fait d’avoir des amants, que vous semblez considérer comme un péché très grave même après votre séparation ; la question a peut-être été éclipsée par vos différentes expériences : est-ce que c’est de là, de ce manque d’amour, que vous est venu ce besoin ?
Il est vrai que, si je vous ai bien lue, ce besoin de masturbation préexistait à votre rencontre avec votre mari. Cela dit, votre histoire a l’air ambivalente. Vous reconnaissez dans l’un de vos écrits : « Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi. À une époque il était tout à moi, se montrait passionné » ; vous aviez écrit aussi que vous étiez catholique traditionaliste et que vous ne vouliez pas avoir trop d’enfants : le message en question était tronqué mais cela laisse penser que vous n’utilisiez comme contraception que les méthodes naturelles. Vous évoquiez aussi de grands accès de colère, vous qualifiant de l’adjectif « infecte » lors de vos colères ; vous pensiez que ces colères pouvaient venir de votre culpabilité à propos de la masturbation. En ce qui concerne votre mari, vous avez employé le verbe « se soulager » pour désigner ses actes sexuels envers vous. Mais se pourrait-il que le cumul de vos stress liés à la contraception, la colère, la culpabilité, l’aient peu à peu amené à nourrir du ressentiment à votre égard, vous délaisser et peut-être systématiser son infidélité ?
Parfois, c’est à se demander si l’Église, à trop vouloir le bien absolu, ne provoque pas elle-même des maux pires…
Dans toute cette confusion, peut-être les chrétiens convaincus n’ont-ils pas totalement tort. Peut-être pouvons-nous, à tout le moins, penser que nous n’avons pas uniquement besoin de plaisir sexuel mais ressentons-nous « un brasier de désir » plus grand : de tendresse, d’attention, de considération. Et que si vous n’aviez pas tout cela, les fantasmes liés à la masturbation pouvaient pallier quelque peu ce manque terrible en imaginant des situations où vous vous sentiez respectée et aimée.
D’une certaine manière, vous avez quelque parenté avec la Samaritaine qui venait inlassablement puiser au puits – parce que le puits, à l’époque de Jésus, était un lieu de rencontre : elle avait été mariée 5 fois, et vivait hors mariage avec un 6° homme ! De combien de tendresse, d’affection et de considération avait-elle été privée pour ne jamais réussir une relation et revenir toujours à son point de départ : le puits ?
Dans une de ses réponses, Cat a écrit : « En tout cas, il est certain que votre mariage n’est pas valide, et que vous pourriez facilement en faire reconnaître la nullité, si un jour vous souhaitez vous marier à l’Église avec un autre homme. » Peut-être un autre homme respectueux, tendre et attentionné serait-il capable de vous faire oublier la masturbation ? Peut-être… l’amour est si complexe et mystérieux !
Cet homme serait un être relativement rare, car toutes vos questions tendent à montrer que vous êtes également en grande recherche de Dieu, et lier spiritualité et sensualité n’est pas forcément donné à tous ; et il faudrait surtout qu’il ait le goût et l’envie de vous rendre heureuse au-delà d’une simple cellule familiale – c’est bête à dire, mais ça commence souvent par le partage des tâches ménagères, et je reconnais humblement que nous avons beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine.
Alors peut-être, votre libido pourrait-elle trouver effectivement sa place au sein d’un désir plus vaste, vers Dieu et les êtres humains. N’est-ce pas justement ce que Jésus est censé révéler à la Samaritaine ?
Je ne sais pas si un tel homme existe ; si vous aurez la chance de le rencontrer (au cas où mes propos pourraient paraître ambigus, je précise que je ne parle absolument pas pour moi).
Je pense à vous ; je ne sais pas si j’ai le droit de dire : « Je prie pour vous ». J’espère en tous cas, que vous aurez un nouvel et bel amour, dans le respect et la recherche de Dieu – et peut-être un vrai mariage cette fois ?
En attendant, je ne peux m’empêcher de blasphémer en pensée ; j’ai le goût de croire que vous pourriez peut-être prier doucement et silencieusement Dieu après vous être masturbée : « Je t’offre ma souffrance, je t’offre mon désir, je t’offre tous mes manques, je t’offre ce magnifique moment de plaisir que j’ai eu l’audace de m’accorder à moi-même, dans la confiance et la foi qu’un jour, peut-être, tu m’offriras la grâce de reconnaître celui qui sera en mesure de combler mon élan charnel et spirituel ».
Sophie D
Bonjour Pelostome,
En effet, j’ai beaucoup évolué au sujet de la masturbation. J’ai grandi avec l’abjection de cet acte ancré en moi de par mon éducation. Si bien que pendant très longtemps, je ne me suis jamais masturbée. Et je n’en ressentais pas le besoin non plus. Et un beau jour, sans que je ne sache pourquoi, j’en ai eu très très très envie et je l’ai fait. A partir de là, il s’est passé deux choses : d’un côté la découverte d’un plaisir incroyable, et de l’autre une véritable torture de l’âme car je ne voulais pas me couper de Dieu. Et donc un tiraillement constant entre les deux, j’étais prisonnière de quelque chose que je ne maitrisais pas. Quelques temps après, j’ai connu mon premier rapport sexuel. Bien évidemment, ce n’était pas prémédité, j’ai simplement succombé aux charmes d’un garçon qui me plaisait beaucoup, dans un moment où j’ai complétement perdu le contrôle des choses. Ça a duré quelques mois mais j’ai mis fin à cette relation car j’avais trop de culpabilité.
Et puis quelques années après, j’ai rencontré mon futur mari. Et c’est vrai qu’il était très tendre à l’époque, très intentionné. Nous voulions attendre le mariage mais nous n’y sommes pas parvenus, l’attrait de la chair était trop fort pour lui, comme pour moi. Nos premières années de mariage étaient magnifiques, mais j’étais toujours rongée par cette culpabilité du fait de ne pas parvenir à me passer de la masturbation. Je pensais, sans doute naïvement, qu’étant mariée je n’éprouverais plus cet attrait. Mon mari était pourtant plutôt doué (j’ai hélas à présent des éléments de comparaison). Et donc, cette espèce de lutte intérieure dont je sortais très souvent vaincue m’a rendu irascible. Et ça a certainement contribué à la longue à éloigner mon mari de moi. Donc je ne pense pas qu’un autre mari puisse me faire oublier la masturbation.
La masturbation m’a hélas éloignée de Dieu en raison de la torture intérieur qu’elle m’infligeait. Je me suis rebellée plusieurs fois et me suis laissé aller à un tas d’expérimentations interdites un peu par colère et par dépit aussi. Les choses sont en réalité plutôt floues dans mon esprit par rapport à tout cela et je me sens souvent perdue. Peut-être que sans cet interdit, je n’aurais pas perdu mon mari ni collectionné les amants. Ou peut-être que le diable m’aurait piégé par un autre chemin. Je n’en sais rien au fait, je suis dans un questionnement, un cheminement. J’ai eu de très nombreuses discussions avec de très nombreuses personnes. Je n’ai pas encore trouvé les réponses et peut-être ne les trouverais-je jamais. Mais si déjà je pouvais y voir un peu plus clair…
Pelostome
Bonjour Sophie,
tout d’abord, je vois que je me suis fourvoyé : même si vous viviez une histoire d’amour avec un être qui vous corresponde, vous ne pouvez pas envisager de renoncer à la masturbation. Et puis, j’ai relu vos anciens échanges : même si votre caractère colérique a peut-être pu plus ou moins éloigner votre mari de vous, vous avez écrit qu’il vous était infidèle déjà à l’époque de vos fiançailles, ce qui signifie que même avec un amour aussi beau qu’était le vôtre au départ, il ne pouvait ou sans doute ne voulait pas renoncer à la pluralité. Je vous présente mes excuses pour ces erreurs d’appréciation.
Pour ce qui est de la masturbation, je pense que la question est très complexe car elle touche à des domaines intimes, différents et entrelacés ; on peut en citer trois principaux : l’instinct de procréation, le plaisir et l’amour.
En ce qui concerne l’espèce humaine, l’instinct de procréation est soutenu par un plaisir incomparable ; et celui-ci, comme le note Benoît XVI dans « Deus Caritas est », évolue naturellement vers l’amour de l’autre : on souhaite d’abord prendre son plaisir, puis le partager avec l’autre, ensuite on souhaite donner du plaisir à l’autre, enfin on désire son bonheur. C’est ahurissant, quand on y pense : rendre l’autre heureux nous rend heureux.
C’est quelque chose d’exceptionnel ; mais il y a un fait assez étonnant : pour l’Église, ça ne doit pas être exceptionnel, ça doit être obligatoire. Les trois dimensions : procréation, plaisir, amour ne doivent jamais être séparées. Un peu comme si tous les chanteurs du monde devaient absolument être auteurs-compositeurs-interprètes de toutes leurs œuvres.
La réalité est plus complexe. Dans la vraie vie, il arrive que des partenaires prennent du plaisir ensemble sans éprouver un amour absolu qui les engage pour chaque seconde de leur vie pendant toute leur existence. Il arrive, c’est quand même dingue, que les femmes ont tremblé pendant des millénaires de prendre du plaisir parce qu’en cas d’« accident », elles « portaient » tout : le bébé dans leur ventre, le poids du déshonneur, l’éducation de l’enfant et les innombrables tâches ménagères (dans le cadre du mariage, on leur faisait juste grâce du déshonneur) ; et que quand elles ont eu la possibilité de jouir sans trembler grâce à la contraception, elles n’ont pas fait la fine bouche. L’Église, dominée depuis autant de millénaires par des hommes, a sans doute mal estimé ce poids phénoménal qui pesait sur leurs épaules – et pèse à peine moins lourd aujourd’hui.
La masturbation cumule les deux « crimes » : d’abord, elle ne se soucie pas du bonheur de l’autre, elle s’arrête à son propre plaisir. Et puis, même si elle s’en défend, l’Église condamne aussi le fait que la masturbation ferme la porte à la procréation. Si ce n’était pas le cas, on voit mal pourquoi elle interdit la masturbation entre époux ; entre époux, la masturbation est expression d’amour.
La masturbation pose la question qui fâche : avons-nous le droit au plaisir pour le plaisir ? Je ne demande pas : avons-nous le droit de ne penser qu’à nous, uniquement, à chaque fois que nous prenons du plaisir ? Je demande : avons-nous le droit, à certains moments, d’unir inextricablement amour, plaisir et procréation, et à d’autres, de dissocier plaisir et amour, amour et procréation, plaisir et procréation ?
L’Église répond clairement : « non ; si vous n’êtes pas capable de tout faire à la fois, restez célibataire et continent ». Ce genre de principe absolu fait forcément des dégâts. C’est peut-être, sinon la cause principale, au moins l’une des causes de votre sentiment de culpabilité. Je peux me tromper encore, mais j’ai l’impression que vous êtes plus victime que coupable. Et vous aimez Dieu. Vous ne voulez pas le peiner ; mais est-il plus peiné de votre plaisir ou de votre tristesse ?
Le plus dramatique, je pense, c’est que nous ne souhaitons pas seulement ne pas peiner Dieu : nous ne voulons pas non plus peiner l’Église ; sinon, nous ne soucierions pas de son avis. Nous lui demandons simplement de ne pas nous torturer ; mais elle-même n’en a aucune intention : elle veut simplement que nous déclarions criminelle une pratique qui n’apporte objectivement aucun dommage ni à nous, ni aux autres, et nous procure un plaisir inexprimable.
D’où vient cet interdit ? Peut-être d’une époque où le sperme était considéré comme la force vitale de l’homme : laisser échapper son sperme, c’était comme laisser échapper son sang, c’était perdre sa puissance, perdre le contrôle de sa volonté, perdre sa virilité. Là encore, il y a une injustice criante : les femmes sont victimes collatérales d’une « criminalisation » visant les hommes.
Cela nous renvoie à deux de vos premières questions sur ce fil : « pourquoi est-ce si agréable? Pourquoi est-ce interdit? »
Je pense que nous pouvons considérer que ce qui est agréable, c’est l’orgasme. Pour l’Église, il n’y a pas de mystère : l’orgasme a été créé par Dieu, c’est pourquoi il est bon. Et il se trouve que l’orgasme obtenu par masturbation n’est pas forcément moins bon que celui partagé en couple ; c’est un fait. Si Dieu est tout-puissant, il aurait pu hiérarchiser les orgasmes et faire en sorte que les orgasmes solitaires ou sans pénétration soient moins agréables que ceux issus d’un coït ; mais ce n’est pas le cas.
La question « Pourquoi est-ce interdit ? » ne renvoie donc peut-être pas à la volonté divine, mais à la volonté humaine. Avec deux pistes possibles : historiquement, l’antique croyance selon laquelle l’éjaculation masculine hors du sexe féminin entraînait une perte de sa virilité ; et actuellement, la doctrine de l’Église « criminalisant » le plaisir sans amour et sans possibilité de procréation.
Une remarque me vient à l’esprit en relisant votre dernier message : vous écrivez « Peut-être que sans cet interdit, je n’aurais pas perdu mon mari ni collectionné les amants » ; c’est possible ; mais malheureusement, si j’en crois vos écrits, cela n’aurait pas empêché votre mari de vous tromper… Et vous l’auriez probablement quitté le jour où vous l’auriez démasqué, sauf si vous aviez trouvé la force du pardon, ce qui n’est pas facile.
Cela ne répondra sans doute pas à toutes vos questions ni à toutes vos attentes. Moi-même, je suis perpétuellement en plein doute et en recherche ; peut-être un jour, qui sait ? Reviendrai-je apporter un témoignage différent sur ce site ?
Pour l’instant, mon témoignage rejoint le vôtre : une continence trop longue finit par m’apporter frustration, déprime et colère. Lorsque cela arrive, j’essaie de ne pas trop l’exprimer pour éviter que cela fasse souffrir mon épouse ; par contre, moi, ça me fait souffrir. Et je ne pense pas que ce soit la volonté de Dieu.
Sophie D
La vérité, c’est que j’avais déjà perdu ma virginité lorsque j’ai rencontré mon mari. Ensuite, au cours des 3 premières années de nos fiançailles (nous le sommes restés 4 ans), nous avions très souvent des gestes très très intimes l’un envers l’autre, gestes interdits avant le mariage et qui me faisaient me mettre en colère, le remords me rongeant. Peut-être que sans cela, il ne serait pas allé voir ailleurs. La dernière année, nous faisions carrément l’amour et j’étais d’ailleurs la plus demandeuse des deux, n’en pouvant plus d’attendre. Mais ça n’a pas pour autant amélioré mon humeur, d’autant que j’avais également mes problèmes de masturbation qui me hantaient. Je ne sais pas à quel point il m’a trompé, combien de fois c’est arrivé, avec quelle fréquence, ni s’il me trompait au cours de notre dernière année de fiançailles. Etant loin d’être toute blanche moi-même, j’aurai pu passer l’éponge (en fonction bien sûr de la gravité de la tromperie) et comprendre sa faiblesse, moi-même étant en proie aux miennes, à savoir ne pas parvenir à me priver de jouissance charnelle, seule ou à deux.