Temps de lecture estimé : 8 min
Article d’approfondissement
Troisième partie : Voici l’Épouse de Dieu qui porte la honte du monde…
afin de révéler que rien ne peut définitivement rompre l’Alliance
Le livre d’Ézéchiel retrace, à partir du chapitre 16, une période de l’histoire d’Israël personnifié en une très belle femme dont Dieu s’est épris. Dieu a perçu sa beauté à travers sa pauvreté et ses souillures, lui a rendu sa dignité et en a fait sa reine. Mais l’Épouse s’est enorgueillie de sa beauté et s’est détournée de l’Époux pour chercher le bonheur auprès des puissants de la terre et auprès de faux dieux.
Dans plusieurs des textes bibliques de consolation où Dieu guérit de la honte par l’union à Lui, il est dit que « l’on ne se souviendra plus du passé », « Tu n’auras plus à rougir ». Par ailleurs, le fait de ne pas sentir de honte et de ne pas rougir du mal est aussi décrit comme un symptôme grave, de ceux qui se sont complètement cachés dans les ténèbres, qui ne souffrent plus aucunement du mal qu’ils font.
Mais un texte d’Ézéchiel a une particularité :
Car ainsi parle le Seigneur. J’agirai envers toi comme tu as agi, toi qui a méprisé le serment jusqu’à violer une alliance. Mais moi, je me souviendrai de mon alliance avec toi au temps de ta jeunesse et j’établirai en ta faveur une alliance éternelle. Et toi, tu te souviendras de ta conduite et tu en rougiras, quand tu accueilleras tes sœurs, les aînées avec les cadettes, et que je te les donnerai pour filles, sans que j’y sois tenu par mon alliance avec toi. Car c’est moi qui rétablirai mon alliance avec toi, et tu sauras que je suis le Seigneur, afin que tu te souviennes et que tu sois saisie de honte et que, dans ta confusion, tu sois réduite au silence, quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait, oracle du Seigneur1.
Ici il est demandé à Jérusalem, figure par excellence de l’Épouse dans l’Ancien Testament, de se souvenir de ses péchés et d’en rougir au moment même où est rétablie l’alliance, d’être saisie de honte et couverte de confusion au moment même ou elle est pardonnée. De même un peu plus loin (Ez 23), il est exigé d’Oholiba (Jérusalem) de porter elle-même le poids de ses péchés, symbolisés par la prostitution. Cette figure de Jérusalem est aussi une figure de l’âme de chaque chrétien, car chaque chrétien, homme ou femme, a pour vocation d’être épouse de l’Époux. Certains grands mystiques, comme saint Jean de la Croix, parlent de leur âme au féminin quand ils expriment combien ils aspirent à cette union avec Jésus.
Les humiliations sont souvent nécessaires pour permettre la conversion et l’accueil de la Miséricorde pour soi-même. La honte dont parle ce texte est issue de la découverte profonde de l’amour de Dieu, du bonheur de vivre une communion nouvelle avec Lui et avec ceux dont la conversion est le fruit de cette communion. C’est une honte douloureuse et mystérieusement consolatrice. Mais ici ces exigences éprouvantes ont des conséquences inattendues :
Tu as multiplié bien plus qu’elles tes abominations. En commettant autant d’abominations, tu as justifié tes sœurs. Mais toi, porte le déshonneur dont tu as innocenté tes sœurs : à cause des péchés par lesquels tu t’es rendue bien plus odieuse qu’elles, elles sont plus justes que toi. Toi donc, sois dans la honte et porte ton déshonneur, tout en justifiant tes sœurs.
Je les rétablirai. Je rétablirai Sodome et ses filles, je rétablirai Samarie et ses filles, puis je te rétablirai au milieu d’elles, afin que tu portes ton déshonneur et que tu rougisses de tout ce que tu as fait, pour leur consolation. Tes sœurs, Sodome et ses filles, seront rétablies en leur état ancien ; Samarie et ses filles seront rétablies en leur état ancien. Toi et tes filles, vous serez rétablies en votre état ancien. De Sodome, ta sœur, n’as-tu pas fait des gorges chaudes, au jour de ton orgueil, avant que ne fût découverte ta nudité ? Comme elle, tu es maintenant l’objet de la raillerie des filles d’Édom et de toutes celles d’alentour, des filles des Philistins, qui t’accablent de leur mépris, tout autour de toi. Ton infamie et tes abominations, c’est toi qui t’en es chargée, oracle du Seigneur.
Car ainsi parle le Seigneur. J’agirai envers toi comme tu as agi, toi qui a méprisé le serment jusqu’à violer une alliance. Mais moi, je me souviendrai de mon alliance avec toi au temps de ta jeunesse et j’établirai en ta faveur une alliance éternelle. Et toi, tu te souviendras de ta conduite et tu en rougiras, quand tu accueilleras tes sœurs, les aînées avec les cadettes, et que je te les donnerai pour filles, sans que j’y sois tenu par mon alliance avec toi. Car c’est moi qui rétablirai mon alliance avec toi, et tu sauras que je suis le Seigneur, afin que tu te souviennes et que tu sois saisie de honte et que, dans ta confusion, tu sois réduite au silence, quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait, oracle du Seigneur2.
Cette façon de se charger de la culpabilité du péché pour justifier d’autres pécheurs ne fait-elle pas penser à la coupe qu’a accepté de boire le Christ, et à la façon dont Il s’est identifié à notre péché pour notre justification ?
La descente aux enfers
Mystérieusement, le Sacrifice du Christ est allé encore plus loin que la douleur physique et l’humiliation visible du jugement et de la Croix. Mystérieusement, Jésus s’est réellement fait péché3, son identification au péché est allée très loin, jusqu’à se sentir pécheur et abondonné, jusqu’à être dans l’angoisse de tous les péchés dont le Père lui demandait compte, jusqu’à descendre en enfer, le Samedi Saint, en assumant les conséquences de la rupture totale avec Dieu, sans pour autant être anesthésié par l’indifférence. Jésus est descendu jusqu’au plus profond des ténèbres, pour rejoindre ceux qui s’y cachaient ne voulant pas affronter leur propre honte. Il a purifié de son regard de lumière ceux qui attendaient d’être épousés dans leur misère. Par sa connaissance des profondeurs de l’homme, le Juste a consolé ceux qui n’espéraient plus de communion, ni avec d’autres êtres humains ni avec Dieu4.
Ainsi, aujourd’hui, les serviteurs de l’Époux sont appelés à s’unir à cette mission de rédemption.
On peut se sentir Judas comme Judas se sent Judas.
On peut se sentir Judas comme Jésus se sent Judas,
c’est-à-dire comme l’agneau qui porte le péché,
par grâce, par terrible grâce5.
Jérusalem, l’Épouse par qui doivent être bénies toutes les nations de la terre, est appelée à participer à cette descente aux enfers. Les amis de l’Époux qui désirent introduire dans l’union nuptiale leurs frères les plus brisés par leurs propres péchés, les plus vendus, instrumentalisés, abandonnés, méprisés… ne peuvent pas devenir messagers de l’amour du Christ sans communier à cette humiliation et à cet anéantissement, pour témoigner en leur propre chair que rien ne peut définitivement rompre l’Alliance.
« Sois dans la honte et porte ton déshonneur, tout en justifiant tes sœurs ». Cette mission de co-rédemption exige de nous une attitude spirituelle particulière par rapport à notre propre péché, à notre propre faiblesse, à nos propres humiliations.
Qui déduirait de ce qui suit qu’il faut se complaire dans le péché ou chercher l’humiliation dans le but d’être source de consolation pour nos frères et sœurs, serait en contradiction totale avec l’esprit de ce texte.
Nous ne savons pas ce que Dieu veut nous faire porter de la honte de nos frères, ni de quelle manière Il veut nous le faire porter. Nous devons nous efforcer de garder un cœur disponible, et la conscience de la nature de cette mission peut nous aider à donner sens à tout ce qui semble non-sens, à nous réjouir en chaque humiliation, qu’elle soit l’humiliation de notre péché, de nos handicaps, l’humiliation d’un rejet ou d’un jugement injuste, ou même nous réjouir, par amour, des blessures qui nous atteignent au plus profond, dans notre soif de communion, que ce soit dû à notre faute ou que ce soit dû à une injustice, qui nous est peut-être accordée « par grâce, par terrible grâce ».
Bien sûr, cette attitude d’accueil amoureux de la réalité, et même de la réalité de notre péché, ne peut qu’être reçue de Dieu. On ne peut jamais y parvenir par sa seule volonté. C’est une transformation que Dieu accomplit en nous et au cours de laquelle nous sommes aussi appelés à la patience envers nous-mêmes. Pour que Dieu nous ouvre à cette attitude spirituelle, il faut le lui demander.
« Je te rétablirai au milieu d’elles, afin que tu portes ton déshonneur et que tu rougisses de tout ce que tu as fait, pour leur consolation. » Nous sommes peut-être appelés à porter le péché de nos frères par le fait d’assumer et d’accepter par amour pour eux notre propre péché, d’accepter de rougir de ce que nous avons fait, en restant au milieu d’eux, plutôt que d’aller à notre tour nous cacher. En allant de l’avant tout en recevant le pardon. Il nous faut mendier la grâce d’être en toute chose fidèle, par amour, fidèle jusqu’à se laisser relever par Dieu de nos infidélités. Se laisser réconcilier avec Dieu, à chaque pas, en tant que membre de l’Église et au nom de tous les hommes, est au cœur du témoignage demandé à l’Église6.
Cette identification au péché de notre peuple nous permettra de poser sur nos frères le regard de lumière et d’amour qui pourra les ouvrir à l’union avec le Bien-Aimé.
Peut importe en fait que nous soyons coupable ou innocent de ce péché dont nous portons les conséquences. « Je ne me juge pas moi-même7 ». Ce qui compte c’est de tenir dans la foi, même quand nous disons « Les ténèbres m’écrasent8 ! », par amour pour nos frères. Ce qui compte c’est d’unir notre cœur au Cœur miséricordieux de Jésus. De toute façon, le péché que nous n’avons pas commis, c’est par grâce que nous y avons échappé. Nous sommes tous tellement dépendants les uns des autres, nous portons une responsabilité dans le péché de tous.
Dieu veut-il donc notre malheur pour que nous soyons source de consolation pour les autres ? Bien sûr que non ! Celui qui accepte d’accueillir la honte de son propre péché, ou qui accepte d’accueillir les souffrances incompréhensibles de sa vie en les offrant pour la consolation des pécheurs qui ne connaissent pas Dieu, pour les aider à comprendre combien ils sont aimés même dans leur péché, les aider à prendre conscience de leur dignité… celui-là est une vraie Épouse pour le Christ, et au cœur de sa souffrance, il peut recevoir la vraie consolation et être introduit dans le vrai bonheur.
Lire la première partie : Une Épouse sainte et immaculée ?
Lire la deuxième partie : Un mariage qui libère de la peur de la lumière
Retour au blog Saint Jean-Paul II
1. Ez 16, 59-63.
2. Ez 16, 51b-63.
3. Cf. 2Co 5, 21.
4. Cf. Is 53, 11-12.
5. Père Thierry de Roucy, Jésus aime Judas, 1995.
6. Cf. Madeleine Delbrêl :
« La résistance au mal. Une même épreuve apostolique est le lot de tout apostolat. Dans l’apostolat missionnaire, cette épreuve est plus brutale ; elle a surtout une forme inconnue. La mission, c’est le contact de l’amour de Dieu et du refus du monde. Le chrétien est traversé par l’un et par l’autre qui se rencontrent en lui. Il ne peut pas ne pas en souffrir comme d’une tentation vivante. Mais cette épreuve est participation à l’épreuve apostolique de l’Église ; l’Église est armée pour la surmonter ; l’Église a la force qui peut résister et triompher. » Caractéristiques d’une paroisse missionnaire, in Nous autres gens des rues, p. 203.
7. 1Co 4, 3.
8. Ps 138, 11.
Laisser un commentaire