Temps de lecture estimé : 6 mn

Benoît XVI avec des jeunes

Hors des pessimistes systématiques, la foi dans le progrès alimente un certain optimisme sur l’avenir du monde. Les problèmes seront résolus par la technologie

C’est une attitude commune chez les chercheurs, les scientifiques et les ingénieurs qui voient de leurs yeux ces progrès.

Je vois deux types d’optimismes. le premier type l’optimisme irrationnel ou idéologique. Selon cet optimisme, le monde serait en progrès perpétuel depuis le « siècle des Lumières ». Certes, des reculs temporaires et localisés pourraient être constatés, mais globalement le monde va de mieux en mieux et ce progrès ne peut que continuer. Cette manière de penser est irrationnelle puisque les preuves manquent pour affirmer que le mouvement va continuer de manière certaine. Sans preuve, la raison est absente.

L’optimisme rationnel

J’appelle le deuxième type l’optimisme rationnel. C’est un optimisme prudent, qui observe le passé avec attention et honnêteté. Si l’on constate des progrès importants dans un domaine précis sur une longue durée, avec des reculs limités, et une situation présente solidement établie, alors on peut raisonnablement penser que, sauf grosse surprise, ce progrès va continuer. Il y a donc lieu d’être raisonnablement optimiste dans ce domaine.

Par exemple, il est indéniable que beaucoup de maladies parmi les plus mortelles ont été éradiquées ou sont en voie de l’être. Donc, tout en étant conscient et en acceptant qu’une nouvelle maladie peut tout remettre en cause, il est probable, au vu de la situation actuelle, que le progrès va continuer.

Cet optimisme est stimulant sans être utopique.

Ce deuxième type d’optimisme, avec beaucoup de prudence, est compatible avec la foi chrétienne, car il reste humble contrairement au premier type. Il se fonde sur des faits qu’il est prêt à discuter et à remettre en cause honnêtement. Il sait qu’il peut être remis en cause à tout moment et même disparaître.

L’optimisme idéologique

Le premier type est une forme de croyance. En effet, la question pour lui n’est pas de savoir s’il est vrai ou faux, mais d’imposer comme postulat que « le progrès est le sens de l’histoire ».

Ne reposant que sur des éléments hautement discutables, il ne peut mener qu’au désespoir car il sera forcément déçu.

Non, tout ne va pas aller de mieux en mieux dans tous les domaines.

Non, le paradis ne va pas advenir sur cette terre.

C’est une fausse promesse que cette croyance, et c’est la garantie du malheur si on y adhère sans discernement.

L’espérance

Par contre, l’espérance chrétienne est une espérance totalement réaliste.

C’est l’optimisme de la grâce.

Contrairement à l’optimisme historique, quel que soit son type, elle s’ancre ici et maintenant dans la mort et la résurrection de Jésus.

La Parole de Dieu, la Bible, nous montre que Dieu n’est jamais absent, même dans les situations historiques désespérées.

Trois exemples nous donneront un éclairage sur l’espérance chrétienne.

Le prophète Jérémie

Un très bon exemple est le prophète Jérémie, qui apparaît comme l’anti-optimiste par excellence, le pessimisme personnifié, lui qui donne leur nom aux fameuses « jérémiades », entrées dans la langue française.

À son époque, au VIe siècle avant notre ère, les Babyloniens menacent toute la région, Mésopotamie, Palestine et Égypte, et vu leur force militaire, il est à vue humaine très peu probable qu’ils ne conquièrent pas tous les petits royaumes, dont Israël.

Mais l’élite de l’armée, des nobles, des prêtres et des prophètes refusent absolument de voir la situation en face et veulent à tout prix croire que Dieu va intervenir matériellement en faveur d’Israël, en empêchant l’invasion.

Le Dieu qu’ils adorent est une idole comme celles des autres nations, un dieu qui fait ce qu’on lui dit de faire.

De faux prophètes entretiennent l’élite dans cet aveuglement, proclamant : « Ainsi parle le Seigneur des Armées, le Dieu d’Israël. J’ai brisé le joug du roi de Babylone ! » (Livre de Jérémie, 28, 2)

Voilà l’optimisme idéologique à l’œuvre.

C’est la tête dans le sable qu’il croit avancer, refusant l’évidence.

Jérémie, au contraire, en vrai prophète, annonce que l’impiété d’Israël va avoir pour conséquence la domination babylonienne :

« Ainsi parle le Dieu d’Israël : la nation ou le royaume qui ne servira pas Nabuchodonosor, roi de Babylone, et n’offrira pas sa nuque au joug du roi de Babylone, c’est par l’épée, la famine et la peste que je visiterai cette nation jusqu’à ce que je l’aie achevée par sa main. Et vous, n’écoutez pas vos prophètes, devins, songe-creux, enchanteurs et magiciens qui vous disent : « Vous ne serez pas asservis au roi de Babylone ! » C’est le mensonge qu’ils vous prophétisent. »

Ici nous voyons que la vérité éclate et détruit l’illusion de l’optimisme béat.

Ce qui est vrai ici, c’est que le roi de Babylone régnera sur Israël après l’avoir détruite.

Ce qui faux, c’est que Dieu va sauver Israël de la destruction, comme veulent le croire à tout prix les chefs.

Le « pessimiste » Jérémie a gagné, les « optimistes » ont perdu.

Mais c’est à Babylone que le peuple, réduit et opprimé, va vivre comme un nouveau temps au désert, où Dieu va pouvoir lui parler au cœur et renouer l’alliance avec lui.

Ce sera donc un temps d’espérance contre toute espérance.

Jérémie n’est pas un prophète fixé dans un message de malheur.
Il est fixé dans sa mission de vrai prophète, et donc il parle d’espérance aux déportés à Babylone, après la catastrophe de la destruction de Jérusalem et la déportation.

« Ainsi parle le Seigneur : quand seront accomplis les soixante-dix ans à Babylone, je vous visiterai et je réaliserai pour vous ma promesse de bonheur en vous ramenant ici.

Car je sais, moi, les desseins que je forme pour vous, desseins de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. » 1

Voilà une espérance fondée sur Dieu, pas sur autre chose, et surtout pas sur un optimisme fondé sur les raisonnements humains, si subtiles soient-ils.

Le livre de l’Apocalypse

« Apocalypse » est la translittération directe du mot signifiant « révélation » en grec.

Ce livre révèle surtout des éléments sur l’époque où il a été écrit. Il révèle aussi des éléments sur la fin du temps, la venue de Jésus en gloire.

Dans ce livre, les hommes ne cessent de renouveler la tentative de Babel, l’établissement du bien-être absolu par leurs propres forces.

Mais tout est bâti sur le mensonge et Dieu ne veut pas que l’homme s’illusionne jusqu’au bout.

Voici le message fondamental : malgré toutes les horreurs, l’histoire humaine ne disparaîtra pas dans l’autodestruction. Même après tous les désastres de l’histoire, Dieu est là, présent et agissant. La mort n’aura pas le dernier mot.

« Heureux les malheureux »

L’espérance énoncée par Jésus est paradoxale.

La deuxième béatitude semble contradictoire dans les termes.

« Heureux les affligés », qu’on pourrait très bien traduire par « Heureux les malheureux ».

On peut voir cette béatitude énigmatique au présent et au futur.

Au présent, Dieu est particulièrement présent aux côté de celui qui souffre et qui est malheureux.

Jésus descend vers lui avec la guérison que lui seul peut donner. Il est le refuge des accablés, lui qui a connu par sa Croix et sa douloureuse Passion le fond des abîmes de l’existence humaine.

La proximité de Dieu avec le pauvre et le malheureux est constamment présente du début à la fin de la Bible. Il faudrait un livre entier pour répertorier tous les passages bibliques où Dieu se révèle comme proche de son peuple et de chaque être humain.

Au futur, Dieu se révèle comme celui qui veut nous « donner un avenir et une espérance » comme le dit Jérémie. Dieu nous fait grandir en lui, quels que soient les adversités de notre existence, et ultimement, il nous dira : « Viens, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Maître. »2

Oui, notre existence ne sera pas forcément plus facile dans le futur que dans le présent. Oui, on voit par exemple dans la vie de saint Louis Martin, père de sainte Thérèse, que la fin de sa vie a été marquée par la maladie psychiatrique.

Et pourtant c’est bien ainsi que Dieu a permis qu’il achève son chemin vers la sainteté.

Le paradoxe est celui-ci : plus nous avons l’impression d’être dépouillés et souvent affligés, plus notre espérance d’être « comme Dieu », configurés à Jésus, se réalise 3.

L’apôtre Paul nous donne un merveilleux résumé de ce paradoxe :

« …encore que l’homme extérieur en nous s’en aille en ruines, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » (2 Corinthiens 4, 16)

Paul et tous les saints nous poussent à espérer la venue de Jésus dans notre vie, ici et maintenant.

Beaucoup croient que l’espérance est un doux rêve d’une existence moins dure, ou alors seulement l’espérance de la vie après la mort.

Mais Jésus veut nous entraîner dans l’espérance au quotidien, l’espérance qu’il vit et agit avec nous et en nous.

Notre espérance, c’est que Jésus veut tisser avec chacun de nous une relation d’amitié particulière, bienveillante, brûlante, qui nous sauve.

Nous espérons sans arrêt en cette proximité d’amour, même si nous ne la sentons pas toujours, mais si c’est parfois comme de nuit.

Ne cessons pas de contempler la croix de Jésus pour renouveler notre certitude qu’il nous sauve d’une existence morne ou décevante, notre espérance qu’il tient parole quand il nous dit : « Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28, 20)

Cet article est très largement inspiré d’une méditation du cardinal Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, dans le livre « Regarder le Christ », Fayard, 1989.

1 On ne sait pas quand Jérémie écrit sa lettre, on ne sait donc pas s’il reste beaucoup de temps avant les 70 ans ou pas, donc y en aura-t-il beaucoup en âge de rentrer ou pas, ce n’est pas la question ici.

2 Les personnes en situation de péché grave doivent se convertir de tout leur cœur avant de pouvoir entendre cette invitation merveilleuse.

3 Là aussi, il faut que le péché grave soit éliminé de notre vie.

Voir aussi :
La surdité vaincue, un miracle de la science et un don de Dieu
Dans les prisons philippines, à la découverte de l’espérance
Le monde a besoin de témoins qui voient le bien
Le docteur de la confiance
La fin du monde ou la fin d’un monde ?
La Transfiguration de Jésus, lumière dans nos ténèbres

Retour au blog Saint Jean-Paul II