Le 4 février 2010, mon mari et moi avions assisté à une soirée sur le thème « Génération Solidaire : réinventons, entreprenons ! », à l’occasion du passage à Paris du Pr. Muhammad Yunus, inventeur du microcrédit, fondateur de la Grameen Bank et Prix Nobel de la Paix 2006.

Plusieurs autre intervenants étaient présents : Franck Riboud (Président Directeur Général du Groupe Danone), Martin Hirsch (alors haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté), Wim Wenders et quelques autres personnalités.

Nous avions été très déçus par la façon dont a été mené le débat, par des journalistes qui pensaient peut-être avoir de l’humour, mais qui restaient accrochés à leur préjugés, sans vraiment écouter les intervenants, et en perdant un temps fou en paroles inutiles.

Les débats étaient basés sur des « micro-trottoirs » prenant l’avis d’étudiants, et nous étions invités à poser nos questions par SMS. Bien entendu, seul un petit nombre de SMS a été sélectionné.

Dans tout ça, Muhammad Yunus, sans lequel la salle du Grand Rex n’aurait jamais été ainsi comble, a eu très peu l’occasion de s’exprimer. Heureusement que les quelques phrases que nous avons entendues de lui compensaient en densité la superficialité des autres échanges (Frank Riboud a eu aussi quelques paroles pertinentes).

Je ne sais pas comment avaient été sélectionnés les interventions des étudiants du « micro-trottoir » et les questions envoyées par SMS, mais le thème de la « révolte » était omniprésent. Un jeune sélectionné pour témoigner sur le plateau d’une action caritative entreprise pour aider des sans-abri, avait lui aussi déclaré que « la révolte est le moteur de l’action ».

Quand M. Yunus a répondu au SMS : « À notre âge, étiez-vous révolté comme nous ? », il a parlé de sa souffrance et de celle de son pays à l’époque. Nulle révolte dans ses propos, mais un profond désir de secourir son prochain. Un immense désir de « sauver » son pays. Muhammad s’est assez vite rendu compte qu’il ne pourrait pas changer son pays. Alors, il décida de commencer par une seule région ! Mais la situation était si dramatique qu’il se rendit vite compte qu’il ne pourrait rien faire pour une région entière, mais peut-être pourrait-il guérir la misère d’un village ? Impuissant devant la profondeur de la misère d’un seul village, Yunus décida d’aider une seule personne, puis une autre, puis une autre… Et c’est ainsi qu’il commença à transformer le monde ! Un autre « envoyeur » de SMS le soupçonna d’idéalisme. Je retranscris à peu près sa réponse : « Pourquoi dites-vous que je suis idéaliste, puisque ça marche ? Les gens profitent vraiment de l’argent qui leur est prêté, et nous remboursent ! Nous n’exigeons de personne d’y croire ni de se joindre à nous, tout ce que nous demandons c’est que l’on ne nous ferme pas les portes pour agir. N’y croyez pas si vous voulez, mais n’empêchez pas ceux qui le veulent de vivre cette expérience ! »

Le prix nobel de la paix Muhammad Yunus n’était pas mu par la révolte devant l’injustice de ce que subissait son peuple, mais il a laissé toucher son cœur. La douleur de son cœur devant toutes ces situations dramatiques a été pour lui un moteur que rien n’a pu arrêter.

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