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Comme promis, voici la suite du dernier compte-rendu de mission de Séverine Dubois. Séverine nous avait déjà parlé des visites de son équipe dans les prisons de Manille (Cf. Dans les prisons philippines, à la découverte de l’espérance). Voici le récit d’une autre amitié vécue dans l’une de ces prisons.
Une fois par mois, nous nous rendons à Muntinlupa, la prison de Haute Sécurité. Les prisonniers y sont condamnés à des peines majeures, voire pour un grand nombre, à la prison à vie.
Lors d’une précédente lettre, j’ai voulu partager la sainteté de nos amis qui y vivent. Avec JM, les choses sont différentes. Il s’agit d’un malfrat ayant déjà passé vingt-sept années de sa vie en prison avec à charge contre lui, quatorze chefs d’accusation. Pas la peine de les nommer… mais pour être condamné à la prison à vie, vous pouvez imaginer… Et pourtant, en le rencontrant la première fois, nous avons perçu immédiatement en lui, à la fois ce côté noir d’une certaine façon, une froideur face au crime, au mal. Et à côté, cette humanité, cet homme presque normal.
La rencontre avec cet homme a transformé mon regard sur ce lieu. Ce Sicilien d’origine, ayant grandi en Suisse, n’a pas sa langue dans sa poche, ce qui contraste énormément avec la pudeur de nos amis Philippins. « Je continue ici les activités que j’avais à l’extérieur. Ils voudraient que j’arrête, ça les emmerde bien, mais que veux-tu, ils ne peuvent pas me mettre en taule, j’y suis déjà. Je leur dis : Libérez-moi ! ». Il a cette franchise surprenante, car il avoue sans problème : « Je n’ai aucun regret pour les personnes que j’ai tuées… ».
Il me semble paradoxalement bon et attentif. Lors d’une très longue discussion avec lui, il a eu notamment deux très belles remarques. S’inquiétant de la montée d’un certain islam, il me demandait de quel côté nous serons, nous catholiques, quand dans vingt ans il y aura une guerre de religion. Et puis, avant même de me laisser balbutier une réponse, il m’a de lui-même dit : « C’est vrai qu’opposer la violence à la violence ne sert à rien — lui pour qui tuer ne semble pas un gros problème — mais je crois qu’opposer autant d’amour qu’il y a de haine est ce qu’il faut. Il faut opposer l’amour à la haine. Le problème, c’est que vous êtes trop peu nombreux. » Et un peu plus tard, il a ajouté : « Te voir me redonne espoir, je vois que l’humanité a encore un cœur ».
Drogue, meurtre… mais une capacité dans des instants de lucidité, à chercher le bien, à s’inquiéter pour moi, pour nous. Dans un récent très bel article du blog Terre de Compassion, une personne parlait du mal non comme un problème, mais bien comme un mystère. Face à un JM, c’est bien cela… Comment peuvent cohabiter de manière aussi binaire le bien et le mal dans une personne ? Pourquoi a-t-il choisi de mettre ses connaissances et son don au service du mal, plutôt que du bien, surtout que ce bien existe en lui ?
Quand il nous déconseille fortement d’aller à Mindanao dans le sud du pays où des conflits viennent d’éclater ; quand il se soucie avec autant de simplicité pour une infection que j’ai au pied, qu’il prend le temps de regarder, de me donner des conseils, c’est un acte des plus gratuits… Et deux mois après cela, voilà qu’il ne veut plus nous parler, prétextant ne pas être intéressé par une camaraderie gamine…
Il en va ainsi de notre mission. Notre simple présence, parfois fraîche pour ces hommes depuis tant d’années en prison, innocente et naïve face à ces caïds, a sûrement quelque chose de désarmant.
Trop parfois au point qu’ils la rejettent après s’être laissés rejoindre. Susciter malgré nous en eux, parce que nous sommes cette capacité à aimer, la faire ressurgir. Il ne s’agit pas de dire : « Bon, arrête tes bêtises ». Mais au moins être témoin de cette brèche qui est demeurée ouverte et dans laquelle s’engouffre l’Esprit-Saint et qui découvre au cœur de ces hommes, une réelle et très belle, capacité d’aimer. La garder en mémoire aussi pour le jour où les ténèbres envahissent de nouveau leur cœur, où la tentation du mal se refait si forte, tentant d’annihiler la part de bonté en eux…
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