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Pourquoi l’Église trahit-elle Isaïe 38 ?

Je suis en colère. J’avais déjà remarqué cela, il y a quelques années, dans la liturgie de semaine de l’été.

Le chapitre 38 d’Isaïe rapporte la maladie du roi Ezekias alors que Jérusalem est assiégée par les Assyriens. Isaïe est envoyé auprès du roi pour lui confirmer sa mort prochaine, mais celui-ci supplie le Seigneur dans une ardente prière, suite à laquelle Isaïe annoncer au roi qu’il vivra 15 ans de plus ; pour matérialiser cela, le cadran solaire remonte de 10 degrés.

Le roi chante alors un cantique de louange, puis Isaïe ordonne qu’on applique un gâteau de figues sur l’ulcère dont il souffre ; enfin, Ezékias demande à la toute fin du chapitre : «  À quel signe reconnaîtrai-je que je pourrai monter à la Maison du Seigneur ? »

Cette question reste en suspens.

La liturgie charcute ignominieusement le texte biblique en déplaçant la guérison par le gâteau de figues et la question d’Ézékias avant le signe du cadran solaire. Le sens est totalement changé. La poésie de la question en suspens est impitoyablement gommée. C’est une boucherie.

Les commentaires de la Bible Expliquée indiquent que ce récit est une reprise du second livre des Rois au chapitre 20 où la question d’Ézékias précède le signe du cadran.

Pourquoi la liturgie ne lit-elle pas simplement le livre des Rois, alors ?

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30 commentaires

  1. Cat-modératrice

    Il est en effet très étonnant qu’ils aient changé l’ordre du texte !

  2. Pelostome

    A la réflexion, ce n’est pas si étonnant. La liturgie déplace rarement ainsi une partie d’un texte d’un endroit à un autre, mais elle joue très souvent des ciseaux pour découper le texte à sa guise. Un exemple éloquent est celui du chapitre 6 de Matthieu, où Jésus donne des commandements de discrétion sur l’aumône, la prière et le jeûne.

    Après avoir évoqué la prière dans le secret de la pièce la plus retirée de la maison, Jésus donne à ses disciples le Notre Père, puis il continue avec ses prescriptions sur le jeûne.

    Quand elle cite ce passage, la liturgie omet systématiquement le Notre Père ; elle souhaite le placer à part alors que Matthieu ne l’a pas enchâssé à cet endroit par hasard. C’est voulu et réfléchi. Mais l’Église ne l’entend pas ainsi, elle réécrit ce qui l’arrange.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Pour ma part ça ne me chose pas que les textes choisis pour telle ou telle fête liturgique puisse être thématiques et non chronologiques.

  3. Pelostome

    Bonjour Cat,

    Si l’on creuse un peu plus loin, on peut voir que les initiateurs de cette situation sont les Évangélistes eux-mêmes. Le début de l’Évangile de Matthieu est particulièrement éloquent à ce niveau. Je vais commencer par une relecture du texte.

    Matthieu commence son Évangile par la généalogie de Jésus, suivie de « l’annonce faite à Joseph ». Celui-ci, juste, droit, et éperdument amoureux, est marié à Marie, mais ils n’ont pas encore habité ensemble, ce qui signifie, en français courant, qu’ils n’ont pas eu de relation sexuelle. Or, on s’aperçoit un jour que Marie est manifestement enceinte.

    Je crois qu’il est important de s’arrêter un instant sur la détresse de Joseph, trompé, trahi, humilié, qui ne peut se résoudre à accuser la femme qu’il aime et décide donc, comme la loi de Moïse l’y autorise, à la « répudier », c’est-à-dire à lui rendre sa liberté en endossant toute la responsabilité du divorce – autant dire : prendre tous les torts à sa charge, comme si c’était lui qui la quittait pour une autre. Mais cela n’est pas suffisant : si la répudiation avait été publique, Marie aurait été forcément accusée dans son dos, tant il était clair que c’était elle, la fautive. Aussi, Joseph décide-t-il de la répudier en secret. Peut-être avait-il le fol espoir que la femme qu’il aimait plus que tout au monde, pourrait retrouver l’homme avec qui elle l’avait trompé, qu’elle prendrait naturellement sa place auprès de lui et qu’ils formeraient un couple, puis une famille heureuse. Sa décision prise, il se couche et il s’endort.

    La nuit, dit-on, porte conseil. Ses défenses désarmées, Joseph, dans son subconscient, voit les choses telles qu’elles sont : le séducteur ne reviendra pas ; il laissera Marie seule, honteuse, déshonorée, fille mère, marquée à vie par un instant d’abandon. Non, sa place n’est pas, ne sera pas, ne peut pas être auprès de celui qui l’a déjà lâchement abandonnée : elle est auprès de lui, qui l’aime, qui ravale sa fierté d’homme, qui accueillera ce fils venu d’ailleurs, qui sera pour lui le meilleur père possible.

    Le chapitre premier se termine par : « il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils, auquel il donna le nom de Jésus ». Souhaitait-il lever toute ambigüité sur le fait que ce fils n’était biologiquement pas le sien ? Pressentait-il vraiment le mystère insondable de cet enfant ? Toujours est-il que Matthieu ne se prononce pas sur le fait que Joseph et Marie se soient unis charnellement ou non, après la naissance de Jésus. Pour y répondre, l’Église fait une aveugle confiance à une simple tradition populaire et des Évangiles apocryphes.

    Notons au passage que cette doctrine de la virginité mariale frappe de nullité le couple qui nous est présenté depuis 2000 ans comme « Sainte Famille » : n’ayant jamais « consommé » l’amour charnel, il est à ranger parmi les mariages blancs combattus avec force par l’Église.

    Mais il y a pire. Nous y reviendrons d’ici quelques jours.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Pour le moment je ne vois pas bien le rapport entre votre propos et la discussion en cours, à part le fait que vous ayez vous-même sauté un passage, celui du songe de Joseph, et modifié ce que le texte nous dit des intentions pour lesquelles Joseph ne répudia pas Marie.
      Par ailleurs, un mariage non consommé n’est pas nul, il est valide (si les autres causes de validité sont réunies) mais non indissoluble.

      • Pelostome

        Bonjour Cat,

        j’ai été sans doute trop elliptique. Mon propos n’était pas d’écrire une version contradictoire mais complémentaire à celle de l’Évangile. Matthieu décrit Joseph comme un homme « juste » qui prend la décision de répudier Marie en secret d’une manière qui nous est présentée comme raisonnable et logique mais sans aucune dimension affective ni émotionnelle.

        Lorsque j’écris : « La nuit, dit-on, porte conseil. Ses défenses désarmées, Joseph, dans son subconscient, voit les choses telles qu’elles sont », il me semble évident que je parle de l’épisode du songe (d’accord, ce n’est pas explicite ; c’est bien là l’ellipse : le terme « subconscient » renvoie implicitement au domaine du rêve).

        Quand j’écris : « Non, sa place n’est pas, ne sera pas, ne peut pas être auprès de celui qui l’a déjà lâchement abandonnée : elle est auprès de lui, qui l’aime, qui ravale sa fierté d’homme, qui accueillera ce fils venu d’ailleurs, qui sera pour lui le meilleur père possible », n’est-ce pas simplement une manière profane – même si elle peut être considérée comme trop émotionnelle – d’exprimer : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse » ?

        J’admets qu’il manque le passage suivant : « puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint » ; c’est ma manière à moi de tenter de redonner de l’humanité à Joseph au lieu de le présenter comme un bon petit soldat qui « fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit » sans se poser de question ni d’état d’âme.

        Concernant l’absence d’union charnelle entre Joseph et Marie, il sera décidément dit que vous me surprendrez jusqu’au bout. J’ai toujours lu que l’Église n’annule jamais un mariage, mais peut le déclarer nul de facto pour un certain nombre de raisons diverses, en particulier un manquement à l’un des quatre piliers chrétiens du mariage : liberté, fidélité, indissolubilité, fécondité.

        Ainsi, vous m’avez indiqué dans une autre discussion que si un homme se marie avec la ferme intention, dès le départ, de tromper sa femme, le mariage est nul. De même, si un couple se marie avec la ferme intention de ne pas avoir d’enfants. Je dois donc considérer votre réponse comme le cas d’un couple ayant la ferme intention d’avoir des enfants sans jamais avoir de relation sexuelle.

        L’Église refusant catégoriquement toute forme de procréation médicalement assistée, je ne vois pas d’autre solution à ce dilemme que l’adoption. Est-ce que vous entendez par là qu’un couple s’engageant librement dans une union fidèle et indissoluble avec la ferme intention de ne jamais avoir de relation sexuelle mais d’adopter des enfants vit un mariage valide, voire normal ?

        Déclarer cela peut être considéré comme assez étrange, mais acceptable… si l’on se réfère au Code de Droit Canonique de 1917, pour lequel la fécondité est la raison d’être première du mariage. Mais votre site est largement consacré à la richesse de la catéchèse de Jean-Paul II, entre autres sur le couple, par exemple dans votre article « La procréation est-elle le but premier de la sexualité ? » : « … la dimension unitive, qui a pour but le don de soi et l’approfondissement de la communion entre les époux, peut être considérée comme première, car la procréation est un fruit de cet amour. »

        Plus loin, vous m’avez indiqué que Benoît XVI déclare dans « Deus caritas est »: « En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre ».

        A l’aune de cet enseignement, présenter le couple de Joseph et Marie, qui refuse obstinément l’union charnelle, comme un modèle définitif pour les couples chrétiens, c’est bel et bien s’opposer à cette catéchèse ; connaissant la profonde dévotion mariale de Jean-Paul II, cette contradiction latente à l’intérieur même de sa pensée a de quoi laisser perplexe.

        Ceci posé, revenons au sujet principal de ce fil.

        L’un des drames fondamentaux du peuple hébreu est sa scission en deux royaumes : au nord, le royaume de Samarie, le plus riche, dénommé également Israël ou Ephraïm ; au sud, le petit royaume de Juda, d’où est tiré le nom « Juif ». Ces deux royaumes ne se contentent pas de s’ignorer : périodiquement, ils se font la guerre.

        Au temps du « Premier Isaïe » (car il y en a eu trois), le royaume du nord conclut une alliance avec un autre royaume – pas du tout hébreu, totalement païen : le royaume d’Aram – pour attaquer Juda. Isaïe est envoyé rassurer le roi Acaz (de Juda) par un signe de la part du Seigneur.

        Isaïe part d’un fait concret : une jeune femme enceinte. Son fils, dit-t-il, sera appelé « Emmanou-Él », c’est-à-dire « Avec nous, Dieu ». et il ajoute qu’« avant qu’il fasse la différence entre le bien et le mal », c’est-à-dire : « avant qu’il ait atteint l’âge de raison », c’est-à-dire : « avant qu’il ait sept ans », c’est-à-dire tout simplement : « avant sept ans », les deux royaumes ennemis seront anéantis.

        Les Juifs lisent la Bible en hébreu ; mais celle-ci a été traduite en grec, langue incontournable dans l’Antiquité. Et les mots n’ont pas exactement le même sens d’une langue à l’autre – d’autant plus que l’hébreu ancien écrit les consonnes mais pas les voyelles, ce qui peut faire varier le sens d’un mot selon les voyelles lues entre les consonnes ; donc, dans les faits : selon le lecteur.

        Le texte hébreu parle d’une « jeune femme », sans autre précision, mais le mot retenu en grec pour la traduction est celui de « vierge ». Matthieu, dans son Évangile, au chapitre 1, versets 22-23, se réfère à ce passage d’Isaïe sans le nommer : « Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète :Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : ‘Dieu-avec-nous’ »

        Ce faisant, Matthieu, pourtant juif, et écrivant pour les communautés juives,

        1°) s’appuie au mieux sur une approximation, au pire sur une erreur de traduction
        2°) change délibérément le temps du verbe : au lieu de « la jeune femme est enceinte » (présent), il écrit « la Vierge concevra » (futur)
        3°) omet le sujet principal du signe annoncé en sortant la phrase de son contexte : le signe d’Isaïe porte sur le temps qu’il faut à un enfant pour distinguer le bien du mal, afin de bien appuyer sur le fait que la patience et la foi demandées au roi sont très peu de choses au regard de l’échelle de temps, non seulement de l’histoire du peuple hébreu, mais même de la vie d’un homme ! Isaïe invite au recul, à la distance, au refus de l’immédiateté à tout prix. Matthieu supprime impitoyablement cette dimension dans son empressement à faire entrer coûte que coûte la parole de l’Ancien Testament dans celle du Nouveau : il faut justifier la conception virginale.

        Voilà un exemple flagrant du « péché originel » de l’Évangile; l’Église n’a rien fait d’autre que de reprendre à son compte ces dévoiements de sens dans son enseignement. Aucun catéchiste ne prendra la peine d’indiquer aux enfants dont il a la charge que la conception virginale repose sur des approximations littéraires s’empilant les unes sur les autres. L’Église fera mine par le suite de se désoler du fondamentalisme et de l’intégrisme. C’est dommage.

        Encore une fois, il ne s’agit pas pour moi de condamner catégoriquement l’enseignement de l’Église, juste de plaider pour la prise de recul et de distance si chère à Isaïe ; je crois sincèrement qu’elle ne contredit pas la foi mais au final la renforce.

        • Cat-modératrice

          Bonjour Pelostome,

          J’avais cru que vous vouliez donner une version non surnaturelle de la conception de Jésus et de la décision de Joseph.

          En ce qui concerne la possibilité d’annuler un mariage non consommé (pour ceux qui ne connaissent pas l’expression : un mariage où il n’y a eu aucune relation sexuelle), je comprends votre surprise, car c’est en contradiction avec ce que j’ai déjà écrit, qui n’était pas assez précis. De fait, dans l’Église ce sont les mariages consommés qui sont indissolubles. Quant au fait que l’intention de s’abstenir de relations sexuelles est une forme de fermeture à la procréation, je ne sais pas quelle est la doctrine de l’Église sur le sujet. Pour que le mariage soit valide, il doit falloir que l’intention d’abstinence ne soit pas dans le but d’éviter d’avoir des enfants.

          Nous avons l’exemple de Louis et Zélie Martin qui avaient l’intention de s’abstenir toujours de relations sexuelles, et un conseiller spirituel les a aidés à changer d’avis après plusieurs mois de mariage. Leur mariage était pourtant valide, et ils ont vécu la suite de leur union sans abstinence.

          Quant à la sainte famille, à mes yeux c’était plus des consacrés incognitos qu’un vrai couple.

          En ce qui concerne la traduction de « Jeune femme », cette expression désignait en hébreu soit les jeunes femmes, soit les femmes vierge. C’est une des interprétations possibles de le traduire en « vierge ». Si l’on suppose que les auteurs des Évangiles sont inspirés, on peut en déduire que c’est effectivement ce que Dieu a voulu dire, ou l’une des choses que Dieu a voulu dire.

          Je n’ai pas les connaissance linguistiques qu’il faut pour discuter de la traduction de « est enceinte » en « concevra ».

          Je ne comprends pas pourquoi vous êtes si sûr que l’âge du fils, le temps d’attente, est le sujet principal de ce passage.

          Vous parlez de « dévoiements » de sens, alors qu’un même passage de l’Écriture peut avoir de nombreux niveaux de sens. Je crois en l’inspiration des Évangiles, donc je crois que le sens que nous dévoile St Mathieu est l’un des sens voulus par Dieu quand il a inspiré ce passage d’Isaïe.

          Je n’oublie pas vos autres commentaire, j’y répondrai dès que possible.

          • Pelostome

            Bonjour Cat,

            vous m’écrivez : « Je ne comprends pas pourquoi vous êtes si sûr que l’âge du fils, le temps d’attente, est le sujet principal de ce passage ».

            Ma foi, c’est parce que cette phrase est la seule en lien direct avec la double menace de Samarie et Aram. Je n’ai pas l’impression qu’Isaïe dise au roi Acaz : « Tu vois bien que tes ennemis seront défaits puisqu’un enfant va naître » ; on pourrait autant dire : « Regarde, le temps est à l’orage, c’est bien le signe que tu seras victorieux » !

            Je dois par ailleurs avouer que j’ai eu un coup au moral en lisant : « Quant à la sainte famille, à mes yeux c’était plus des consacrés incognitos qu’un vrai couple » ; je m’étais couché tard la veille, réveillé tôt avec une belle énergie, et je me suis senti tout à coup très fatigué.

            J’ai pris quelques jours avant de réagir, le temps de digérer. Après analyse, et en forçant à peine le trait, le résumé de votre propos m’apparaît assez cocasse.

            Je pense que j’ai eu cette réaction parce que, ce qu’il en ressort, c’est : « Marie et Joseph ne formaient pas un vrai couple ». Je devrais m’en réjouir : cela devrait apporter de l’eau à mon moulin. En fait, j’ai surtout l’impression d’une supercherie : l’Église catholique a dépensé depuis plus de 60 ans une énergie phénoménale à convaincre les chrétiens qu’elle encense l’amour charnel entre époux, mais le couple qui nous est donné en modèle depuis 2000 ans apparaît en fait comme une sorte de béguinage entre un moine et une religieuse. À ce compte-là, je finis par me dire que l’Église catholique devrait peut-être tout simplement s’abstenir purement et définitivement de tout propos sur la sexualité, puisque le « couple » de référence chrétien, selon elle, ne l’a jamais pratiquée – sans compter que l’essentiel des propos sur ce sujet sont proférés par Jésus, et plus encore par Saint Paul, qui n’y ont jamais goûté non plus.

            Enfin, quand vous écrivez « Si l’on suppose que les auteurs des Évangiles sont inspirés, on peut en déduire que c’est effectivement ce que Dieu a voulu dire, ou l’une des choses que Dieu a voulu dire », cela revient à considérer que la multiplicité des sens possibles permet peu ou prou toutes les interprétations.

            Ainsi donc, Matthieu réactualise la prophétie d’Isaïe en un sens totalement nouveau pour coller à la dévotion de son temps sur la conception virginale ? Chiche ! Puisque Joseph et Marie ne formaient pas un vrai couple, je pense que nous pourrions sans problème aujourd’hui traduire ce terme par : « Mère célibataire », ce qui permettrait d’être en phase avec notre siècle. Pourquoi pas ?

            • Cat-modératrice

              Bonjour Pelostome,

              Je cite ici le texte d’Isaïe :

              « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe :
              Voici, la jeune femme est enceinte,
              elle va enfanter un fils
              et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.
              Il mangera du lait caillé et du miel
              jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien.

              Car avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
              elle sera abandonnée, la terre dont les deux rois te
              jettent dans l’épouvante. » (Isaïe 7, 14-16)

              Pour moi ce texte est messianique, et le message principal est l’annonce de la naissance de cet enfant, dont on nous donne plusieurs caractéristique. Il n’est pas là d’abord pour donner une indication de temps. Son nom signifie « Dieu avec nous », c’est à travers l’enfant que Dieu va se donner. Et je ne pense pas que l’indication de temps signifie qu’il faille savoir attendre, au contraire, la délivrance aura lieu « avant » que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien. On ne sait pas à quel moment « avant », mais quand l’enfant saura rejeter le mal et choisir le bien, la délivrance aura déjà eu lieu. Il y a bien une attente à accepter, c’est celle de la naissance de cet enfant, qui est le cœur de la prophétie.

              Je suis désolée de vous avoir perturbé en disant « Quant à la sainte famille, à mes yeux c’était plus des consacrés incognitos qu’un vrai couple ». J’ai bien précisé « à mes yeux » pour dire qu’il ne s’agissait pas de la position officielle de l’Église. Mais c’est vrai que ce n’était pas assez clair. Je crois vous en avoir déjà parlé, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi un vrai couple ne devrait pas avoir de relations sexuelles, même si l’épouse a commencé par donner naissance à Dieu. Ou bien si être la mère de Dieu est incompatible avec une vie conjugale, parce que Marie a été consacrée par cet enfantement, en ce cas ce n’est pas un vrai couple mais des consacrés incognitos. J’ai du mal à voir les choses autrement, mais ce n’est pas la vision de l’Église.

              Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’accord sur le fait que l’Église devrait s’abstenir de propos sur la sexualité parce que Marie et Joseph vivaient dans l’abstinence. Il est évident que ce couple est dans une situation tout à fait particulière. Leur enfant et Dieu, est-ce que ça interdit à l’Église de parler des familles parce que les autres familles ont des enfants qui ne sont pas Dieu ? La Bible a un enseignement sur la sexualité depuis la Genèse jusqu’à Saint Paul, c’est un élément fondamental de la foi chrétienne. La doctrine a évolué avec le temps, l’Église a appris à mieux comprendre ce trésor qu’est la sexualité voulue et créée par Dieu. L’abstinence de Marie et Joseph n’est pas contradictoire avec un enseignement sur la sexualité des couples, et sur une vision très positive de la sexualité dans le couple.

              Vous écrivez :

              Enfin, quand vous écrivez « Si l’on suppose que les auteurs des Évangiles sont inspirés, on peut en déduire que c’est effectivement ce que Dieu a voulu dire, ou l’une des choses que Dieu a voulu dire », cela revient à considérer que la multiplicité des sens possibles permet peu ou prou toutes les interprétations.

              De très nombreuses interprétations pourraient être possibles pour tous les passages de la Bible. Les protestants, qui ne reconnaissent pas d’autorité en la matière, ont des interprétations vraiment très variées, chacun peut choisir sa propre interprétation.

              Dans l’Église catholique, il y a un magistère, une autorité, dont l’une des missions est de discerner le sens des écritures, avec l’aide de l’Esprit Saint, sans pour autant tout verrouiller. Les auteurs bibliques ont d’autant plus cette autorité. La foi chrétienne nous enseigne que les auteurs bibliques ont eu un charisme spécial pour nous transmettre l’enseignement de Dieu.

              • Pelostome

                Bonjour Cat,

                votre réponse sur la prophétie d’Isaïe illustre merveilleusement la tendance maladive de l’Église à phagocyter l’Ancien Testament. Vous mentionnez une dimension messianique à la prophétie d’Isaïe au chapitre 7. Au passage, il est important de garder à l’esprit que le mot « Messie » n’est utilisé qu’une seule fois dans les 66 chapitres du livre d’Isaïe, pour désigner… Cyrus, roi de Perse ! On ne peut pas trouver moins juif…

                Mais il y a plus important encore : le chapitre 8. Dans ce chapitre, Isaïe s’unit à sa femme, qui donne naissance à un fils. Cette fois, Isaïe déclare qu’avant même que celui-ci sache dire « Maman » et « Papa », les richesses de Damas (capitale du royaume d’Aram) et de Samarie (capitale du royaume du même nom) seront aux mains du royaume d’Assour. Il enfonce bien le clou en déclarant que, parce que les Judéens ont perdu la foi au point de nouer des alliances au lieu de livrer franchement bataille, c’est Assour qui va écraser la coalition d’Aram et Samarie. Je pense qu’il s’agit là du vrai signe : Dieu a décidé la perte de la coalition, quand bien même Jérusalem le refuse.

                Il est clair que les chapitres 7 et 8 ont exactement le même propos. Mais la femme d’Isaïe ne saurait en aucun cas être considérée vierge, et son fils n’a aucun attribut messianique. Or, si le chapitre 7 est cité dans la liturgie, autant que je puisse m’en souvenir, le chapitre 8 n’apparaît jamais, ni dans les messes dominicales, ni dans celles de semaine.

                C’est une chose de déclarer que le magistère et les auteurs du Nouveau Testament ont un super-pouvoir qui leur permet de mieux interpréter l’Ancien Testament que les hommes et les femmes de bonne volonté.

                C’est totalement autre chose de s’arroger le droit de sélectionner arbitrairement dans l’Ancien Testament les textes qui les arrangent.

                C’est contre cela que je m’insurge ; c’est cela, l’objet de ma révolte.

                En ce qui concerne le couple réel ou supposé de Marie et Joseph, vous n’avez aucun besoin de présenter des excuses. Vous avez effectivement bien indiqué qu’il s’agit de votre avis et pas celui de l’Église. Mais votre franchise permet de démasquer le propos de l’Église, que celle-ci ne souhaite pas assumer.

                Si on considère, comme l’indique officiellement son enseignement, que Marie et Joseph forment un vrai couple bien qu’ils n’aient jamais eu de relation sexuelle, alors la démonstration de Benoît XVI dans « Deus Caritas est » ne tient pas. En effet, vous m’avez fait connaître ce texte où il proclame qu’on ne peut pas opposer éros et agapè car l’éros conduit naturellement à l’agapè, et que les deux sont indissociables.

                Hélas, si Benoît XVI indique clairement que l’éros conduit à l’agapè, il n’indique nulle part que l’agapè conduit en retour à l’éros. C’est bien ce que signifie le couple de Marie et Joseph : d’une part, il saute l’étape de l’éros pour déboucher directement sur l’agapè – pourquoi pas ? – mais surtout, son agapè ne le conduit jamais à l’éros puisqu’ils n’ont jamais de relation sexuelle.

                Sans le dire, Benoît XVI se fait l’écho d’une expérience partagée par des millions de couples : au début de la relation, c’est l’éros qui règne en maître. Celui-ci va donner naissance d’une part à l’agapè, d’autre part aux enfants. L’éros, qui a déjà perdu de sa superbe, va laisser progressivement toute la place à l’agapè, et le couple va se dissoudre dans la famille. Lorsqu’il n’y a finalement plus d’éros, plus de désir à l’intérieur du couple, toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle rencontre avec un tiers, un adultère, un divorce, puis une nouvelle histoire d’amour qui permet à l’éros de reprendre sa place.

                Bien sûr, il ne s’agit pas d’une fatalité ; mais statistiquement, c’est amplement constaté. C’est un risque incontournable ; celle-ci devrait être systématiquement abordé dans les préparations au mariage. Au lieu de cela, l’Église se contente de la condamnation absolue du divorce suivi d’une nouvelle union, là où elle devrait faire un effort phénoménal de prévention.

                Je pense que l’Église ne fait pas cela par méchanceté. Il suffit de lire la première lettre aux Corinthiens : Saint Paul se proclame fièrement célibataire, et, tout en reconnaissant que le mariage n’est pas un péché, exhorte les chrétiens célibataires à ne pas se marier, afin de leur éviter les tourments du mariage.

                Ces tourments sont issus des émotions, de l’éros, du désir, du sexe. Ils font partie de l’expérience humaine et permettent de faire grandir les personnes ; vouloir préserver ses disciples de cette formidable expérience de vie est particulièrement significatif quant à l’opinion de Paul sur le sujet.

                Aujourd’hui, même si certains célibataires consacrés ont des intuitions fulgurantes sur le couple, de manière générale, il semble illusoire d’attendre un enseignement pertinent sur ce sujet de la part de personnes qui n’ont pas ressenti au plus intime d’eux-mêmes ces émotions. Au final, ériger Marie et Joseph en modèle ultime pour le couple chrétien révèle ce que l’Église n’ose même pas s’avouer ; on pourrait presque parler d’un fantasme, même s’il est probablement inconscient : enfanter sans faire l’amour revient à développer toute la grâce de l’agapè en s’affranchissant de l’éros. C’est grâce à votre commentaire que j’en ai pris conscience ; je vous en remercie chaleureusement.

                • Cat-modératrice

                  Bonjour Pelostome,

                  Vous écrivez :

                  Votre réponse sur la prophétie d’Isaïe illustre merveilleusement la tendance maladive de l’Église à phagocyter l’Ancien Testament.

                  Pourtant, c’est Jésus le premier qui a interprété l’Ancien Testament à la lumière de sa venue. On le voit dans le récit des Pèlerins d’Emmaüs : « Alors il leur dit : ‘‘Ô cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?’’ Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. » (Luc 24, 25-27)

                  On le voit s’attribuer aussi les promesses qui se trouvent dans divers textes de l’Ancien Testament, notamment Isaïe 35, 5-6 et 61,1. Sa démonstration est une preuve pour les disciples de Jean parce que c’est l’accomplissement des prophéties.

                  « Appelant à lui deux de ses disciples, Jean les envoya dire au Seigneur : ‘‘Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?’’ Arrivés auprès de lui, ces hommes dirent : ‘‘Jean le Baptiste nous envoie te dire : Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?’’ À cette heure-là, il guérit beaucoup de gens affligés de maladies, d’infirmités, d’esprits mauvais, et rendit la vue à beaucoup d’aveugles. Puis il répondit aux envoyés : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ; et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi ! » (Luc 7, 18-23)

                  Il s’attribue aussi le texte d’Isaïe 61, 1-2.

                  « On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit :

                  L’Esprit du Seigneur est sur moi,
                  parce qu’il m’a consacré par l’onction,
                  pour porter la bonne nouvelle aux pauvres.
                  Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance
                  et aux aveugles le retour à la vue,
                  renvoyer en liberté les opprimés,
                  proclamer une année de grâce du Seigneur.

                  Il replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : ‘‘Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture.’’ » (Luc 4, 18-21)

                  Dans les actes des apôtres aussi, ce n’est plus Jésus lui-même mais le diacre Philippe qui interprète un autre texte d’Isaïe comme faisant référence à Jésus (Actes 8, 26-35).

                  Si l’on croit que c’est le même Dieu qui a inspiré l’Ancien et le Nouveau Testament, et que le but, dès le départ, était que le Fils soit envoyé pour sauver les hommes, que l’élection du peuple Juif avait pour but de préparer l’humanité à l’accueil du Fils de Dieu, il est logique de penser que l’Ancien Testament parle déjà du Fils. Le fait que l’Ancien Testament parle de Jésus est un élément incontournable de la foi chrétienne.

                  En ce qui concerne Isaïe 7 et 8, rien ne permet d’affirmer que les deux enfants sont les mêmes. Votre interprétation est une interprétation possible, mais elle n’est pas celle qui a été discernée par l’Église, comme vous savez. Dans Isaïe 7, 14-16, la conception de l’enfant est annoncée comme le signe que Dieu donne pour son peuple. L’enfant s’appelle « Dieu avec nous ». Le terme « jeune fille » peut vouloir dire « vierge ». Comme la foi chrétienne nous enseigne que Dieu nous parle de son Fils dès l’Ancien Testament, il est normal d’y voir une annonce du Christ.

                  Vous écrivez :

                  C’est une chose de déclarer que le magistère et les auteurs du Nouveau Testament ont un super-pouvoir qui leur permet de mieux interpréter l’Ancien Testament que les hommes et les femmes de bonne volonté.

                  C’est totalement autre chose de s’arroger le droit de sélectionner arbitrairement dans l’Ancien Testament les textes qui les arrangent.

                  C’est contre cela que je m’insurge ; c’est cela, l’objet de ma révolte.

                  Je pense que vous serez d’accord avec moi sur le fait qu’il est impossible de faire lire la Bible entière à la messe, et que l’on ne peut pas faire des lectures d’une longueur infinie. Vous serez peut-être d’accord avec moi sur le fait qu’il y a des textes plus pertinents que d’autres et que, par exemple, il n’est pas très utile de faire lire les dimensions du temple à la messe.

                  Si l’Église fait exprès d’exclure des textes qui la dérangent, je comprends que cela vous révolte. Comme dans l’exemple du texte d’Ézéchiel dont vous parlez dans un autre commentaire, où une partie est éliminée, d’après vous dans le but de légitimer l’interdiction du divorce et du remariage, d’après moi parce qu’elle montre de la violence et que la violence dans l’Ancien Testament est souvent censurée.

                  Si j’ai bien compris, pour vous le texte d’Isaïe 8 n’est pas lu à la messe parce qu’il démontre que le texte d’Isaïe 7 n’est pas un texte messianique. Pour moi l’Église ne voit pas de lien entre ces deux textes, et elle ne fait pas lire celui d’Isaïe 8 parce qu’il faut bien choisir entre tous les textes possibles, et que celui-ci lui semble moins pertinent que d’autres.

                  Vous écrivez :

                  Si on considère, comme l’indique officiellement son enseignement, que Marie et Joseph forment un vrai couple bien qu’ils n’aient jamais eu de relation sexuelle, alors la démonstration de Benoît XVI dans « Deus Caritas est » ne tient pas. En effet, vous m’avez fait connaître ce texte où il proclame qu’on ne peut pas opposer éros et agapè car l’éros conduit naturellement à l’agapè, et que les deux sont indissociables.

                  Il ne faut pas oublier que la norme des couples est d’avoir des relations sexuelles. C’est dans le texte de la Genèse que Jésus reprend : « C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Genèse 2, 24). Saint Paul dit aussi : « Ne vous refusez pas l’un à l’autre. » La situation de Marie et Joseph est très spéciale, et ils ne sont pas à prendre en exemple sur le point de l’abstinence de relations sexuelles. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu une forme d’eros entre eux, car l’eros est un désir d’union à l’autre pas uniquement sexuel. Benoît XVI parle de l’eros de Dieu pour nous comme d’un désir de communion avec nous. Ce qui n’empêche pas qu’il parle aussi de l’eros sexuel quand il dit que l’eros est bon, mais l’eros n’est pas que sexuel.

                  Vous écrivez :

                  Hélas, si Benoît XVI indique clairement que l’éros conduit à l’agapè, il n’indique nulle part que l’agapè conduit en retour à l’éros.

                  Cela ne veut pas dire que l’eros ne soit pas indispensable. L’eros est en Dieu même, donc même s’il dit que l’eros conduit à l’agape et pas l’inverse, cela n’empêche pas que l’eros ait une dimension éternelle et bonne en soi. L’eros de Dieu n’est pas sexuel, mais l’être humain vit l’image de Dieu à travers un eros sexuel. L’union sexuelle de l’homme et de la femme est une image de l’eros qui est en Dieu. Saint Paul dit aussi que l’union de l’homme et de la femme est une image de l’union du Christ et de l’Église. Par contre, au ciel il n’y aura plus de relations sexuelles, mais l’union spirituelle sera beaucoup plus forte que l’union sexuelle. L’union sexuelle est une prémisse et une image de l’union spirituelle que nous vivrons au Ciel.

                  Vous écrivez :

                  Sans le dire, Benoît XVI se fait l’écho d’une expérience partagée par des millions de couples : au début de la relation, c’est l’éros qui règne en maître. Celui-ci va donner naissance d’une part à l’agapè, d’autre part aux enfants. L’éros, qui a déjà perdu de sa superbe, va laisser progressivement toute la place à l’agapè, et le couple va se dissoudre dans la famille. Lorsqu’il n’y a finalement plus d’éros, plus de désir à l’intérieur du couple, toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle rencontre avec un tiers, un adultère, un divorce, puis une nouvelle histoire d’amour qui permet à l’éros de reprendre sa place.

                  Je pense que le fait que l’eros disparaisse du couple est une conséquence du péché. Comme vous le dites plus loin, ce n’est pas une fatalité et il y a beaucoup de couples où la venue des enfants n’éteint pas le désir. Je pense qu’un couple chrétien doit essayer de prendre les moyens pour que l’eros ne se « dissolve pas dans la famille ». Encore une fois, Benoît XVI dit que l’eros est en Dieu, l’eros n’est donc pas voué à disparaître ni à se dissoudre dans l’agape.

                  Vous écrivez :

                  Bien sûr, il ne s’agit pas d’une fatalité ; mais statistiquement, c’est amplement constaté. C’est un risque incontournable ; celle-ci devrait être systématiquement abordé dans les préparations au mariage. Au lieu de cela, l’Église se contente de la condamnation absolue du divorce suivi d’une nouvelle union, là où elle devrait faire un effort phénoménal de prévention.

                  Je ne pense pas que les préparations au mariage consistent uniquement à rappeler l’interdiction du divorce. Les préparations au mariage sont très inégales selon les paroisse. Chacun fait avec les moyens du bord. Est-ce que vous pensez que l’Église hiérarchique devrait imposer un programme pour la préparation au mariage, avec cette question de la sauvegarde de l’eros ? C’est une vraie question ! Mais ce serait aussi risqué d’uniformiser la préparation au mariage et d’en confier le programme à Rome. Vous y verriez sûrement des éléments qui vous déplairaient.

                  Vous écrivez :

                  Saint Paul se proclame fièrement célibataire, et, tout en reconnaissant que le mariage n’est pas un péché, exhorte les chrétiens célibataires à ne pas se marier, afin de leur éviter les tourments du mariage.

                  Il ne faut pas oublier que Saint Paul Croyait que la venue de Jésus dans la gloire était imminente. Mais la dévalorisation du mariage par Paul me pose vraiment problème. Pourtant ailleurs il écrit : « Ce mystère est grand ».

                  Vous écrivez :

                  Aujourd’hui, même si certains célibataires consacrés ont des intuitions fulgurantes sur le couple, de manière générale, il semble illusoire d’attendre un enseignement pertinent sur ce sujet de la part de personnes qui n’ont pas ressenti au plus intime d’eux-mêmes ces émotions.

                  Je ne suis pas d’accord avec vous. D’ailleurs les personnes mariées ne connaissent qu’une seule expérience de la vie matrimoniale et ils risquent aussi de généraliser leur propre expérience.

                  Vous écrivez :

                  Au final, ériger Marie et Joseph en modèle ultime pour le couple chrétien révèle ce que l’Église n’ose même pas s’avouer ; on pourrait presque parler d’un fantasme, même s’il est probablement inconscient : enfanter sans faire l’amour revient à développer toute la grâce de l’agapè en s’affranchissant de l’éros.

                  Jésus a été conçu sans faire l’amour parce qu’il est le fils de Dieu et non de Joseph. Même si Marie et Joseph avaient été un couple non abstinent, Jésus aurait tout de même été conçu sans faire l’amour. Je ne crois pas que l’Église fantasme de s’affranchir de l’eros. Son enseignement n’a rien à voir avec ça.

  4. Pelostome

    Bonsoir,

    nous ne nous sommes peut-être pas tout à fait compris lorsque vous avez écrit le 30 juillet dernier : « Pour ma part ça ne me choque pas que les textes choisis pour telle ou telle fête liturgique puisse être thématiques et non chronologiques. »

    Ce que je voulais dire en parlant du chapitre 6 de Matthieu choisi pour le mercredi des Cendres, ce n’est pas que la liturgie donne les versets 1 à 18 et que le lendemain, elle ne continue pas avec les versets suivants ; c’est que la liturgie donne les versets 1 à 6, puis saute les versets 7 à 15, et termine la lecture du jour avec les versets 16 à 18 comme si les versets 7 à 15 n’avaient jamais été écrits… alors que dans ces versets, Jésus apprend à ses disciples le Notre Père !

    Si c’est bien ce que vous avez voulu dire, si pour vous la mise en avant de l’aumône, la prière et le jeûne en secret l’emportent sur cet enchâssement voulu par Matthieu de la prière fondamentale des chrétiens en plein milieu de ce texte, alors vous m’étonnez. A ce compte-là, l’Église pourrait réécrire la Bible à sa guise en en changeant totalement le sens, en sortant les phrases de leur contexte.

    La plupart des gens s’accorderont pour dire que j’exagère, mais est-ce bien si sûr ?

    Nouvel exemple pour la première lecture de ce jour, 16 août 2024 : Ezékiel, chapitre 16, versets 1 à 15, puis verset 60, puis verset 63.

    Les 15 premiers versets décrivent Jérusalem (c’est-à-dire le royaume de Juda) comme une enfant abandonnée en plein champ à sa naissance, autant dire : promise à la mort ; Dieu la voit et lui dit : « Vis ! », et elle grandit comme une enfant sauvage jusqu’à sa puberté, où il « étend sur elle le pan de son manteau » pour « couvrir sa nudité ». Il s’agit là d’une expression pour le moins ambiguë puisque « étendre le pan de son manteau » signifie en hébreu « prendre pour femme ».

    S’ensuit une description minutieuse et magnifique de tous les vêtements, bijoux et mets fins dont Dieu pare cette femme pour lui donner un éclat extraordinaire, avant une condamnation sans appel au verset 15 : « Mais tu t’es fiée à ta beauté, tu t’es prostituée en usant de ta renommée, tu as prodigué tes faveurs à tout passant : tu as été à n’importe qui ».

    Après ce verset 15, la liturgie omet délibérément 45 versets, et non des moindres : le terme « prostituée » ou « prostitution » y est répété 19 fois dans les 21 versets qui suivent ! Puis le texte biblique insiste sur la fureur de Dieu : « 38 Je t’inflige le châtiment des femmes adultères et des femmes sanguinaires : je répands ton sang avec fureur et jalousie.

    39 Je te livre entre leurs mains ; ils nivelleront ton podium et démoliront tes estrades ; ils t’arracheront tes vêtements et te prendront tes bijoux ; ils te laisseront complètement nue.
    40 Puis ils dresseront l’assemblée contre toi, ils te lapideront et de leurs épées te démembreront ;
    41 ils incendieront tes maisons ; ils feront justice de toi, sous les yeux d’une multitude de femmes. Je mettrai fin à ta vie de prostituée ; tu ne pourras même plus donner de salaire.
    42 J’assouvirai ma fureur contre toi. Puis ma jalousie se détournera de toi, je m’apaiserai, je ne serai plus irrité. »

    La fureur de Dieu se calme peu à peu pour en arriver au verset 60 : « Cependant, moi, je me ressouviendrai de mon alliance, celle que j’ai conclue avec toi au temps de ta jeunesse, et j’établirai pour toi une alliance éternelle », puis la liturgie saute à nouveau deux versets pour terminer sur le dernier du chapitre : « Ainsi tu te souviendras, tu seras couverte de honte. Dans ton déshonneur, tu n’oseras pas ouvrir la bouche quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait – oracle du Seigneur Dieu. »

    47 versets omis sur 63, ça représente trois quarts du texte sacrifié.

    Si j’ai bien compris votre raisonnement, le thème du jour serait donc l’amour de Dieu premier, puis sa miséricorde face au péché, ce qui justifierait la suppression du reste.

    Mais la violence inouïe du texte biblique illustre avant tout le désarroi et la souffrance incommensurables de Dieu ; force est de constater que l’Église n’en veut pas. L’Église est attachée à gommer l’image d’un Dieu vengeur et guerrier, d’accord. Mais ce faisant, elle le transforme en un super-héros de l’agapé totalement insensible à la douleur qui endure sans un seul gémissement la trahison et la honte, tout occupé à s’employer à la seule et unique réaction valable aux yeux de l’Église : le pardon.

    Le dévoiement semble minime, mais en filigrane, il est colossal : en vérité, le simple fait de supprimer cette violence du texte d’Ezekiel, amène une transformation phénoménale à l’enseignement sur le pardon.

    Devant la douleur la plus atroce, l’Église a coutume de dire : « Quelle que soit l’offense subie, tu peux toujours pardonner ».

    Mais la réécriture du texte d’Ezekiel revient à dire – sans l’avouer : « Quelle que soit l’offense subie, tu DOIS toujours pardonner ».

    L’ouverture libératrice devient une injonction culpabilisante. Voilà l’effet subliminal de cette pratique. Et personne n’y trouve rien à redire : tous les versets cités sont bel et bien dans le texte original !

    Et encore, si on rapproche cette première lecture de l’Évangile du jour, l’effet obtenu est encore plus fort.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Il y a une très grande différence pour moi entre votre exemple du Mercredi des Cendres et votre exemple du texte d’Ézéchiel.

      Il y a plusieurs façons d’étudier la Bible, et elles se complètent. Il est nécessaire de prendre le texte dans sa globalité, il est aussi nécessaire d’étudier des thèmes d’une manière transversale, si l’on veut recevoir tout ce que la Bible a à nous enseigner.
      J’ai dit : « Ça ne me choque pas que les textes choisis pour telle ou telle fête liturgique puisse être thématiques et non chronologiques. » Pour une fête qui est sur un thème, il me semble légitime d’étudier un texte sur le même thème. Je ne dis pas qu’il faille le faire tout le temps, mais là il s’agit de recevoir l’enseignement de Dieu sur le jeûne, la prière et l’aumône. Le reste de l’année, il y a des textes suivis.

      Dans votre exemple sur Ézéchiel, c’est autre chose, effectivement on altère le sens du passage biblique. C’est comme dans certains psautier, par exemple les Prière du Temps Présent, où les versets choquants des psaumes ont été éliminés.
      Je ne suis pas d’accord avec ces pratiques.

      Par contre, je ne comprends pas vos propos au sujet de « Tu peux pardonner » et « Tu dois pardonner », en quoi le texte implique l’un ou l’autre ?

      • Pelostome

        Concernant le texte utilisé pour le mercredi des Cendres, il s’articule en 4 parties : la première parle de l’aumône ; la seconde, de la prière ; dans la troisième, Jésus apprend à ses disciples le Notre Père ; enfin, la dernière porte sur le jeûne.

        Pour la liturgie des Cendres, l’Église ne veut parler que de l’aumône, de la prière et du jeûne ; elle supprime impitoyablement le Notre Père du texte de la liturgie du jour. Rien moins que la prière centrale des chrétiens. C’est quand même fort de café comme charcutage.

        Pour le passage d’Ezechiel, la violence inouïe du texte ne peut se comprendre que par l’identification de Dieu à un conjoint trompé : il laisse déborder sa fureur selon la mesure de sa souffrance, avant finalement de revenir à son amour. Cette situation est vécue par de nombreux couples et parle donc au cœur des lecteurs de la Bible.

        Cette situation conduit à un échec cuisant du mariage ; selon les émotions qui sont les nôtres, le divorce apparaît dans ce cas comme une porte de sortie salutaire permettant de se reconstruire par la suite auprès d’un nouvel amour. Mais l’Église condamne cela. La seule solution pour ne pas devenir fou consiste à dépasser la douleur pour réussir à pardonner à l’infidèle ; mais cela n’est pas à la portée de tout le monde.

        Le discours officiel de l’Église consiste à dire : « Avec l’aide de Dieu, rien n’est impossible ; donc le pardon reste possible malgré le poignard dans le cœur ».

        En supprimant la violence du texte d’Ézekiel, l’Église nie la souffrance. En ce sens, son discours officieux et non assumé revient à dire : « Avec l’aide de Dieu, rien n’est impossible, donc le pardon est possible, donc il est obligatoire ». Cette dernière partie de la phrase ne pourrait pas être audible si l’Église reconnaissait la violence du texte, signe de la souffrance de l’être trompé. Je pense donc que cette sélection tout à fait consciente du texte à garder et du texte à supprimer, concourt délibérément à porter un discours qui, pour la plupart des couples, relève de l’utopie, en le présentant non pas comme un idéal réservé à quelques-uns, mais comme un précepte incontournable s’appliquant à tous, quelle que puisse être l’étendue de la souffrance endurée.

        • Cat-modératrice

          Bonjour Pelostome,

          En ce qui concerne le texte du mercredi des Cendre, je vous ai déjà dit mon point de vue dans mon commentaire précédent.

          Le texte d’Ézéchiel exprime la colère de Dieu, mais il montre tout de même Dieu qui pardonne, donc qu’il y ait le passage enlevé ou non, le message de pardon reste le même.

          Vous dites que l’Église condamne le fait de « se reconstruire par la suite auprès d’un nouvel amour » après un divorce. Mais c’est d’abord Jésus qui condamne cela. Les textes des Évangile sont très clairs sur la condamnation du remariage après un divorce. Et cette explication figure deux fois dans l’Évangile de St Matthieu (Mt 5, 31-32 et Mt 19, 3-9), une fois dans Marc (Mc 10, 2-12) et une fois dans Luc (Lc 16, 18).

          Je pense donc que l’Église n’a pas besoin de moyens si compliqués et si peu explicites que celui dont vous parlez. L’Évangile est assez explicite comme cela.

          Je pense que l’élimination du passage d’Ézéchiel a pour raison le malaise du aux passages montrant de la violence dans la Bible. Pour la même raison que dans beaucoup de psautiers, le passage entre crochets du psaume 137 est passé sous silence. C’est un exemple parmi de nombreuse censures :

          Au bord des fleuves de Babylone
          nous étions assis et nous pleurions,
          nous souvenant de Sion ;
          aux peupliers d’alentour
          nous avions pendu nos harpes.
          Et c’est là qu’ils nous demandèrent,
          nos geôliers, des cantiques,
          nos ravisseurs, de la joie :
          « Chantez-nous, disaient-ils,
          un cantique de Sion. »
          Comment chanterions-nous
          un cantique de Yahvé
          sur une terre étrangère ?
          Si je t’oublie, Jérusalem,
          que ma droite se dessèche !
          Que ma langue s’attache à mon palais
          si je perds ton souvenir,
          si je ne mets Jérusalem
          au plus haut de ma joie!
          [Souviens-toi, Yahvé,
          contre les fils d’Edom,
          du Jour de Jérusalem,
          quand ils disaient: “A bas!
          Rasez jusqu’aux assises!”
          Fille de Babel, qui dois périr,
          heureux qui te revaudra
          les maux que tu nous valus,
          heureux qui saisira et brisera
          tes petits contre le roc !]

          Dans cet exemple il ne s’agit pas de la violence de Dieu, mais de la violence de celui qui prie Dieu.

  5. Pelostome

    Le choix en première lecture de la mise en cause pour prostitution de Jérusalem chez Ézékiel peut contribuer à éclairer d’un jour nouveau l’Évangile du même jour : la condamnation par Jésus du remariage après divorce.

    Tout d’abord, il y au début de ce texte une dynamique que je n’avais pas encore totalement approfondie

    1°) les pharisiens veulent mettre Jésus à l’épreuve ; c’est une situation courante dans l’Évangile. Mais cela signifie aussi qu’en fait, le remariage, ils s’en moquent totalement, leur seul but étant de mettre Jésus en difficulté
    2°) les pharisiens demandent s’il est permis de renvoyer sa femme « pour n’importe quel motif » ; cette demande suppose qu’il y a une gradation des motifs. Il y a même un motif valable selon Jésus : l’AELF le désigne par l’expression « union illégitime », vague et obscure. La Bible Expliquée est plus explicite : l’expression y désigne clairement l’adultère de la femme. En appliquant la loi de l’époque au sens strict, la femme devrait alors être mise à mort, auquel cas le mari devient veuf, et peut alors se remarier sans aucun problème ; le divorce avec remariage devient alors un adoucissement de la peine de l’épouse, qui peut continuer à vivre, mais avec le déshonneur. Il peut y avoir aussi tout un tas de raisons, de ressentiments, de non-dits, qui conduisent les conjoints à se « mal-aimer » au point que l’union n’apporte plus que de la souffrance. Enfin, parmi toute la liste des raisons possibles, il y a le divorce « pour n’importe quel motif » : nous nous sommes aimés, nous ne nous aimons plus, nous nous séparons
    2-bis ) On note que l’adultère de l’homme n’est pas directement concerné ; en fait, sauf erreur de ma part, l’adultère masculin est réprimé par la loi juive à partir du moment où il s’agit d’une femme mariée : l’homme « prend » la femme qui « appartient » à un autre. Pour le reste, la Bible fourmille de patriarches ou de rois qui s’adonnent à l’acte de chair avec des servantes ou des concubines, et aucun d’entre eux n’est jamais lapidé !
    3°) dans le récit de Matthieu, à la différence de celui de Marc, Jésus invoque directement le récit de la création de l’homme et la femme dans la Genèse ; les pharisiens ont beau jeu de souligner l’incohérence : si la loi oblige l’homme à écrire une lettre pour dédouaner sa femme de quelque tort que ce soit lors du divorce, c’est donc que la loi permet le divorce, et « pour n’importe quel motif »
    4°) la Bible Expliquée met en avant le fait qu’à l’époque de Jésus, les lettres de répudiations étaient monnaie courante ; je pense qu’on peut considérer qu’au départ, elles constituaient un pis-aller face à une situation exceptionnelle, et que cette situation exceptionnelle est peu à peu devenue la règle.

    En quelque sorte, l’Église, en érigeant en dogme intangible l’indissolubilité du mariage, a réussi pendant quelques siècles à rétablir le caractère exceptionnel du remariage après divorce. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans la même situation qu’à l’époque de Jésus : les couples ont souvent tendance à se séparer à la moindre contrariété.

    Certes, la crispation de l’Église catholique sur cette question est donc facilement compréhensible – d’autant plus que c’est une différence de taille avec les Églises protestantes, où le mariage n’est pas vu comme un sacrement.

    Le problème, c’est que si l’Église voulait rétablir à nouveau ce caractère exceptionnel, l’Histoire est là pour indiquer avec force que cela n’est possible que dans une théocratie. Je pense que l’Église elle-même ne souhaite pas spécialement ce retour en arrière.

    Elle est donc condamnée à un dilemme cruel : soit elle continue à promouvoir une exigence qui, au niveau spirituel, est extrêmement noble, mais au niveau sociétal, relève d’un combat d’arrière-garde, soit elle reconsidère son rapport au mariage.

    Pour l’instant, c’est la première option qui est choisie, et la manière de réécrire les textes y concourt. Nous avons déjà vu que le réarrangement du texte d’Ezékiel revient à rendre le pardon non plus possible, mais obligatoire ; le choix de l’expression « union illégitime » au lieu d’« adultère » va dans le même sens : alors que Jésus présente cette situation comme pouvant justifier le divorce, l’Église utilise un terme plus difficilement compréhensible.

    Et là où Jésus concède qu’il existe un cas où l’indissolubilité n’est pas une exigence absolue, l’Église proclame que, même en cas d’adultère, le pardon reste possible… donc obligatoire.

    Au moment où François décide d’ouvrir la possibilité de bénir des couples de même sexe ou remariés, une réflexion approfondie sur le mariage en tant que sacrement serait probablement bénéfique.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Je ne pense pas que, si les Pharisiens veulent mettre Jésus à l’épreuve en le questionnant sur le mariage, cela signifie que seule la mise à l’épreuve de Jésus les intéresse, et qu’ils se moquent de la question du mariage. Rien ne montre cela, peut-être que les deux les intéresse. Mais ce n’est pas important, dans tous les cas ils donnent à Jésus l’occasion de donner un enseignement fondamental.

      Quand Jésus dit que le divorce est envisageable en cas d’« union illégitime », il me semble logique qu’il parle justement des cas où le mariage n’est pas valide. Il ne permet donc pas une rupture du mariage.

      La TOB traduit par « union illégale » et la Bible de Jérusalem par « prostitution », ce qui pourrait aller dans votre sens.

      Mon lexique grec (je ne connais pas le grec mais je consulte le lexique) traduit le mot par :

      1) relation sexuelle illicite

      1a) adultère, fornication, homosexualité, mœurs d’une lesbienne, relation avec des animaux etc.

      1b) relation sexuelle avec un proche parent ;

      1c) relation sexuelle avec un ou une divorcée ;

      2) métaph. le culte des idoles

      2a) de la souillure de l’idolâtrie, provenant de la consommation de sacrifices offerts aux idoles.

      Nous ne sommes pas plus avancé, car cela peut aller soit dans votre sens : « adultère ». Soit dans le sens d’un mariage non valide dès le départ : « relation sexuelle avec un proche parent », « relation sexuelle avec un ou une divorcé(e) ».

      Même dans le cas de la traduction du mot par « adultère », cela peut vouloir dire que le mariage n’est pas valide, car il est un adultère, car l’un des deux membres était déjà marié à quelqu’un d’autre.

      Le texte en lui-même permet donc différentes interprétations, y compris celle que vous proposez.

      Vous écrivez :

      Il peut y avoir aussi tout un tas de raisons, de ressentiments, de non-dits, qui conduisent les conjoints à se « mal-aimer » au point que l’union n’apporte plus que de la souffrance. Enfin, parmi toute la liste des raisons possibles, il y a le divorce « pour n’importe quel motif » : nous nous sommes aimés, nous ne nous aimons plus, nous nous séparons.

      Si le mariage est valide au départ, ces raisons que vous citez ne sont pas admises par Jésus comme cause de divorce. Il n’admet pas le remariage mais il n’interdit pas la séparation. Il ne faut pas oublier que l’amour dans le mariage se cultive, et peut renaître même quand on ne ressent plus de sentiment. Les sentiments peuvent revenir quand dans un couple on change de comportement et on apprend à s’aimer vraiment. Mais dans certains cas, la cohabitation n’est en effet plus possible. La séparation est permise, et il est en effet très dur d’interdire le remariage après une séparation, quelle que soit la cause de la séparation. Les disciple de Jésus eux-mêmes ont trouvé cette parole dure.

      Vous écrivez :

      On note que l’adultère de l’homme n’est pas directement concerné.

      D’après la traduction donnée par mon lexique, le mot ne désigne pas l’adultère féminin mais l’adultère tout court. Par contre, comme vous le dites, je crois que la loi juive ne traite pas l’adultère masculin aussi durement que l’adultère féminin.

      Vous écrivez :

      Pour le reste, la Bible fourmille de patriarches ou de rois qui s’adonnent à l’acte de chair avec des servantes ou des concubines, et aucun d’entre eux n’est jamais lapidé !

      En effet…

      Vous écrivez :

      La Bible Expliquée met en avant le fait qu’à l’époque de Jésus, les lettres de répudiations étaient monnaie courante ; je pense qu’on peut considérer qu’au départ, elles constituaient un pis-aller face à une situation exceptionnelle, et que cette situation exceptionnelle est peu à peu devenue la règle.

      Jésus dit en effet que c’était un pis-aller, dû à l’endurcissement du cœur. Je ne suis pas au courant au sujet de cette multiplication des répudiations.

      Vous écrivez :

      Certes, la crispation de l’Église catholique sur cette question [du remariage après divorce]est donc facilement compréhensible – d’autant plus que c’est une différence de taille avec les Églises protestantes, où le mariage n’est pas vu comme un sacrement.

      Le problème, c’est que si l’Église voulait rétablir à nouveau ce caractère exceptionnel, l’Histoire est là pour indiquer avec force que cela n’est possible que dans une théocratie. Je pense que l’Église elle-même ne souhaite pas spécialement ce retour en arrière.

      Elle est donc condamnée à un dilemme cruel : soit elle continue à promouvoir une exigence qui, au niveau spirituel, est extrêmement noble, mais au niveau sociétal, relève d’un combat d’arrière-garde, soit elle reconsidère son rapport au mariage.

      L’Église ne peut pas revenir sur une interdiction aussi clairement prononcée par Jésus. Jésus nous a bien prévenus que nous serions en décalage avec la société, en le suivant. Dans les premiers temps du christianisme, la société ne comprenait pas que les chrétiens ne divorcent pas, refusent l’adultère (même s’il existait forcément secrètement) et ne tuent pas leurs enfants nouveau-nés. Pour autant les chrétiens n’ont pas cherché à s’aligner sur la société. Pourtant, il est vrai que la société a une influence sur la vie des chrétiens eux-mêmes et beaucoup de chrétiens divorcent et se remarient aujourd’hui. L’Église ne les exclue pas même si elle ne peut pas accepter de leur donner la communion – aujourd’hui le pape François autorise la communion des divorcés-remariés dans certains cas.

      Vous écrivez :

      Nous avons déjà vu que le réarrangement du texte d’Ézéchiel revient à rendre le pardon non plus possible, mais obligatoire.

      Je vous ai répondu au sujet d’Ézechiel dans un autre échange. En ce qui concerne le pardon possible ou obligatoire, Jésus dit clairement, à plusieurs reprises dans les Évangiles, que le pardon est obligatoire, qu’il est même une condition pour recevoir le pardon de Dieu.

  6. Pelostome

    Je termine mon triptyque sur l’articulation entre Ezekiel 16 et Matthieu 19. 3-12 par une réflexion glanée sur internet, qui a de quoi ébranler nos idées reçues sur le mariage.

    Le mariage est un sacrement du service, au même titre que l’ordination.

    Or la formation des prêtres dure au minimum 6 ans.

    Les futurs époux, eux, ne bénéficient d’aucune formation : uniquement d’une préparation, qui dure rarement plus d’un an, et se résume à quelques rencontres avec un prêtre, quelques autres avec un couple marié, et un week-end d’approfondissement.

    En d’autres termes, si le prêtre était de niveau master, l’immense majorité des couples mariés à l’église bénéficieraient à peine d’un simple bac. Et puisque les deux sacrements sont des sacrements du service, on devrait attendre des deux la même qualité… L’Église se montre bien piètre manager.

    Je lis sur votre site à propos de la visite du Jean-Paul II au Bourget en 1980 : « …après une saignée inédite qui a vu un tiers des prêtres français quitter le ministère… »

    Dans les années qui ont suivi, j’ai entendu dire que le nombre de vocations sacerdotales recommençait doucement à progresser, mais qu’il est clair qu’il n’atteindra plus jamais les niveaux du début du 20° siècle.

    Avec le recul dont nous disposons maintenant, il serait intéressant de se poser la question du nombre de prêtres quittant le ministère, aujourd’hui ; en d’autres termes : les prêtres sont-ils maintenant moins nombreux, mais plus « fidèles » ?

    Une estimation similaire serait également intéressante pour les couples mariés à l’Église : divorcent-ils moins, autant, voire peut-être plus – qui sait ? – que ceux mariés civilement ?

    Au final, François a promulgué la possibilité de bénir les couples de même sexe ou divorcés remariés. On peut se demander si cette simple bénédiction ne devrait pas être la règle pour la majorité des couples chrétiens, et le sacrement de mariage, une exception impliquant des couples formés pendant plusieurs années à cela.

    Autant que je sache, tous les célibataires ne sont pas forcément appelés au sacrement de l’ordination ; pourquoi tous les couples devraient-ils être appelés au sacrement de mariage ?

    L’Église gagnerait peut-être à paraphraser la parole de Jésus sur le célibat en la renversant pour l’appliquer à l’amour charnel : « Il y a des gens qui forment un couple simplement parce qu’ils ont la possibilité physique d’avoir des relations sexuelles ; il y en a qui se marient civilement pour des questions humaines, légales, administratives ; il y en a qui ont choisi de se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! »

    • Cat-modératrice

      Re-bonjour Pelostome,

      Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par « le mariage et l’ordination sont des sacrements du service ».

      Je trouve démesuré que la formation des prêtres dure obligatoirement 6 ans. Aujourd’hui un Saint Curé d’Ars ne pourrait pas être prêtre, et il a déjà eu beaucoup de mal à le devenir à son époque. 6 ans de formation intellectuelle peuvent être très bénéfiques pour certains prêtres, mais cela ne devrait pas être obligatoire pour tous. Les premiers prêtres n’étaient pas tous des intellectuels, et pourtant ils ont tous été canonisés (sauf Judas). Une formation intellectuelle très poussée n’empêche pas des catastrophes de se produire, cela ne protège pas de tout, on en a la preuve régulièrement, malheureusement.

      En ce qui concerne les couples, Jésus enseigne que les relations sexuelles ne doivent pas avoir lieu avant le mariage. Il dit, en citant le livre de la Genèse : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme, et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer » (Matthieu 19, 4-6). C’est à travers les relations sexuelles que l’homme et la femme ne font plus qu’uns et sont unis indissolublement.

      Donc si on imposait une longue formation au couple avant le mariage, cela les empêcherait de faire vie commune avant la fin de cette formation. Et je ne suis pas sûre que, comme pour les prêtres, une formation intellectuelle puisse pallier à tous les problèmes. D’ailleurs de nombreuses personnes ne sont pas intellectuelles et seraient ainsi interdites de mariage.

      On peut certainement faire mieux pour la formation au mariage, mais pour ma part je n’ai pas les compétences pour conseiller ceux qui organisent ces formations. Pour moi ce n’est pas la longueur de la formation qui fait les choses et je pense même qu’un an de formation c’est trop long.

      En ce qui concerne la bénédiction des couples illégitimes permise par le pape François, le texte qui permet ces bénédictions précise bien que ces couples sont dans une situation de péché.

      • Pelostome

        Bonjour,

        je relis avec assez d’inquiétude votre passage de Matthieu 19, 4-5 où Jésus répond aux pharisiens : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme, et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? »

        Or, en Genèse 2, 23-24, je lis : « L’homme dit alors : ‘Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish.’ À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. »

        J’ai longtemps cru que cette deuxième phrase était prononcée par l’homme. Vous m’avez fait remarquer que ce n’est pas le cas : elle est écrite par l’auteur du livre de la Genèse.

        Or, Jésus prétend que cette phrase a été prononcée par Dieu lui-même. Ce n’est pas ce qui écrit dans la Bible.

        Vous m’avez dit également que Jésus lui-même interprète l’Ancien Testament à la lumière de sa propre existence ; je ne pensais pas qu’il allait jusqu’à travestir l’Ancien Testament. Cela me rend encore plus défiant vis-à-vis de la parole de l’Église.

        Du coup, je me pose une autre question. Vous m’écrivez : « C’est à travers les relations sexuelles que l’homme et la femme ne font plus qu’uns et sont unis indissolublement. »

        Qui a décrété que ce sont les relations sexuelles qui font cela ? N’est-ce pas plutôt la vie commune, le fait de construire un projet de vie ensemble, de faire face aux drames de l’existence, de partager une intimité non seulement charnelle, mais également affective, intellectuelle, spirituelle ?

        Si je me dois de douter même de la parole de Jésus, alors je pense qu’il est légitime de questionner des préceptes qui sont présentés depuis des siècles comme véridiques, sans véritable justification.

        • Cat-modératrice

          Bonjour Pelostome,

          Si la Bible est la parole de Dieu, on peut considérer que ce qui est dit par l’auteur du livre est dit par Dieu. Pas au même titre que le Coran pour les musulmans qui considèrent qu’il a été dicté au nom de Dieu. Mais les chrétien considèrent bien que la Bible est la Parole de Dieu. En tout cas, quand il dit que cette phrase de la Genèse a été dite par Dieu, Jésus affirme l’inspiration de cette phrase.

          Au sujet du fait que Jésus interprète l’Ancien Testament comme parlant de lui, il le dit très clairement dans le texte qui a été lu à la messe jeudi matin, et qui m’a fait penser à l’échange que nous avons eu :

          « Vous scrutez les Écritures,

          parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle,

          et ce sont elles qui me rendent témoignage,

          et vous ne voulez pas venir à moi

          pour avoir la vie!  » Jean 5, 39-40

          et « Car si vous croyiez Moïse,

          vous me croiriez aussi,

          car c’est de moi qu’il a écrit.

          Mais si vous ne croyez pas à ses écrits,

          comment croirez-vous à mes paroles ? » Jean 5, 46-47

          Vous écrivez :

          Vous m’écrivez : « C’est à travers les relations sexuelles que l’homme et la femme ne font plus qu’uns et sont unis indissolublement. »

          Qui a décrété que ce sont les relations sexuelles qui font cela ? N’est-ce pas plutôt la vie commune, le fait de construire un projet de vie ensemble, de faire face aux drames de l’existence, de partager une intimité non seulement charnelle, mais également affective, intellectuelle, spirituelle ?

          C’est à la lumière du texte de la Genèse cité par Jésus que j’ai écrit cela. Donc celui qui l’a décrété, c’est Dieu à travers la Genèse puis à travers Jésus. Si c’était la vie commune et les épreuves partagées qui rendaient le mariage indissoluble, alors il ne deviendrait indissoluble qu’après un certain temps de mariage.

          • Pelostome

            Bonjour,

            la Bible est une Parole de Dieu révélée à travers l’histoire des hommes. L’auteur du Livre de la Genèse part d’une situation humaine préexistante à son texte : le mariage, qui est, selon les cas, et parfois en même temps, la sacralisation d’un amour humain par les amoureux eux-mêmes et / ou une politique d’alliance entre deux familles dans le cadre de la société patriarcale antique. À partir de cette situation humaine, il établit un sens religieux. C’est le propre de toute religion : assimiler des éléments naturels ou sociaux pour élever l’âme humaine.

            S’appuyer sur ce point pour attribuer tout ce qui est écrit dans la Bible à la volonté divine, je crois que c’est aller un peu trop vite en besogne. Lors de notre échange sur l’extermination du peuple d’Amalec, soi-disant sur ordre de Dieu à Saül, vous m’écriviez : « Ce ne peut pas être un texte historique, Dieu ne peut pas avoir demandé une telle chose. Et cela ne m’intéresserait pas de m’approcher d’un Dieu aussi incohérent et inhumain. Je pense que lorsque l’auteur a rédigé ce texte, tout le monde savait que les choses ne s’étaient pas passées ainsi, mais qu’il a voulu rédiger un texte symbolique pour insister sur le devoir d’obéissance envers Dieu. »

            Pour ma part, je pense qu’il peut très bien s’agir d’un épisode historique, d’une grande barbarie (comme pour la vengeance des fils de Jacob lors du viol de Dinah), sans forcément de cause religieuse, à partir duquel l’auteur a sans doute voulu, comme vous le dites, tirer un sens symbolique. Il est à noter que si c’est toutefois vous qui avez raison, alors c’est que la Bible est à la limite du vice, car il y avait bien d’autres moyens d’insister sur l’obéissance à Dieu qu’en présentant une situation objective de génocide.

            Il me semble que c’est tout le souci des contradicteurs de Jésus que vous citez. J’avoue qu’en lisant vos citations : « Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, et ce sont elles qui me rendent témoignage, et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie!  » (Jean 5, 39-40) et « Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ? » (Jean 5, 46-47), je ne sais pas trop si je dois prendre cela comme une marque de sollicitude envers mes recherches bibliques ou comme une accusation de blasphème et un rangement dans la même case que celle des pharisiens et scribes hypocrites qui font mine d’interroger Jésus mais ne veulent surtout pas accueillir sa réponse.

            C’est peut-être vrai ; cependant, les pharisiens sont attachés à la lettre de la loi de manière très rigide et ne souhaitent pas la voir évoluer. De mon côté, le fait que Jésus interprète l’Ancien Testament comme parlant de lui, ça ne me gêne pas outre mesure. Simplement, je note qu’il va plus loin, en modifiant délibérément le texte biblique tout en prétendant que pas un iota n’en changera… Je suis vraiment désolé d’en rajouter, mais ce vendredi 11 avril, il y a un nouvel exemple en Jean 10, 34 lorsque Jésus déclare : « N’est-il pas écrit dans votre Loi : J’ai dit : Vous êtes des dieux ? »

            Ce que Jésus appelle « votre Loi », c’est le… psaume 82 !

            Et les psaumes sont des… chansons ! C’est fort, non ?

            Cela dit, je pense que Jésus prend l’Écriture non pas à la lettre, mais dans son esprit, en apportant une réelle nouveauté, parce que la perception du monde a changé, et une loi figée dans ses préceptes et ses interdits finit par enchaîner au lieu de libérer. Ma manière de questionner la loi imposée par l’Église depuis des millénaires est du même ordre, finalement. Il s’agit en quelque sorte de déconstruire, de faire la part des choses entre ce qui est issu des conventions humaines, et un sens symbolique qui peut se manifester pour grandir spirituellement. J’ajoute que, contrairement au chant du serviteur d’Isaïe qui semble effectivement un portrait craché de Jésus, j’ai du mal à voir à quel moment Moïse « a écrit de lui ». Avez-vous des informations sur ce passage ?

            De votre côté, je lis dans votre commentaire : « C’est à la lumière du texte de la Genèse cité par Jésus que j’ai écrit cela ». Or le texte énonce : ‘« Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.’

            Le texte parle de quitter père et mère pour s’attacher à son conjoint : il s’agit de fonder une nouvelle famille en quittant ses ascendants. Où diable voyez-vous une allusion sexuelle ?

            Cela dit, je suis d’accord lorsque vous notez que si c’est la vie commune, ses joies et ses épreuves, qui font l’indissolubilité du mariage, alors il faut attendre plusieurs années avant que celui-ci devienne indissoluble : c’est justement le sens de la remarque que j’avais faite précédemment.

            Sans revenir outre mesure sur notre échange concernant la formation des prêtres, je note que c’est la même chose pour les diacres mariés. Ils sont soumis à 6 années de formation initiale : 3 à 4 ans avant l’ordination, 2 à 3 ans après ; puis ils sont tenus à une formation permanente tout au long de leur vie. On notera que leur femme doit également se former alors qu’elle ne sera jamais ordonnée.

            Il est clair que l’Église n’est pas disposée à accorder ce sacrement, un sacrement du service, à n’importe quel homme. Au chapitre 3 de sa première lettre à Timothée, Saint Paul est éloquent à cet égard : « On les mettra d’abord à l’épreuve ; ensuite, s’il n’y a rien à leur reprocher, ils serviront comme diacres. »

            Or le mariage, je le répète, est aussi un sacrement du service. Et là, miraculeusement, il suffirait d’une simple année, non pas de formation, mais juste de « préparation », alors que les préoccupations religieuses arrivent le plus souvent bien loin derrière le choix de la salle de bal, du traiteur et de l’animation musicale, pour que le sacrement de mariage ait la même valeur que celui du diacre. J’ai franchement du mal à y croire. N’oublions pas non plus qu’après son ordination, le diacre est tenu de se former tout au long de sa vie… mais pas les mariés ! Dans la mesure où l’Église a absolument tenu à sacraliser à ce point le mariage, est-ce à ce point blasphématoire d’envisager une simple bénédiction pour la majorité des couples, et un vrai sacrement du service à ceux qui ont quelque chance de donner un vrai témoignage en ce sens ?

            Il y aurait peut-être un moyen d’avoir une estimation à ce sujet. Un prêtre m’a dit un jour que sur le registre de mariage, après la célébration religieuse, il a la possibilité de noter, en son âme et conscience, que le couple qui vient de s’unir à l’église n’est pas marié devant Dieu. Il serait peut-être intéressant de comptabiliser combien de couples sont ainsi actuellement dans une situation de mariage invalide – et donc, selon les préceptes de l’Église, dans une situation de péché, puisqu’ils vivent en couple sans être mariés. Ça pourrait peut-être relativiser un certain nombre d’idées reçues sur l’intangibilité maladive de lois prétendument divines qui tiennent quand même beaucoup de la tradition.

            • Cat-modératrice

              Bonjour Pelostome,

              Voici ce que dit le Catéchisme de l’Église Catholique au sujet de l’inspiration de la Bible :

              « 105 Dieu est l’Auteur de l’Écriture Sainte. “La vérité divinement révélée, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y a été consignée sous l’inspiration de l’Esprit-Saint”.

              “Notre Sainte Mère l’Église, de par sa foi apostolique, juge sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même” (DV 11).

              106 Dieu a inspiré les auteurs humains des livres sacrés. “En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement” (DV 11).

              107 Les livres inspirés enseignent la vérité. “Dès lors, puisque toutes les assertions des auteurs inspirés ou hagiographes doivent être tenues pour assertions de l’Esprit Saint, il faut déclarer que les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée pour notre salut dans les Lettres sacrées” (DV 11).

              108 Cependant, la foi chrétienne n’est pas une “religion du Livre”. Le christianisme est la religion de la “Parole” de Dieu, “non d’un verbe écrit et muet, mais du Verbe incarné et vivant” (S. Bernard, hom. miss. 4,11). Pour qu’elles ne restent pas lettre morte, il faut que le Christ, Parole éternelle du Dieu vivant, par l’Esprit Saint nous “ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures” (Lc 24,45). »

              J’ai moi aussi du mal avec le récit de Dieu commandant un génocide, mais Jésus lui-même, qui était très pacifique dans ses actes et dans ce qu’il ordonnait à ses disciples, utilise régulièrement des images de mise à mort dans ses paraboles. Je pense qu’il nous manque du contexte pour vraiment comprendre.

              Vous écrivez :

              J’avoue qu’en lisant vos citations : « Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, et ce sont elles qui me rendent témoignage, et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie! » (Jean 5, 39-40) et « Car si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ? » (Jean 5, 46-47), je ne sais pas trop si je dois prendre cela comme une marque de sollicitude envers mes recherches bibliques ou comme une accusation de blasphème et un rangement dans la même case que celle des pharisiens et scribes hypocrites qui font mine d’interroger Jésus mais ne veulent surtout pas accueillir sa réponse.

              Je vous assure que pas un instant il ne m’est venu à l’esprit que ces citations puissent vous accuser de blasphème, ce n’était absolument pas mon intention. J’ai cité ces textes, après les avoir entendus à la messe, parce qu’ils confirment le fait que Jésus lui-même interprète l’Ancien Testament comme parlant de lui. Jésus reproche aux Pharisiens de ne pas croire en lui et de vouloir le tuer, notamment parce qu’il venait de guérir quelqu’un le jour du sabbat. Je ne pense pas que l’on puisse vous mettre dans le même sac qu’eux !

              Vous écrivez :

              Jésus déclare : « N’est-il pas écrit dans votre Loi : J’ai dit : Vous êtes des dieux ? »

              Ce que Jésus appelle « votre Loi », c’est le… psaume 82 !

              Et les psaumes sont des… chansons !

              Mon logiciel Ictus Win me dit que le mot traduit par « loi » est le mot grec qui se dit phonétiquement « nomoj », et qui peut avoir les traductions suivantes :

              1) toute chose établie, toute chose acceptée par l’usage, une coutume, une loi, un commandement

              1a) de toute loi

              1a1) loi ou règle produisant un état approuvé de Dieu

              1a1a) dont l’observation est approuvée de Dieu

              1a2) un précepte ou une injonction

              1a3) règle d’action prescrite par la raison

              1b) de la loi Mosaïque, et ce qui s’y réfère, le contexte, la loi et son contenu

              1c) la religion Chrétienne : la loi demandant la foi, l’instruction morale donnée par Jésus-Christ, les préceptes concernant l’amour

              1d) le nom de la portion la plus importante (le Pentateuque), nom donné à toute la collection des livres sacrés de l’Ancien Testament.

              Ce mot peut donc aussi bien désigner la loi de Moïse que « toute la collections des livres sacrés de l’Ancien Testament ». Du coup, on peut se poser la question du choix du traducteur qui a employé le mot « loi » alors qu’il aurait pu traduire par « dans vos textes sacrés ». Même dans la Bible de Jérusalem, dont la traduction est scientifique et généralement plus juste que d’autres, le mot « loi » est employé.

              Vous écrivez :

              J’ajoute que, contrairement au chant du serviteur d’Isaïe qui semble effectivement un portrait craché de Jésus, j’ai du mal à voir à quel moment Moïse « a écrit de lui ». Avez-vous des informations sur ce passage ?

              Beaucoup de textes de l’Ancien Testament étaient traditionnellement attribués à Moïse, de même que les Psaumes sont attribués à David. Cela a un sens symbolique d’attribuer ces textes à Moïse, même si on sait qu’en réalité ce n’est pas lui qui les a écrits. Je pense qu’en parlant de Moïse, ici Jésus fait une figure de style pour parler de tout l’Ancien Testament. Mais Jésus s’attribue aussi des passages de l’Exode, puisqu’il explique que le serpent d’airain élevé par Moïse pour sauver les Israélites mordus par les serpents est un symbole de sa crucifixion. Et bien sûr la Pâque juive, le passage de la mer rouge et la libération d’Égypte sont des symbole de la Pâque de Jésus qui nous libère.

              Vous écrivez :

              Or le texte énonce : ‘« Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.’

              Le texte parle de quitter père et mère pour s’attacher à son conjoint : il s’agit de fonder une nouvelle famille en quittant ses ascendants. Où diable voyez-vous une allusion sexuelle ?

              Vous citez ici la traduction liturgique. La Bible de Jérusalem traduit : « C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (texte de la Genèse), « Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? » (texte de saint Matthieu où Jésus cite la Genèse). Je ne peux pas vous donner la traduction du mot hébreu de la Genèse, mais le mot grec employé par Jésus citant la Genèse est en phonétique « sarx », dont les traductions possibles sont :

              1) la chair (la substance du corps vivant, qui recouvre les os, et qui est irriguée par le sang) de l’homme et des animaux

              2) le corps

              2a) le corps d’un homme

              2b) utilisé pour l’origine naturelle ou physique

              2b1) ce qui est né de génération naturelle

              2c) la nature sensuelle de l’homme, “la nature animale”

              2c1) sans aucune suggestion de dépravation

              2c2) la nature animale avec ses désirs impérieux qui incitent au péché

              2c3) la nature physique de l’homme sujette aux souffrances

              3) une créature vivante (parce que possédant un corps de chair) que ce soit homme ou animal

              4) la chair, qui dénote la nature humaine, la nature terrestre de l’homme séparé de l’influence divine et de là prompt au péché et à l’opposition à Dieu (Lexique grec-français – sarx)

              Donc l’homme et la femme ne feront qu’une seule chair ou qu’un seul corps, et Jésus dit que c’est pour cela qu’il ne faut plus les séparer.

              Du coup, on peut se demander pourquoi la traduction liturgique appauvrit ainsi le texte en éliminant la dimension sexuelle fondamentale de ce texte.

              Vous écrivez :

              Or le mariage, je le répète, est aussi un sacrement du service.

              Je crois que vous m’avez déjà parlé de cette classification des sacrements, qui n’est pas une classification reconnue par l’Église catholique. Il me semble que le service n’est pas du tout la caractéristique première du mariage.

              Vous avez déjà parlé de votre regret de manque de formation pour les mariés. Je pense cependant qu’il n’est pas bon d’obliger les fiancés à attendre des années avant de se marier, et de plus il ne faudrait pas que le mariage devienne un sacrement réservé à ceux qui ont les capacités intellectuelles pour une telle formation. Je regrette déjà que la formation des prêtres réserve le sacerdoce à des hommes intellectuels, ce que n’étaient pas les premiers prêtres de l’histoire de l’Église, et ils ont tous été canonisés, sauf Judas. Le saint curé d’Ars a failli ne pas pouvoir devenir prêtre à cause de son faible niveau scolaire.

              Vous écrivez :

              Dans la mesure où l’Église a absolument tenu à sacraliser à ce point le mariage, est-ce à ce point blasphématoire d’envisager une simple bénédiction pour la majorité des couples, et un vrai sacrement du service à ceux qui ont quelque chance de donner un vrai témoignage en ce sens ?

              Cela voudrait dire que la majorité des couples ne seraient pas unis d’une manière indissoluble. Or Jésus affirme d’une manière très forte que l’homme et la femme qui se sont unis en une seule chair ne doivent plus être séparés. Ses apôtres eux-mêmes sont très choqués par cette exigence.

              Vous écrivez :

              Un prêtre m’a dit un jour que sur le registre de mariage, après la célébration religieuse, il a la possibilité de noter, en son âme et conscience, que le couple qui vient de s’unir à l’église n’est pas marié devant Dieu.

              Les prêtres doivent noter les éléments qui peuvent aller dans le sens d’une non validité du mariage, mais s’ils sont sûrs que le mariage ne peut pas être valide, ils doivent normalement refuser de célébrer le mariage.

              Vous écrivez :

              Il serait peut-être intéressant de comptabiliser combien de couples sont ainsi actuellement dans une situation de mariage invalide – et donc, selon les préceptes de l’Église, dans une situation de péché, puisqu’ils vivent en couple sans être mariés.

              Les personnes qui ont célébré un mariage qui en réalité n’est pas valide ne sont pas dans le péché, puisqu’elles ignorent qu’elles ne sont en fait pas mariées. Le code de droit canonique explique que tant qu’un mariage n’a pas été déclaré nul officiellement, il faut vivre comme s’il était valide. De même que les enfants nés d’un mariage nul sont, d’après le code de droit canonique, des enfants légitimes et non illégitimes.

              • Pelostome

                Bonjour,

                décidément, j’apprends beaucoup avec vous ; j’ai quand même l’impression que le Catéchisme de l’Église Catholique insiste lourdement sur l’infaillibilité auto-proclamée des Écritures : grâce à la multiplicité des sens possibles détaillés par le lexique Grec – Français sarx (11 acceptions différentes pour le mot « chair »), dans la Bible, tout est divin, tout est loi, tout est christique ! Dans cette optique, je ne vois pas pourquoi les dimensions du Temple ne seraient pas également divines, légales et christiques… Je note cependant dans le CEC, 108 : ‘Pour qu’elles ne restent pas lettre morte, il faut que le Christ, Parole éternelle du Dieu vivant, par l’Esprit Saint nous « ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures »’

                Le Christ ayant été reconnu pleinement homme, je suis intimement persuadé que nous avons un besoin crucial d’ouvrir notre esprit à cette intelligence en confrontant notre foi aux apports des sciences, à la mettre à l’épreuve de la nature et de l’humanité. C’est cela que je veux dire quand j’écris que la Bible est une Parole de Dieu révélée à travers l’histoire des hommes : elle offre plusieurs niveaux de lecture. Rien n’interdit, par exemple, de lire la rivalité entre Saül et David comme un coup d’état, à partir duquel les auteurs bibliques ont délibérément noirci le portrait du premier et ornementé la légende du second ; ça n’enlève rien à l’aspect spirituel, mais ça remet les choses en perspective et ça vaccine quelque peu contre les tentations sectaires.

                Mais puisque vous vous appuyez sur les sens multiples pour justifier l’expression « une seule chair » par la traduction « un seul corps », pourquoi ne pas se référer à https://www.liturgie-catholique.alsace/wp-content/uploads/2021/05/nous-formons-un-meme-corps.pdf → ‘Les paroles du refrain reprennent presque mot pour mot l’exhortation de Paul : «Nous formons un même corps, nous qui avons part au même pain, et Jésus Christ est la tête de ce corps : l’Eglise du Seigneur»’

                Je vois mal une assemblée dominicale avec un sens sexuel… donc je ne vois pas en quoi le sens sexuel l’emporterait dans le couple et la famille, « petite Église domestique », sur le sens de la vie commune, sur le modèle de la… Sainte Famille.

                En ce qui concerne le sacrement du mariage et celui de l’ordre, la classification que j’ai observée est franchement très répandue

                https://www.cathobel.be/eglise-en-belgique/cipl-accueil/sacrements-service-de-communion/
                https://www.la-croix.com/Definitions/Lexique/Sacrement/Les-sacrements-du-service-de-la-communion
                http://www.cursillos.ca/formation/documents/compendium-quest-sacrements/catquest321.htm
                https://52.catholique.fr/Les-7-sacrements-de-l-Eglise-catholique → « Les sacrements dits au service de la mission des chrétiens : Le Sacrement de mariage et le sacrement de l’ordre (diacre, prêtre et évêque) »

                Cela n’est pas du tout étonnant quand on considère… le Catéchisme de l’Église Catholique, en 1534 : « Deux autres sacrements, l’Ordre et le Mariage, sont ordonnés au salut d’autrui. S’ils contribuent également au salut personnel, c’est à travers le service des autres qu’ils le font. »

                J’ai donc vraiment du mal à vous entendre dire qu’il ne s’agit pas de la classification reconnue par l’Église.

                Pour ce qui est de la formation des prêtres, des diacres et des mariés, il se trouve que j’ai entendu dernièrement un jeune étudiant en cuisine dire qu’il vise le Master Cuisine : bac + 5 ! Or la cuisine est un métier tout ce qu’il y a de plus manuel. Ce n’est pas parce qu’une formation prend le temps pour l’excellence qu’elle est réservée aux intellectuels !

                Quant à votre remarque « Cela voudrait dire que la majorité des couples ne seraient pas unis d’une manière indissoluble », elle semble effectivement partagée au plus haut de la chrétienté : https://www.la-croix.com/Religion/Pape/Aux-yeux-pape-grande-majorite-mariages-sont-nuls-2016-06-17-1200769522

                Je retrouve d’ailleurs dans cet article un travers que j’avais déjà noté il y a plusieurs années : ‘Dans sa retranscription de l’improvisation du pape, le Vatican a écrit qu’il avait dit « une partie de nos mariages sacramentels sont nuls » mais en réalité il a affirmé « la grande majorité »’

                Alors excusez-moi, mais quand le premier journal chrétien de France affirme que le Vatican trahit les paroles mêmes du Pape, ne vous semble-t-il pas pertinent de cultiver un doute salutaire sur tout ce que le Vatican affirme, sur tous les sujets, y compris les sujets de société, y compris la Bible ?

                • Cat-modératrice

                  Bonjour Pelostome,

                  Vous écrivez :

                  J’ai quand même l’impression que le Catéchisme de l’Église Catholique insiste lourdement sur l’infaillibilité auto-proclamée des Écritures : grâce à la multiplicité des sens possibles détaillés par le lexique Grec – Français sarx (11 acceptions différentes pour le mot « chair »), dans la Bible, tout est divin, tout est loi, tout est christique ! Dans cette optique, je ne vois pas pourquoi les dimensions du Temple ne seraient pas également divines, légales et christiques…

                  L’infaillibilité des Écritures est auto-proclamée, dans le sens où Jésus lui-même dit que : « l’Écriture ne peut être récusée » (Jean 10, 35) et « avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. » (Matthieu 5, 18), et il parle de la Parole de Dieu quand il parle des Écritures. C’est donc à travers la bouche de Jésus que la Bible affirme être infaillible. Dans ce sens on peut dire que c’est une infaillibilité auto-proclamée, mais selon la doctrine chrétienne, et à mes yeux, les paroles de Jésus sont directement les paroles de Dieu même, contrairement aux autres écrits de la Bible qui sont passés par une médiation humaine. Bien sûr ce sont des hommes qui ont transcrit les paroles de Jésus, mais ils ont retranscrit directement la Parole de Dieu.

                  Je ne suis pas d’accord par contre avec le fait de dire « Tout est loi ». Tout est divin mais tout n’est pas loi. Les dimensions du temple sont aussi la Parole de Dieu. Je n’ai pas cherché à comprendre ce que cela peut nous dire sur le plan spirituel, mais certains auteurs l’ont fait.

                  Le nombre de traductions possibles pour un même mot est encore plus important dans l’Ancien Testament hébreu, car l’hébreu était une langue très simple et très concrète (je parle au passé car je ne sais pas comment l’hébreu moderne a évolué), où l’on employait des mots concrets, matériels, pour décrire des réalités spirituelles. Ces différentes traductions possibles en grec et en hébreu expliquent la multiplicité des traductions qui peuvent exister pour un même passage biblique. Les traductions que nous avons en français sont des choix faits par les traducteurs qui peuvent faire des contre-sens par rapport aux intentions des auteurs.

                  Vous écrivez :

                  Le Christ ayant été reconnu pleinement homme, je suis intimement persuadé que nous avons un besoin crucial d’ouvrir notre esprit à cette intelligence en confrontant notre foi aux apports des sciences, à la mettre à l’épreuve de la nature et de l’humanité. C’est cela que je veux dire quand j’écris que la Bible est une Parole de Dieu révélée à travers l’histoire des hommes : elle offre plusieurs niveaux de lecture. Rien n’interdit, par exemple, de lire la rivalité entre Saül et David comme un coup d’état, à partir duquel les auteurs bibliques ont délibérément noirci le portrait du premier et ornementé la légende du second ; ça n’enlève rien à l’aspect spirituel, mais ça remet les choses en perspective et ça vaccine quelque peu contre les tentations sectaires.

                  Saint Jean-Paul II a affirmé que foi et raison étaient toutes les deux indispensables. La science n’est pas l’ennemie de la foi. L’Église a peu à peu admis la théorie de l’évolution, qui éclaire notre foi sur la façon dont Dieu a créé l’être humain. Cependant, on ne peut pas prendre comme des certitudes toutes les théories scientifiques, notamment des sciences humaines. Il est bon que les découvertes des sciences humaines nous fassent réfléchir voire nous remettre en question, mais on ne peut pas faire varier la foi au gré des différents courants. Et pour les chrétiens, nous avons certains éléments de notre foi qui ne peuvent pas être remis en question, notamment les dogmes, mais pas seulement.

                  Oui la Parole de Dieu offre plusieurs niveaux de lectures. Que l’histoire de Saül et David s’inspire d’un fait réel sans le relater fidèlement, mais l’utilise comme base pour un enseignement spirituel, pourquoi pas, on ne le saura qu’au Ciel. Mais je ne comprends pas en quoi cela vaccine contre les tentations sectaires, ni ce que vous entendez pas « tentations sectaires » ?

                  Vous écrivez :

                  Mais puisque vous vous appuyez sur les sens multiples pour justifier l’expression « une seule chair » par la traduction « un seul corps », pourquoi ne pas se référer à https://www.liturgie-catholique.alsace/wp-content/uploads/2021/05/nous-formons-un-meme-corps.pdf → ‘Les paroles du refrain reprennent presque mot pour mot l’exhortation de Paul : «Nous formons un même corps, nous qui avons part au même pain, et Jésus Christ est la tête de ce corps : l’Eglise du Seigneur»’

                  Je vois mal une assemblée dominicale avec un sens sexuel… donc je ne vois pas en quoi le sens sexuel l’emporterait dans le couple et la famille, « petite Église domestique », sur le sens de la vie commune, sur le modèle de la… Sainte Famille.

                  Quand saint Paul dit « Nous ne sommes qu’un seul corps » (1Corinthiens 10, 17), il emploi le terme grec « soma » pour parler du corps, et non « sarx ».

                  Saint Paul interprète clairement le « faire une seule chair » dans un sens sexuel : « Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps? Car il est dit : Les deux ne seront qu’une seule chair. Celui qui s’unit au Seigneur, au contraire, n’est avec lui qu’un seul esprit. » (1Corinthiens 6, 16-17).

                  Je ne pense pas que Dieu voulait que le premier homme et la première femme soient uns de la même manière que Marie et Joseph, étant donné qu’il leur a dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre. » (Genèse 1, 26). Il ne le dit pas dans le même récit de la création, mais c’est bien le même Dieu.

                  En ce qui concerne la classification des sacrements, vous avez écrit la dernière fois que l’ordination et le mariage étaient des « sacrements du service ». Vous me donnez des liens vers des articles qui disent que le mariage est un « sacrement du service de la communion ». Le Catéchisme de l’Église Catholique classe en effet le mariage et l’ordination comme au service « de la communion et de la mission des fidèles ». Pour moi je ne comprends pas du tout de la même manière « sacrement du service » et « sacrement du service de la communion ». Excusez-moi si je vous ai mal compris.

                  Vous écrivez :

                  Pour ce qui est de la formation des prêtres, des diacres et des mariés, il se trouve que j’ai entendu dernièrement un jeune étudiant en cuisine dire qu’il vise le Master Cuisine : bac + 5 ! Or la cuisine est un métier tout ce qu’il y a de plus manuel. Ce n’est pas parce qu’une formation prend le temps pour l’excellence qu’elle est réservée aux intellectuels !

                  Je suis d’accord avec vous, mais de fait, la formation actuelle des prêtres est très intellectuelle et barre l’accès au sacerdoce à des personnes qui pourraient être d’aussi saints prêtres que certains pêcheurs de Galilée.

                  Et même si la formation était plus adaptée, je pense qu’il ne serait pas bon du tout de demander aux couples de retarder leur mariage et leur vie commune pendant toutes ces années. La formation continue serait peut-être une bonne solution, mais je ne vois pas trop comment forcer les couples à le faire.

                  Vous écrivez :

                  Quant à votre remarque « Cela voudrait dire que la majorité des couples ne seraient pas unis d’une manière indissoluble », elle semble effectivement partagée au plus haut de la chrétienté : https://www.la-croix.com/Religion/Pape/Aux-yeux-pape-grande-majorite-mariages-sont-nuls-2016-06-17-1200769522

                  Il est très possible que la majorité des mariages soient nuls. Mais ma phrase était en réponse à ce que vous aviez écrit : « est-ce à ce point blasphématoire d’envisager une simple bénédiction pour la majorité des couples, et un vrai sacrement du service à ceux qui ont quelque chance de donner un vrai témoignage en ce sens ? » Ce n’est pas du tout pareil de constater que des mariages qui ont eu lieu en toute bonne foi soient nuls, et de dire à des couples de vivre ensemble sans être mariés.

                  Vous écrivez :

                  Je retrouve d’ailleurs dans cet article un travers que j’avais déjà noté il y a plusieurs années : ‘Dans sa retranscription de l’improvisation du pape, le Vatican a écrit qu’il avait dit « une partie de nos mariages sacramentels sont nuls » mais en réalité il a affirmé « la grande majorité »’

                  Alors excusez-moi, mais quand le premier journal chrétien de France affirme que le Vatican trahit les paroles mêmes du Pape, ne vous semble-t-il pas pertinent de cultiver un doute salutaire sur tout ce que le Vatican affirme, sur tous les sujets, y compris les sujets de société, y compris la Bible ?

                  Le pape François est souvent revenu lui-même sur des déclarations qu’il avait eues spontanément, a demandé leur modification ou leur suppression sur le site du Vatican. Je pense que c’est lui-même qui a voulu cette correction pour nuancer ses propos. Le but du site du Vatican est de présenter la position officielle de l’Église et la pensée des papes. Les corrections concernant les propos spontanés permettent de présenter cette pensée de manière plus réelle. De fait le pape François a toujours eu tendance à faire des déclarations percutantes, qu’il a plus d’une fois nuancées par la suite.

                  Mais le Vatican n’est pas parfait, loin de là, et le pape n’est infaillible que dans de très rares occasions.

  7. Pelostome

    Bonjour Cat,

    merci pour toutes vos réponses ; je vous prie d’accepter mes excuses pour être parti dans des directions différentes selon l’évolution de mes réflexions et les nouveaux textes lus dans l’intervalle. Je vais essayer de faire une synthèse de ce que j’en retire.

    Le point de départ était le chapitre 38 du livre d’Isaïe, dans lequel la liturgie intervertit sciemment des versets. Vous avez répondu simplement « C’est bizarre » ; il m’a semblé, moi, que c’est plus profond et beaucoup moins innocent que cela. Au passage, comme l’interversion des versets est soi-disant justifiée par le fait que ce texte est un doublon du chapitre 20 du livre des Rois, je ne comprends toujours pas pourquoi ce n’est pas le livre des Rois qui est cité dans la liturgie.

    Il m’est alors apparu que depuis les origines – en fait : depuis les Évangiles – l’Église a tendance à triturer les textes bibliques à sa sauce. J’ai pris pour exemple le dogme de la conception virginale, que Mathieu justifie par le chapitre 7 d’Isaïe où l’annonce de l’enfantement d’un bébé par une jeune femme est interprété comme l’enfantement du Messie par une vierge. J’ai donc cité le chapitre 8 où se trouve également annoncé un enfantement, sans aucune mention messianique ni virginale. Je ne voulais en aucun cas signifier qu’il s’agissait du même enfant. Je voulais insister sur le fait que pour Isaïe, le sens des deux chapitres était exactement le même, bien que les deux enfants diffèrent.

    Que Mathieu ait donné un nouvel éclairage sur ce texte ancien, en s’appuyant sur un double sens du mot « jeune femme » / « vierge » pour justifier la conception virginale, et que l’Église primitive lui ait emboîté le pas, n’est pas ce qui me choque le plus. Il est tout à fait juste que la Parole vive, et que son sens puisse être adapté aux différents temps vécus par l’espèce humaine. Ce qui m’embête, c’est que cette Parole semble aujourd’hui confisquée par le Magistère comme elle l’était à l’époque de Jésus par les scribes et les prêtres.

    Vous m’avez indiqué que Jésus lui-même sélectionne soigneusement les textes de l’Ancien Testament qui le concernent, en particulier lors de sa rencontre avec les « pèlerins d’Emmaüs ». Compte tenu de la distance entre Jérusalem et Emmaüs (qui « ne dépasse pas ce qui est permis un jour de sabbat »), je conçois aisément qu’il lui était difficile de remonter au déluge ou à la création du monde et de dérouler la Bible in extenso.

    Le temps de l’Église est différent. Nous parlons ici de deux millénaires déjà écoulés, et compte tenu de l’état du monde, il est probable qu’il en faudra au moins dix fois plus pour que l’humanité soit prête à bâtir le véritable paradis auquel nous sommes appelés.

    Pour les lectures de l’Évangile, la liturgie tourne sur 3 années : année A avec principalement l’Évangile de Mathieu, année B avec Marc, année C avec Luc – et celui de Saint Jean comble les trous (l’Évangile de Marc est particulièrement court). Pour l’Ancien Testament, qu’est-ce qui empêcherait de tourner sur quinze ans (cinq fois trois) ? Lire des textes qui n’ont pas de rapport direct avec le Christ permettrait sans doute de mieux connaître la culture juive, et connaître une culture est un puissant antidote contre l’intolérance, ce dont notre monde a cruellement besoin.

    Entre-temps, j’ai été frappé par le traitement infligé au chapitre 16 du livre d’Ézekiel, qui gomme impitoyablement toute trace de violence divine. Comme vous, je pense qu’effectivement, l’Église n’a pas supporté la violence du texte ; je ne savais pas que le psaume 136 avait été victime du même traitement. Mais nous avons besoin de nous confronter à la violence. Nous voyons aujourd’hui qu’à vouloir la nier, elle nous revient en pleine figure de la part de personnalités que tout le monde pensait irréprochables.

    Il est possible que je me sois un peu fourvoyé en évoquant l’infidélité et l’une de ses conséquences : le divorce. Je l’ai fait parce que c’est le sujet du texte d’Ézekiel, et même s’il s’agit d’une parabole, je voulais insister sur la souffrance endurée. Je suis persuadé que la plupart des violences – pas toutes, mais la plupart – naissent de la souffrance.

    En vérité, le dialogue qui me hante depuis des années à ce sujet, est celui entre Nadine Trintignant et Philippe Vandel, qui lui demandait, au micro de France Info, si elle pensait pouvoir pardonner un jour à Bertrand Cantat, qui a tué sa fille Marie à coups de poings. Elle a répondu clairement qu’il n’en est pas question. Il faut quand même noter qu’elle ne réclame ni le rétablissement de la peine de mort, ni même que le meurtrier retourne en prison. En ce sens, elle se montre fidèle au sens premier de la parole de Jésus, qui vise à désarmer le cycle infernal de la vengeance.

    En effet, j’ai pu noter qu’effectivement, Jésus énonce le pardon comme une obligation pour ses disciples, entre autres en Mathieu 18,35 : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur ».

    Il existe cependant des paroles de Jésus que l’Église ne prend pas au sens littéral, et refuse même totalement de prendre au sens littéral. Nous avons ainsi évoqué dans un autre fil Origène, dont vous m’avez dit qu’il n’a jamais été canonisé justement parce qu’il a pris au pied de la lettre les paroles de Jésus sur la mutilation en Mathieu 18, 8-9.

    (J’ajoute une parenthèse dont je viens tout juste de me rendre compte : dans le passage correspondant en Marc 9, l’Église censure encore une fois incompréhensiblement les versets 44 et 46 au motif qu’ils sont répétitifs par rapport au verset 48 ! Vous y comprenez quelque chose ?)

    Il faudrait donc ne pas prendre Jésus au pied de la lettre quand il ordonne à Origène de se mutiler, mais le prendre au pied de la lettre quand il condamne Nadine Trintignant parce qu’elle ne pardonne pas au meurtrier de sa fille.

    Il me semble qu’il est vraiment très difficile de s’y retrouver. Et ce qui me révolte, c’est que triturer les textes ajoute de la confusion.

    Avant de vous laisser, je voulais juste conclure par une question que vous m’avez posée sur le mariage en tant que sacrement du service. Le fait est que les sept sacrements catholiques sont classés en trois catégories : sacrements de l’initiation, du service, et de la route. Les sacrements de l’initiation chrétienne sont le baptême, l’Eucharistie et la confirmation ; les sacrements de la route sont la réconciliation et le sacrement des malades ; les sacrements du service sont l’ordination et le mariage.

    Je suis étonné que vous trouviez le temps de formation des prêtres trop long : six années pour étudier l’ensemble de la Bible, je ne trouve pas cela trop. Les premiers prêtres chrétiens étaient des gens simples, je le concède, mais d’une part ils baignaient depuis leur enfance dans une histoire du salut vieille de 1500 ans, d’autre part, ils ont passé trois ans de formation intensive avec Jésus lui-même : nous pouvons sans peine considérer que ça vaut bien 10 ans de séminaire !

    Je pense que l’Église a énormément perdu du fait que l’Évangile a été prêché à des païens en se coupant de l’esprit de l’Ancien Testament, en ne considérant pas assez la pensée juive ; et je ne pense pas que réduire la formation des prêtres à une seule année irait dans le bon sens à ce sujet. Je ne souhaite en aucun cas exclure des personnes non intellectuelles de la prêtrise, je souhaite qu’ils puissent acquérir un savoir. L’intellectualisme et le savoir sont deux notions différentes.

    Au demeurant, votre syllogisme « Une formation intellectuelle très poussée n’empêche pas des catastrophes de se produire, cela ne protège pas de tout, on en a la preuve régulièrement, malheureusement » est assez faible : ce n’est pas parce que de grands esprits peuvent chuter qu’il faut privilégier systématiquement les esprits simples. Cela reviendrait à dire : « puisque la navette Challenger a explosé en 1986 alors qu’elle avait été conçue par la fine fleur des ingénieurs aéronautiques de la NASA, c’est donc qu’il suffit d’avoir un CAP de plombier pour construire un engin spatial » !

    Dans le même état d’esprit, je suis sceptique sur le fait de décréter que la première personne avec qui nous avons une expérience sexuelle doive nous engager pour toute notre vie ; il me semble que parmi les personnes qui construisent notre vie affective, il est important d’en discerner une parmi d’autres avec qui prendre tout le temps et toute la formation nécessaire pour bâtir un mariage qui soit réellement ce qu’il doit être : un sacrement du service, qui soit le signe visible de l’amour, au lieu de trop souvent faire partie de la quasi-moitié des unions se terminant par un divorce (si vous arrivez à trouver des statistiques sur la proportion des chrétiens qui se séparent par rapport au reste de la population, ça m’intéresserait beaucoup).

    Je crois que quand on impose à tous les couples de la terre une exigence aussi démesurée, le minimum serait de proposer une formation à la hauteur. Je ne sais pas non plus quel devrait être le contenu de cette formation. Cela mériterait forcément un synode à tous les niveaux de l’Église pour que les prêtres forcément célibataires se mettent réellement à l’écoute des couples, qui sont les premiers concernés – et pas l’inverse, comme c’est le cas aujourd’hui.

    Je l’ai déjà dit, je crois : l’amour, ça s’apprend, et en matière d’amour, l’Église demande aux couples de passer un master en suivant les cours du soir à partir d’un niveau d’analphabète.

    Pour finir, si je peux faire une confidence, je suis moi-même coupable d’énormément d’angélisme, et j’ai tendance à pardonner beaucoup – principalement dans le domaine affectif et sexuel, parce que c’est l’essentiel de ma souffrance, et parce que c’est mon tempérament ; mais je n’ai jamais été confronté à la mort violente d’un être cher…

    Je crois que si l’Église use de ce pouvoir qui lui permet de décréter que telle ou telle parole d’Évangile doive être suivie à la lettre ou pas, elle devrait mieux prendre en compte la souffrance… et surtout faire très attention à la manière dont elle enseigne : éviter de minimiser celle-ci dans les textes dont elle est censée être garante en les remixant à sa sauce !

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Quand j’ai dit « C’est bizarre », cela ne voulait pas dire que c’était innocent, mais que j’étais étonnée et que je ne savais pas qu’en penser.

      Je pense que rien ne permet d’affirmer que pour Isaïe les deux enfants dont vous parlez ont le même rôle et la même signification.

      Vous écrivez :

      Compte tenu de l’état du monde, il est probable qu’il en faudra au moins dix fois plus pour que l’humanité soit prête à bâtir le véritable paradis auquel nous sommes appelés.

      L’humanité ne peut pas bâtir le Paradis, elle en est bien incapable. Le Paradis vient de Dieu seul. Les hommes, quand ils sont sanctifiés, vivent d’une certaine façon déjà dans le Paradis. Mais il me semble peu probable qu’un jour l’ensemble des êtres humains sur terre devienne des saints. Jésus annonce même le contraire quand il dit qu’à la fin des temps « en cette nuit-là, deux seront sur un même lit : l’un sera pris et l’autre laissé ; deux femmes seront à moudre ensemble : l’une sera prise et l’autre laissée. » (Luc 17, 34-35)

      Vous écrivez :

      Pour l’Ancien Testament, qu’est-ce qui empêcherait de tourner sur quinze ans (cinq fois trois) ? Lire des textes qui n’ont pas de rapport direct avec le Christ permettrait sans doute de mieux connaître la culture juive, et connaître une culture est un puissant antidote contre l’intolérance, ce dont notre monde a cruellement besoin.

      Oui pourquoi pas tourner sur 15 ans, à condition que les textes fondamentaux reviennent chaque année, et que les textes vraiment moins pertinents (par exemple les dimensions du temple) soient tout de même laissés de côté. Mais le but des lectures à la messe n’est pas de connaître la culture juive mais de connaître Dieu. La lutte contre l’intolérance est importante mais ce n’est pas le but des textes de la messe.

      Vous écrivez :

      En vérité, le dialogue qui me hante depuis des années à ce sujet, est celui entre Nadine Trintignant et Philippe Vandel, qui lui demandait, au micro de France Info, si elle pensait pouvoir pardonner un jour à Bertrand Cantat, qui a tué sa fille Marie à coups de poings. Elle a répondu clairement qu’il n’en est pas question. Il faut quand même noter qu’elle ne réclame ni le rétablissement de la peine de mort, ni même que le meurtrier retourne en prison. En ce sens, elle se montre fidèle au sens premier de la parole de Jésus, qui vise à désarmer le cycle infernal de la vengeance.

      Jésus ne parle pas d’actions seulement extérieures, il parle de pardonner « du fond du cœur » (Matthieu 18, 35). Pardonner ne signifie pas éliminer la justice. Je pense que réclamer la prison pour un assassin n’est pas contradictoire avec le fait de l’avoir pardonné. Réclamer la peine de mort, par contre, serait de la vengeance.

      Nous parlions de pardon dans le cadre de l’adultère, dans certains cas le pardon peut aller de paire avec une séparation, si la relation avec le conjoint est vraiment destructrice.

      Je pense que pardonner « du fond du cœur » cela signifie : ne pas souhaiter de mal à l’autre, être capable de prier pour l’autre, ne pas garder d’amertume dans le cœur (même si on garde de la douleur), ne pas être obsédé par le mal que l’on a subi. Cela est bénéfique aussi bien spirituellement que psychologiquement.

      Vous écrivez :

      En effet, j’ai pu noter qu’effectivement, Jésus énonce le pardon comme une obligation pour ses disciples, entre autres en Mathieu 18,35 : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur ».

      Il existe cependant des paroles de Jésus que l’Église ne prend pas au sens littéral, et refuse même totalement de prendre au sens littéral. Nous avons ainsi évoqué dans un autre fil Origène, dont vous m’avez dit qu’il n’a jamais été canonisé justement parce qu’il a pris au pied de la lettre les paroles de Jésus sur la mutilation en Mathieu 18, 8-9.

      Il faudrait donc ne pas prendre Jésus au pied de la lettre quand il ordonne à Origène de se mutiler, mais le prendre au pied de la lettre quand il condamne Nadine Trintignant parce qu’elle ne pardonne pas au meurtrier de sa fille.

      Quand Jésus dit : « Et si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi » (Matthieu 18, 9), il ne faut (Dieu merci) pas prendre son expression au premier degré, mais cela veut quand même dire quelque chose, et il faut totalement obéir à ce que Jésus nous demande à travers cette image : renoncer à certaines choses auxquelles on tient quand elles contribuent à nous faire tomber dans le péché.

      Quand Jésus dit « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur », il ne faut pas prendre au pied de la lettre le fait que Dieu nous mettra en prison jusqu’à ce qu’on ait remboursé l’argent que l’on doit. La parabole qui de Matthieu 18, 23-34 n’est pas à prendre au pied de la lettre, comme toutes les paraboles, mais la conclusion ne ressemble aucunement à une image. De quoi « pardonner » serait l’image ?

      Par ailleurs, Jésus ne condamne pas Nadine Trintignant, mais il la prévient que le fait de ne pas pardonner sera destructeur pour elle.

      Vous écrivez :

      Ce qui me révolte, c’est que triturer les textes ajoute de la confusion.

      Je comprends que cela puisse vous révolter.

      Vous écrivez :

      Le fait est que les sept sacrements catholiques sont classés en trois catégories : sacrements de l’initiation, du service, et de la route. Les sacrements de l’initiation chrétienne sont le baptême, l’Eucharistie et la confirmation ; les sacrements de la route sont la réconciliation et le sacrement des malades ; les sacrements du service sont l’ordination et le mariage.

      Je ne connaissais pas cette classification. Pouvez-vous me dire son origine ? Dans le catéchisme de l’Église Catholique, les sacrements sont classés aussi en trois catégories : les sacrements de l’initiation, les sacrements de guérison et les sacrements au service de la communion et de la mission. Le catéchisme précise que ce n’est pas la seule classification possible.

      En ce qui concerne la formation des prêtres, je ne dis pas qu’il faudrait la réduire à une année. Mais pour le moment il s’agit de six années de formation intellectuelle, qui s’ajoutent aux études que les séminaristes ont fait avant. Ces six années de formation intellectuelle risquent d’une part de les « dessécher » en les cantonnant à l’intellect, d’autre part elles excluent des personnes non intellectuelles, tous ceux qui ne sont pas capables de suivre au moins six ans d’études très intellectuelles en plus des études qu’ils ont fait avant. On pourrait tout à fait transformer ces six années d’études de manière à les rendre accessibles à des personnes moins intellectuelles, mais pour le moment ce n’est pas le cas. Bien sûr il faudrait continuer à proposer des études très intellectuelles à ceux à qui cela correspond.

      Vous écrivez :

      Au demeurant, votre syllogisme « Une formation intellectuelle très poussée n’empêche pas des catastrophes de se produire, cela ne protège pas de tout, on en a la preuve régulièrement, malheureusement » est assez faible : ce n’est pas parce que de grands esprits peuvent chuter qu’il faut privilégier systématiquement les esprits simples. Cela reviendrait à dire : « puisque la navette Challenger a explosé en 1986 alors qu’elle avait été conçue par la fine fleur des ingénieurs aéronautiques de la NASA, c’est donc qu’il suffit d’avoir un CAP de plombier pour construire un engin spatial » !

      Je ne suis pas d’accord avec votre comparaison, car en effet, seule une formation d’ingénieur peut permettre de créer une navette fiable. Mais je ne pense pas que des études purement intellectuelles soient la solution contre les dérives. Tout ne repose pas sur l’intellect, et je ne pense pas que ce soit la formation intellectuelle biblique et théologique qui puisse protéger des abus sexuels. J’espère que la formation des séminariste a dors et déjà adopté le discernement des vocations et les formations humaines nécessaires pour la prévention de ces abus, en plus de la formation intellectuelle dispensée.

      Vous écrivez :

      Dans le même état d’esprit, je suis sceptique sur le fait de décréter que la première personne avec qui nous avons une expérience sexuelle doive nous engager pour toute notre vie

      Il ne s’agit pas d’épouser la première personne avec qui nous avons eu une expérience sexuelle ! Le pape lui-même, quand il était évêque en Argentine, luttait contre la pratique qui consistait à obliger les jeunes qui avaient conçu un enfant à se marier ensemble obligatoirement.

      Jésus nous invite à n’avoir de relation sexuelle qu’avec la personne que nous épouserons, et seulement après le mariage. Mais si nous désobéissons – ou si nous agissons sans savoir que c’est mal – en ayant des relations sexuelles hors mariage, cela ne veut pas dire qu’il faut forcément épouser la personne avec qui nous avons eu ces relations sexuelles.

      Vous écrivez :

      Je crois que quand on impose à tous les couples de la terre une exigence aussi démesurée, le minimum serait de proposer une formation à la hauteur. Je ne sais pas non plus quel devrait être le contenu de cette formation. Cela mériterait forcément un synode à tous les niveaux de l’Église pour que les prêtres forcément célibataires se mettent réellement à l’écoute des couples, qui sont les premiers concernés – et pas l’inverse, comme c’est le cas aujourd’hui.

      Oui cela pourrait être une bonne idée de faire un synode sur la formation au mariage, en se mettant à l’écoute des couples – ceux qui ont réussi à rester ensemble comme ceux qui ont divorcé.

      Vous écrivez :

      Je crois que si l’Église use de ce pouvoir qui lui permet de décréter que telle ou telle parole d’Évangile doive être suivie à la lettre ou pas, elle devrait mieux prendre en compte la souffrance… et surtout faire très attention à la manière dont elle enseigne : éviter de minimiser celle-ci dans les textes dont elle est censée être garante en les remixant à sa sauce !

      Dans l’Église, de nombreux prêtres, religieux, laïcs, savent tenir compte de la souffrance et accompagner ou entourer ceux qui souffrent et qui sont dans des situations en désaccord avec ce que demande l’Église. Malheureusement, c’est une qualité que n’ont pas tous les chrétiens ni tous les prêtres. Je suis d’accord sur le fait qu’il ne faut pas minimiser la souffrance. Pensez-vous à des textes du magistère en particulier qui vous semblent condamner sans tenir compte de la souffrance ? En ce qui concerne les textes de la messe, je suis d’accord sur le fait qu’il ne faut pas les amputer.

      • Cat-modératrice

        En ce qui concerne le pardon, j’ai parlé de l’attitude intérieure, mais il faut tout de même préciser que, lorsqu’une relation n’est pas destructrice, le pardon suppose le maintien de la relation, le fait de continuer à se donner à la personne. Que ce soit dans le mariage, dans les liens familiaux ou même dans l’amitié.

  8. Pelostome

    Bonjour Cat,

    voici ma réponse à votre commentaire du 1° mai 2025, car le bouton « Répondre » n’apparaît pas après celui-ci.

    J’ai bien noté que Jésus affirme que « pas un i, pas un point sur l’i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé »… alors qu’il passe son temps à profaner la loi fondamentale du sabbat !

    Il y a un passage encore plus éloquent en Marc 7, 1-23, avec une dynamique étonnante

    1°) des pharisiens et quelques scribes reprochent à Jésus de ne rien dire à ses disciples qui mangent sans s’être lavé les mains
    2°) Jésus leur reproche de suivre aveuglément un précepte qui relève de la simple hygiène et de la tradition humaine en l’élevant au rang de loi, alors qu’il n’apparaît nulle part dans la Bible
    3°) Il fait alors une digression en comparant cette attitude à celle qui permet de « mettre en gage » ses ressources au bénéfice du Temple (« korbane ») et ainsi, d’exempter les hommes qui veulent se soustraire à leur obligation d’aider leurs parents
    4°) Puis il s’adresse à la foule pour déclarer que les soi-disant impuretés lorsqu’on ne se lave pas les mains ne sont pas recevables car les aliments sont digérés et éliminés aux toilettes
    5°) A la maison, il explicite sa pensée à ses disciples en listant les véritables impuretés, qui sortent du cœur de l’homme, et sont de l’ordre du spirituel et non du charnel.

    Petite phrase d’apparence innocente et anodine : Marc en profite pour ajouter au verset 19 « C’est ainsi que Jésus déclarait purs tous les aliments ».

    Comment peut-on écrire une chose pareille ? Jésus était juif, ses disciples étaient juifs, ses contradicteurs étaient juifs : pour tous, la question de l’impureté des aliments ne se posait même pas ! Ils mangeaient tous de la nourriture casher et cette phrase est totalement hors-sujet !

    Mais Marc était le secrétaire de Pierre, dont Paul affirme qu’il l’a violemment réprimandé car il mangeait avec les non-juifs des aliments « impurs », mais revenait aux préceptes de « pureté » sitôt que des condisciples juifs lui rendaient visite.

    Il apparaît assez évident que Jésus lui-même n’a jamais explicitement « déclaré purs tous les aliments » mais que Marc s’est servi de cet épisode, des années plus tard, pour libérer les chrétiens non juifs des préceptes issus du judaïsme au sujet de la nourriture.

    De même, le verset 22 dans le chapitre 9 de l’Évangile selon Jean qui mentionne à propos des parents de l’aveugle guéri par Jésus : « Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ » est réputé faire allusion à l’exclusion des juifs chrétiens par les juifs « orthodoxes » suite à la destruction du Temple… en 70 !

    À la réflexion, serait-ce stupide d’affirmer la même chose du sabbat ? Les premiers chrétiens étaient juifs, et respectaient donc le repos du sabbat. Mais ils faisaient également mémoire de la résurrection, le dimanche ! Aux tout débuts du christianisme, pour consacrer le dimanche à la mémoire de Jésus, les chrétiens juifs n’auraient-ils pas pris quelque liberté avec le sabbat ? Est-ce que cela ne pourrait pas éclairer d’un jour nouveau toutes les accusations de non-respect du sabbat proférées à l’encontre de Jésus dans les Évangiles ? Tous ces épisodes ne pourraient-ils pas, au moins dans une certaine mesure, viser à récuser les accusations de leurs condisciples juifs sur le fait de privilégier le dimanche au samedi ?

    Voilà pourquoi je me permets de cultiver un minimum de doute cartésien sur les écrits de ces hommes qui selon vous « ont retranscrit directement la Parole de Dieu »… mais avec un décalage de quelques décennies – particulièrement houleuses en termes de tensions et persécutions !

    C’est cela que j’appelle « tentations sectaires » : le fait de ne pas remettre en question une parole qui nous a été enseignée en notre enfance, à une époque de notre vie où nous n’avions aucun recul, où nous prenions tout ce que nous disaient les adultes pour « parole d’évangile » et où le merveilleux se confondait avec le réel ; également, le fait de considérer que seule notre religion détient la vérité, que le dimanche, par exemple, doit être le seul jour consacré à Dieu, sans tenir compte du samedi pour les Juifs ni du vendredi pour les musulmans, ou que le mariage est le seul et exclusif moyen pour un homme et une femme de s’unir charnellement. Dans sa « LETTRE SUR LE RÔLE DE LA LITTÉRATURE DANS LA FORMATION », François écrit clairement « n’oublions pas combien il est dangereux de ne plus écouter la voix de l’autre qui nous interpelle ! On tombe immédiatement dans l’auto-isolement, on entre dans une sorte de surdité ‘spirituelle’ qui affecte aussi négativement notre relation avec nous-mêmes et notre relation avec Dieu ».

    À propos, justement, de l’union charnelle, je vous remercie chaleureusement d’avoir éclairé ma lanterne à propos du mot « soma » employé par Paul quand il désigne le corps du Christ, à la différence de « sarx » pour le corps des époux. Je ne connais pas en détail les différences entre les deux termes mais effectivement, cela me permet de prendre du recul et c’est bien ce que je recherche. Je ne connaissais pas non plus les versets 16 et 17 au chapitre 6 de sa première lettre aux Corinthiens, qui dénote une vision de l’amour particulièrement éloquente.

    Au passage, on peut noter que dans ce chapitre, la colère de Paul provient du fait que des chrétiens se sont opposés en procès devant la justice humaine plutôt que devant la communauté de l’Église, et qu’il va même jusqu’à préconiser au verset 7 d’endurer l’injustice plutôt que de recourir à un juge laïc. Compte tenu des révélations qui se font jour actuellement dans l’Église, voilà un autre exemple très concret de tentation sectaire : « laver son linge sale en famille » avec toutes les dérives constatées aujourd’hui, et encourager les victimes à ne pas dénoncer les abus qui leur ont été infligés.

    Pour revenir à votre citation, si je reprends les versets 15 à 16, je lis : « Vais-je donc prendre les membres du Christ pour en faire les membres d’une prostituée ? Absolument pas ! Ne le savez-vous pas ? Celui qui s’unit à une prostituée ne fait avec elle qu’un seul corps. Car il est dit : Tous deux ne feront plus qu’un. Celui qui s’unit au Seigneur ne fait avec lui qu’un seul esprit. »

    Paul oppose donc clairement « une seule chair » entre la prostituée et son client, à « un seul esprit » entre le chrétien et le Christ : il revient à cette opposition récurrente entre chair et esprit dans l’Église. Notons qu’au verset 13, il affirme que Dieu fera disparaître et le ventre et les aliments… alors que les Évangiles nous montrent Jésus manger et boire après sa résurrection !

    D’une certaine manière, quand vous écrivez : « Je ne pense pas que Dieu voulait que le premier homme et la première femme soient uns de la même manière que Marie et Joseph », vous êtes en contradiction avec Saint Paul ! Ou devrions-nous dire plutôt que c’est lui qui, en retombant dans cette opposition « chair / esprit », se met en contradiction avec la parole de Dieu exprimée dans la Genèse ?

    En conclusion, pour Paul, soit l’amour charnel s’exprime dans le mariage, soit la femme est une prostituée et l’homme son client. Il n’y a absolument rien entre les deux.

    Ces sujets sont particulièrement épineux et complexes ; prétendre les résoudre par un péremptoire « nous avons certains éléments de notre foi qui ne peuvent pas être remis en question » me semble dangereux. La lettre de François sur la littérature professe au contraire : « C’est précisément de cette rencontre de l’événement chrétien avec la culture de l’époque qu’est née une réélaboration originale de l’annonce de l’Évangile ». Nous aussi, nous avons amplement besoin de nous laisser bousculer par la culture de notre époque pour revivifier la foi chrétienne.

    C’est aussi l’une des raisons qui me poussent à mettre en avant la formation. Pour ce qui concerne celle des prêtres, je trouve votre raisonnement un peu étrange. Vous reconnaissez qu’une formation longue n’est pas forcément intellectuelle mais, comme vous trouvez les formations actuelles trop intellectuelles, vous ne proposez pas de les réformer mais de les raccourcir. Vous ne parlez pas non plus de la formation des diacres : celle-ci devrait-elle être donc plus longue que celles des prêtres ? Ou devrait-elle, elle aussi, passer de 6 ans à 6 mois, par exemple ?

    François souligne pourtant combien il lui apparaît « nécessaire de considérer et de promouvoir la lecture de grands romans comme une composante importante de la paideia (instruction et corpus de connaissances fondamentales dont doit disposer un bon citoyen) sacerdotale » et « important de retrouver et de mettre en œuvre dans la formation des candidats au sacerdoce l’intuition, esquissée par le théologien Karl Rahner, d’une profonde affinité spirituelle entre le prêtre et le poète ».

    Mais surtout, en quoi la réduction de la formation des prêtres et / ou des diacres répondrait-elle aux constatations de François sur les mariages frappés de nullité ? Je cite l’article de La Croix → « Ils disent ‘oui, pour toute la vie’ mais ils ne savent pas ce qu’ils disent parce qu’ils ont une autre culture », a observé le pape, qui s’exprimait de manière improvisée, le 16 juin, en ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome en la cathédrale de Saint-Jean-de-Latran. « Ils ont de la bonne volonté mais n’ont pas la conscience (du sacrement, NDLR.) », a-t-il poursuivi, dépeignant une « culture du provisoire » à partir de son expérience pastorale en Argentine.

    Comment l’Église peut-elle valider un sacrement échangé par deux amoureux qui n’ont pas conscience de ce que ce sacrement représente véritablement ?

    Le CEC est clair au sujet des sacrements de l’Ordre et du mariage : « S’il contribuent également au salut personnel, c’est à travers le service des autres qu’ils le font ». Le texte parle bien de « service » et non de « service de la communion ». Mon interprétation de cette phrase, c’est que les époux chrétiens se doivent d’être au service de l’Église : du catéchisme, de la préparation au mariage ou au baptême, de l’animation pastorale ou liturgique, de l’accompagnement des obsèques, de la comptabilité de la paroisse… Ou, si on n’est pas aussi exclusif, au moins éviter d’être des parents tyranniques ou laxistes, des beaux-parents envahissants, des amis toxiques, des citoyens irresponsables, des travailleurs paresseux, des indifférents à l’écologie et à la justice sociale… Au vu de ces exigences, envisager une formation tout au long de l’existence, comme pour les diacres, ne me semble pas exagéré. Si votre distinction entre « sacrement du service » et « sacrement au service de la communion » signifie que votre interprétation de cette phrase du CEC diffère de la mienne, je veux bien que vous me l’expliquiez plus avant.

    François peut bien s’exclamer au sujet des unions libres : « Pourtant, vraiment, je dis que j’ai vu tant de fidélité dans ces cohabitations, tant de fidélité » ! N’est-ce pas, au sens étymologique du terme, déjà une certaine forme de bénédiction des couples qui n’accèdent pas à un sacrement qu’ils ont peut-être conscience de ne pas pouvoir assumer ? N’importe. Selon Paul, il n’y a qu’une alternative : époux consacrés et pleinement voués au Christ – qui plus est : selon l’esprit (et non la chair) – ou prostituée et client. François contredit Saint Paul, il est donc anathème.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Vous écrivez :

      J’ai bien noté que Jésus affirme que « pas un i, pas un point sur l’i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé »… alors qu’il passe son temps à profaner la loi fondamentale du sabbat !

      D’abord Jésus ne viole pas le sabbat. On le lui reproche pour deux choses : des guérisons, et une fois ses disciples ont cueilli des épis de blé parce qu’ils avaient faim. Il explique aux Pharisiens qu’ils n’ont pas compris le sens du sabbat, car « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat ». (Marc 2, 27)

      Il leur dit aussi : « Moïse vous a donné la circoncision – non qu’elle vienne de Moïse mais des patriarches – et, le jour du sabbat, vous la pratiquez sur un homme. Alors, un homme reçoit la circoncision, le jour du sabbat, pour que ne soit pas enfreinte la Loi de Moïse, et vous vous indignez contre moi parce que j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat ? » (Jean 7, 22-23)

      Il leur dit aussi : « Hypocrites ! chacun de vous, le sabbat, ne délie-t-il pas de la crèche son bœuf ou son âne pour le mener boire ? Et cette fille d’Abraham, que Satan a liée voici dix-huit ans, il n’eût pas fallu la délier de ce lien le jour du sabbat ! » (Luc 13, 15-16) et « Lequel d’entre vous, si son fils ou son bœuf vient à tomber dans un puits, ne l’en tirera aussitôt, le jour du sabbat ? » (Luc 14, 5)

      Il leur montre donc qu’eux aussi posent des actes le jour du sabbat pour des nécessités spirituelles ou physiques, sans que ce soit une violation du sabbat.

      Ensuite, quand Jésus dit « pas un i, pas un point sur l’i, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé », cela ne veut pas dire qu’il veut que la loi soit suivie à la lettre. Au contraire, la loi est accomplie dans les nouveaux commandements de Jésus, en particulier le commandement de s’aimer les uns les autres comme il nous a aimés. Cet accomplissement de la loi entraîne la suppression de certains points, comme la peine de mort : il ne veut pas que l’on lapide la femme adultère. Il entraîne aussi de nouveaux points de loi, comme l’interdiction du divorce.

      C’est dans ce sens-là qu’il dit aussi : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Matthieu 5, 17)

      Vous parlez ensuite du texte suivant :

      1 Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de lui, 2 et voyant quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées – 3 les Pharisiens, en effet, et tous les Juifs ne mangent pas sans s’être lavé les bras jusqu’au coude, conformément à la tradition des anciens, 4 et ils ne mangent pas au retour de la place publique avant de s’être aspergés d’eau, et il y a beaucoup d’autres pratiques qu’ils observent par tradition: lavages de coupes, de cruches et de plats d’airain – , 5 donc les Pharisiens et les scribes l’interrogent: “Pourquoi tes disciples ne se comportent-ils pas suivant la tradition des anciens, mais prennent-ils leur repas avec des mains impures?”

      6 Il leur dit: “Isaïe a bien prophétisé de vous, hypocrites, ainsi qu’il est écrit:

      Ce peuple m’honore des lèvres;

      mais leur cœur est loin de moi. 7 Vain est le culte qu’ils me rendent,

      les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes

      humains.

      8 Vous mettez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes.”

      9 Et il leur disait: “Vous annulez bel et bien le commandement de Dieu pour observer votre tradition. 10 En effet, Moïse a dit: Rends tes devoirs à ton père et à ta mère, et: Que celui qui maudit son père ou sa mère, soit puni de mort. 11 Mais vous, vous dites: Si un homme dit à son père ou à sa mère: Je déclare korbân (c’est-à-dire offrande sacrée) les biens dont j’aurais pu t’assister, 12 vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère 13 et vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous vous êtes transmise. Et vous faites bien d’autres choses du même genre.”

      14 Et ayant appelé de nouveau la foule près de lui, il leur disait: “Écoutez-moi tous et comprenez! 15 Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme. 16 Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende!”

      17 Quand il fut entré dans la maison, à l’écart de la foule, ses disciples l’interrogeaient sur la parabole. 18 Et il leur dit: “Vous aussi, vous êtes à ce point sans intelligence? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui pénètre du dehors dans l’homme ne peut le souiller, 19 parce que cela ne pénètre pas dans le cœur, mais dans le ventre, puis s’en va aux lieux d’aisance” (ainsi il déclarait purs tous les aliments). 20 Il disait: “Ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme. 21 Car c’est du dedans, du cœur des hommes, que sortent les desseins pervers: débauches, vols, meurtres, 22 adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, déraison. 23 Toutes ces mauvaises choses sortent du dedans et souillent l’homme.” (Marc 7)

      Les Pharisiens ne se lavaient pas les mains par hygiène, mais pour obtenir une pureté rituelle. Jésus ne leur reproche pas de se laver les mains, il leur reproche d’ajouter des commandements à la Loi qui est déjà très lourde à suivre, de juger les gens sur l’observance de ces commandements qu’ils ont décrétés, et même de donner la priorité à leurs commandements par rapport à ceux donnés par Dieu. Je ne suis donc pas d’accord avec vous quand vous dites qu’il fait une digression en parlant du refus d’aider ses parents, il continue à parler de la façon dont les Pharisiens imposent leurs commandements, jusqu’à leur donner une importance plus grande que les commandements bibliques.

      Je suis d’accord sur le fait que la déclaration de la pureté de tous les aliments par Jésus n’est pas aussi explicite qu’on aurait pu le souhaiter, mais il dit bien que l’on ne peut pas être souillé par ce que l’on mange. Donc l’interprétation de Marc me semble légitime.

      Par ailleurs, ce n’est pas Marc qui instaure ce droit. Pierre avait eu aussi une vision dans laquelle Dieu lui disait de ne pas considérer comme impur ce que Dieu considérait comme pur. Dans cette vision Dieu lui disait de manger des aliments considérés comme impur, ce que Pierre avait refusé. Ce qui montre que Jésus n’avait en effet pas dit explicitement à ses disciples de manger du porc. Mais il y a beaucoup de choses que Jésus a dites que les disciples n’ont comprises que plus tard.

      Vous écrivez :

      De même, le verset 22 dans le chapitre 9 de l’Évangile selon Jean qui mentionne à propos des parents de l’aveugle guéri par Jésus : « Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ » est réputé faire allusion à l’exclusion des juifs chrétiens par les juifs « orthodoxes » suite à la destruction du Temple… en 70 !

      Jean ne parle pas de l’exclusion des Juifs chrétiens. Il parle des réactions vis-à-vis de Jésus de son vivant, qui entraînaient déjà des persécutions contre ceux qui le suivaient. Si Pierre a nié connaître Jésus, c’est bien parce que c’était dangereux !

      Vous écrivez :

      À la réflexion, serait-ce stupide d’affirmer la même chose du sabbat ? Les premiers chrétiens étaient juifs, et respectaient donc le repos du sabbat. Mais ils faisaient également mémoire de la résurrection, le dimanche ! Aux tout débuts du christianisme, pour consacrer le dimanche à la mémoire de Jésus, les chrétiens juifs n’auraient-ils pas pris quelque liberté avec le sabbat ? Est-ce que cela ne pourrait pas éclairer d’un jour nouveau toutes les accusations de non-respect du sabbat proférées à l’encontre de Jésus dans les Évangiles ? Tous ces épisodes ne pourraient-ils pas, au moins dans une certaine mesure, viser à récuser les accusations de leurs condisciples juifs sur le fait de privilégier le dimanche au samedi ?

      Je ne sais pas à quel moment l’Église a décidé que le jour de repos serait le dimanche. Mais le « non respect » du sabbat par Jésus n’avait rien à voir avec le transfert du jour de repos au dimanche. Comme écrit plus haut, Jésus affirmait respecter le sabbat et déclarait que les Juifs n’avaient pas compris de quelle manière Dieu voulait qu’ils observent le sabbat.

      Vous écrivez :

      Voilà pourquoi je me permets de cultiver un minimum de doute cartésien sur les écrits de ces hommes qui selon vous « ont retranscrit directement la Parole de Dieu »… mais avec un décalage de quelques décennies – particulièrement houleuses en termes de tensions et persécutions !

      Attention, j’ai dit que ces hommes « ont retranscrit directement la Parole de Dieu » uniquement dans le cas des paroles prononcées par Jésus. Dans ce cas, ils nous font littéralement le récit de ce qu’a dit Dieu. Oui, ces paroles ont été rapportées des années après avoir été prononcées, mais il s’agit tout de même d’un livre inspiré par Dieu, il ne les aurait pas laissés écrire n’importe quoi.

      Vous écrivez :

      C’est cela que j’appelle « tentations sectaires » : le fait de ne pas remettre en question une parole qui nous a été enseignée en notre enfance, à une époque de notre vie où nous n’avions aucun recul, où nous prenions tout ce que nous disaient les adultes pour « parole d’évangile » et où le merveilleux se confondait avec le réel ; également, le fait de considérer que seule notre religion détient la vérité, que le dimanche, par exemple, doit être le seul jour consacré à Dieu, sans tenir compte du samedi pour les Juifs ni du vendredi pour les musulmans, ou que le mariage est le seul et exclusif moyen pour un homme et une femme de s’unir charnellement.

      Si vous considérez comme sectaire le fait de croire dans les paroles que Jésus nous dit dans l’Évangile, alors je suis sectaire !

      Les chrétiens ne disent pas que les Juifs et les musulmans pèchent en n’honorant pas le dimanche.

      Si pour vous il est sectaire, en s’appuyant sur la parole de Jésus, de croire que Dieu affirme qu’il n’est bon pour les humains de ne s’unir sexuellement que dans le cadre d’un mariage indissoluble, alors je suis sectaire.

      Vous écrivez :

      Dans sa « LETTRE SUR LE RÔLE DE LA LITTÉRATURE DANS LA FORMATION », François écrit clairement « n’oublions pas combien il est dangereux de ne plus écouter la voix de l’autre qui nous interpelle ! On tombe immédiatement dans l’auto-isolement, on entre dans une sorte de surdité ‘spirituelle’ qui affecte aussi négativement notre relation avec nous-mêmes et notre relation avec Dieu »

      Je suis d’accord avec ces paroles. L’Église enseigne l’écoute de l’autre notamment dans le cadre du dialogue inter-religieux. Jean-Paul II disait bien qu’il ne fallait pas que ce dialogue soit une façon hypocrite de chercher à convertir l’autre, mais un vrai dialogue. Et qu’il y a des semences de l’Esprit Saint dans les autres religions. Parfois ces semences de l’Esprit Saint sont des éléments que nous, les catholiques, n’avons pas encore compris et que les autres religions ont à nous apporter.

      Vous écrivez :

      Au passage, on peut noter que dans ce chapitre, la colère de Paul provient du fait que des chrétiens se sont opposés en procès devant la justice humaine plutôt que devant la communauté de l’Église, et qu’il va même jusqu’à préconiser au verset 7 d’endurer l’injustice plutôt que de recourir à un juge laïc. Compte tenu des révélations qui se font jour actuellement dans l’Église, voilà un autre exemple très concret de tentation sectaire : « laver son linge sale en famille » avec toutes les dérives constatées aujourd’hui, et encourager les victimes à ne pas dénoncer les abus qui leur ont été infligés.

      On peut remarquer que l’Église n’a pas cherché à suivre ce passage à la lettre, il y a bien longtemps que les chrétiens se poursuivent entre eux devant des juges païens, et je n’ai pas entendu de reproche par rapport à cela de la part de l’Église.

      En effet, selon la façon de comprendre ce texte de Saint Paul, cela peut conduire au fait de « laver son linge sale en famille » pour des faits très graves. Heureusement, l’Église ordonne aujourd’hui que tout fait d’abus sexuel soit déféré aux tribunaux civils.

      Encore une fois, il faut voir le contexte dans lequel Paul écrit, qui était un contexte de persécution. Peut-être que cela joue. Mais je pense que tout simplement il se trompe. Il ne réalisait certainement pas les conséquences que cette façon de faire pourrait avoir.

      Vous écrivez :

      Pour revenir à votre citation, si je reprends les versets 15 à 16, je lis : « Vais-je donc prendre les membres du Christ pour en faire les membres d’une prostituée ? Absolument pas ! Ne le savez-vous pas ? Celui qui s’unit à une prostituée ne fait avec elle qu’un seul corps. Car il est dit : Tous deux ne feront plus qu’un. Celui qui s’unit au Seigneur ne fait avec lui qu’un seul esprit. »

      Paul oppose donc clairement « une seule chair » entre la prostituée et son client, à « un seul esprit » entre le chrétien et le Christ : il revient à cette opposition récurrente entre chair et esprit dans l’Église. Notons qu’au verset 13, il affirme que Dieu fera disparaître et le ventre et les aliments… alors que les Évangiles nous montrent Jésus manger et boire après sa résurrection !

      Je ne suis pas d’accord avec vous, Paul n’oppose pas le fait de faire « une seule chair » sexuellement avec le fait de faire « un seul esprit » avec le Christ. Au contraire, il considère que faire une seule chair et faire un seul esprit, cela va ensemble, et c’est pour cela qu’il est sacrilège de ne faire qu’une seule chair avec la prostituée. Si le corps n’était pas lié à l’esprit, ce que l’on fait du corps n’aurait pas d’importance. C’est parce que l’union charnelle a une dimension spirituelle et unit d’une manière extrêmement profonde que cette union charnelle ne peut être bonne que dans le cadre des liens du mariage.

      Quand Saint Paul dit que Dieu fera disparaître le ventre et les aliments, il ne nie pas la réalité de la résurrection qu’il affirme sans cesse par ailleurs. Donc il est bien conscient qu’il y aura toujours un ventre ! Ce qui disparaîtra, c’est notre esclavage par rapport à l’attrait des aliments.

      Vous écrivez :

      D’une certaine manière, quand vous écrivez : « Je ne pense pas que Dieu voulait que le premier homme et la première femme soient uns de la même manière que Marie et Joseph », vous êtes en contradiction avec Saint Paul ! Ou devrions-nous dire plutôt que c’est lui qui, en retombant dans cette opposition « chair / esprit », se met en contradiction avec la parole de Dieu exprimée dans la Genèse ?

      Comme je vous le disais, je n’interprète pas le passage cité précédemment comme instaurant une opposition entre la chair et l’esprit. Par contre, il est vrai que Paul incitait à la vie consacrée. L’existence de la vie consacrée n’est pas en contradiction avec la beauté et la noblesse de l’union sexuelle et son profond sens spirituel. Si St Paul souhaitait à tous de devenir consacrés, c’est aussi parce qu’il croyait que la fin des temps était imminente. Mais quand il fait le parallèle entre l’union entre le mari et la femme, et l’union entre le Christ et l’Église, il montre qu’il ne dévalorise pas la sexualité, et encore une fois qu’il n’oppose pas charnel et spirituel.

      Vous écrivez :

      En conclusion, pour Paul, soit l’amour charnel s’exprime dans le mariage, soit la femme est une prostituée et l’homme son client. Il n’y a absolument rien entre les deux.

      Saint Paul ne dit pas ça. Il parle du cas où les hommes couchent avec des prostituées, il ne dit pas que c’est la seule réalité en dehors du mariage. Mais ailleurs il dénonce la fornication. Bien sûr il considère comme un péché grave les relations sexuelles hors mariage même quand ce n’est pas de la prostitution.

      Vous écrivez :

      Ces sujets sont particulièrement épineux et complexes ; prétendre les résoudre par un péremptoire « nous avons certains éléments de notre foi qui ne peuvent pas être remis en question » me semble dangereux. La lettre de François sur la littérature professe au contraire : « C’est précisément de cette rencontre de l’événement chrétien avec la culture de l’époque qu’est née une réélaboration originale de l’annonce de l’Évangile ». Nous aussi, nous avons amplement besoin de nous laisser bousculer par la culture de notre époque pour revivifier la foi chrétienne.

      Le pape François aussi croyait en des éléments de notre foi ne pouvant être remis en question. Dans la phrase que vous citez, il parle d’une « réélaboration de l’annonce de l’Évangile », par d’une réélaboration de l’Évangile. Oui il faut se laisser bousculer et revivifier notre foi, cela n’empêche pas que certains éléments de notre foi sont des rocs sur lesquels nous pouvons nous appuyer dans cette rencontre avec la culture moderne. Je pense que nous ne parviendrons pas à nous entendre sur ce point.

      Vous écrivez :

      C’est aussi l’une des raisons qui me poussent à mettre en avant la formation. Pour ce qui concerne celle des prêtres, je trouve votre raisonnement un peu étrange. Vous reconnaissez qu’une formation longue n’est pas forcément intellectuelle mais, comme vous trouvez les formations actuelles trop intellectuelles, vous ne proposez pas de les réformer mais de les raccourcir. Vous ne parlez pas non plus de la formation des diacres : celle-ci devrait-elle être donc plus longue que celles des prêtres ? Ou devrait-elle, elle aussi, passer de 6 ans à 6 mois, par exemple ?

      J’ai dit que, dans les faits, la formation des prêtres était trop intellectuelle pour certains hommes qui pourraient faire de très bon prêtres. Je n’ai pas dit que du coup il fallait la raccourcir plutôt que la réformer ! Je pense en effet qu’il faut proposer des études moins intellectuelles à certains. C’est pour les couples que j’ai dit qu’il n’était pas bon de les faire attendre aussi longtemps. Mais je pense néanmoins que 7 ans (1 année de propédeutique + 6 ans de séminaire) d’études à plein temps sont trop longs pour certains séminaristes, surtout qu’ils ont souvent lieu après des années d’études profanes.

      Quand vous parlez de la formation des diacres, je suppose que vous parlez des diacres permanents ? Dans le cas des diacres permanents, il ne s’agit pas d’une formation à plein temps, c’est très différent. Je ne me suis pas penchée sur le contenu de leur formation pour avoir vraiment un avis.

      Vous écrivez :

      François souligne pourtant combien il lui apparaît « nécessaire de considérer et de promouvoir la lecture de grands romans comme une composante importante de la paideia (instruction et corpus de connaissances fondamentales dont doit disposer un bon citoyen) sacerdotale » et « important de retrouver et de mettre en œuvre dans la formation des candidats au sacerdoce l’intuition, esquissée par le théologien Karl Rahner, d’une profonde affinité spirituelle entre le prêtre et le poète ».

      Pourquoi pas.

      Vous écrivez :

      Mais surtout, en quoi la réduction de la formation des prêtres et / ou des diacres répondrait-elle aux constatations de François sur les mariages frappés de nullité ?

      En effet, je ne vois pas le rapport entre la formation des prêtres et des diacres et la question de mariages nuls.

      Vous écrivez :

      Je cite l’article de La Croix → « Ils disent ‘oui, pour toute la vie’ mais ils ne savent pas ce qu’ils disent parce qu’ils ont une autre culture », a observé le pape, qui s’exprimait de manière improvisée, le 16 juin, en ouverture du Congrès ecclésial du diocèse de Rome en la cathédrale de Saint-Jean-de-Latran. « Ils ont de la bonne volonté mais n’ont pas la conscience (du sacrement, NDLR.) », a-t-il poursuivi, dépeignant une « culture du provisoire » à partir de son expérience pastorale en Argentine.

      Comment l’Église peut-elle valider un sacrement échangé par deux amoureux qui n’ont pas conscience de ce que ce sacrement représente véritablement ?

      Oui, en effet il y a certainement de très nombreux mariages nuls. L’Église ne peut pas « valider » ces sacrements, puisqu’ils ne sont pas valide. Le prêtre qui célèbre le mariage croit valider le sacrement. Il peut avoir un doute, mais s’il n’a pas la preuve que le mariage ne sera pas valide, il n’a pas le droit de refuser le sacrement. Il y a quelques années il y avait eu un grand scandale parce qu’un prêtre italien avait refusé de marier un homme qui était devenu impuissant suite à un accident. Là il avait un élément tangible que le mariage ne pouvait être valide selon l’Église.

      Vous écrivez :

      Le CEC est clair au sujet des sacrements de l’Ordre et du mariage : « S’il contribuent également au salut personnel, c’est à travers le service des autres qu’ils le font ». Le texte parle bien de « service » et non de « service de la communion ». Mon interprétation de cette phrase, c’est que les époux chrétiens se doivent d’être au service de l’Église : du catéchisme, de la préparation au mariage ou au baptême, de l’animation pastorale ou liturgique, de l’accompagnement des obsèques, de la comptabilité de la paroisse… Ou, si on n’est pas aussi exclusif, au moins éviter d’être des parents tyranniques ou laxistes, des beaux-parents envahissants, des amis toxiques, des citoyens irresponsables, des travailleurs paresseux, des indifférents à l’écologie et à la justice sociale… Au vu de ces exigences, envisager une formation tout au long de l’existence, comme pour les diacres, ne me semble pas exagéré. Si votre distinction entre « sacrement du service » et « sacrement au service de la communion » signifie que votre interprétation de cette phrase du CEC diffère de la mienne, je veux bien que vous me l’expliquiez plus avant.

      La liste des services que vous attribuez aux couples concerne surtout des services qui peuvent être aussi bien rendus par des célibataires, je ne vois pas de lien avec le sacrement de mariage.

      Le catéchisme de l’Église catholique classe les sacrements ainsi : « on exposera d’abord les trois sacrements de l’initiation chrétienne (chapitre premier), ensuite les sacrements de guérison (chapitre deuxième), enfin les sacrements qui sont au service de la communion et de la mission des fidèles (chapitre troisième). » (1211)

      Les sacrements de l’initiation sont le baptême, la confirmation et l’eucharistie, les sacrements de guérison sont la confession et le sacrement des malades, les sacrements qui sont au service de la communion et de la mission sont l’ordination et le mariage.

      L’ordination et le mariage accomplisse leur mission « à travers le service des autres », mais ce ne sont pas des sacrements « du service ». Le chapitre les concernant est bien titré « Les sacrements du service de la communion ». Pour moi, dire que ce sont des sacrements du service, c’est les réduire à des activités extérieures. Que le couple soit au service de la communion, je le comprends comme le fait de vivre l’amour divin dans le couple, et que cet amour conjugal déborde en amour pour autrui.

      Vous écrivez :

      François peut bien s’exclamer au sujet des unions libres : « Pourtant, vraiment, je dis que j’ai vu tant de fidélité dans ces cohabitations, tant de fidélité » ! N’est-ce pas, au sens étymologique du terme, déjà une certaine forme de bénédiction des couples qui n’accèdent pas à un sacrement qu’ils ont peut-être conscience de ne pas pouvoir assumer ? N’importe. Selon Paul, il n’y a qu’une alternative : époux consacrés et pleinement voués au Christ – qui plus est : selon l’esprit (et non la chair) – ou prostituée et client. François contredit Saint Paul, il est donc anathème.

      Quand saint Paul veut que les époux soient consacrés et pleinement voués au Christ, il ne veut pas qu’ils renonce à s’unir dans la chair. Au contraire, il leur ordonne de ne pas se refuser l’un à l’autre, et s’ils s’abstiennent pour un temps, pour vaquer à la prière, il faut que ce ne soit pas trop long. Encore une fois, il ne dit pas qu’il y a soit époux soit prostitués et clients.

      En ce qui concerne la parole du pape François, il est vrai qu’il y a une différence très grande de gravité du péché entre le fait de vivre en couple fidèlement sans être mariés, et le fait de collectionner les aventures d’un soir.

      La parole du pape François n’est pas une caution pour le fait de vivre en couple sans être mariés. C’est comme quand le pape Benoît XVI avait dit qu’il était plus humain d’utiliser un préservatif quand on sait qu’on a le sida, que de faire exprès de contaminer ses partenaires sexuels, cela ne cautionnait pas le fait d’avoir des rapports sexuels hors mariage avec préservatif.

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