Site pour mieux connaître Dieu et l'Église catholique

Pourquoi l’Église trahit-elle Isaïe 38 ?

Je suis en colère. J’avais déjà remarqué cela, il y a quelques années, dans la liturgie de semaine de l’été.

Le chapitre 38 d’Isaïe rapporte la maladie du roi Ezekias alors que Jérusalem est assiégée par les Assyriens. Isaïe est envoyé auprès du roi pour lui confirmer sa mort prochaine, mais celui-ci supplie le Seigneur dans une ardente prière, suite à laquelle Isaïe annoncer au roi qu’il vivra 15 ans de plus ; pour matérialiser cela, le cadran solaire remonte de 10 degrés.

Le roi chante alors un cantique de louange, puis Isaïe ordonne qu’on applique un gâteau de figues sur l’ulcère dont il souffre ; enfin, Ezékias demande à la toute fin du chapitre : «  À quel signe reconnaîtrai-je que je pourrai monter à la Maison du Seigneur ? »

Cette question reste en suspens.

La liturgie charcute ignominieusement le texte biblique en déplaçant la guérison par le gâteau de figues et la question d’Ézékias avant le signe du cadran solaire. Le sens est totalement changé. La poésie de la question en suspens est impitoyablement gommée. C’est une boucherie.

Les commentaires de la Bible Expliquée indiquent que ce récit est une reprise du second livre des Rois au chapitre 20 où la question d’Ézékias précède le signe du cadran.

Pourquoi la liturgie ne lit-elle pas simplement le livre des Rois, alors ?

Les réponses sont dans les commentaires

Retour à la rubrique Révoltes

Publier une révolte

Publier une question

Précédent

À quoi ça sert d’être catholique pratiquant si ça ne change rien à ma vie ?

22 commentaires

  1. Cat-modératrice

    Il est en effet très étonnant qu’ils aient changé l’ordre du texte !

  2. Pelostome

    A la réflexion, ce n’est pas si étonnant. La liturgie déplace rarement ainsi une partie d’un texte d’un endroit à un autre, mais elle joue très souvent des ciseaux pour découper le texte à sa guise. Un exemple éloquent est celui du chapitre 6 de Matthieu, où Jésus donne des commandements de discrétion sur l’aumône, la prière et le jeûne.

    Après avoir évoqué la prière dans le secret de la pièce la plus retirée de la maison, Jésus donne à ses disciples le Notre Père, puis il continue avec ses prescriptions sur le jeûne.

    Quand elle cite ce passage, la liturgie omet systématiquement le Notre Père ; elle souhaite le placer à part alors que Matthieu ne l’a pas enchâssé à cet endroit par hasard. C’est voulu et réfléchi. Mais l’Église ne l’entend pas ainsi, elle réécrit ce qui l’arrange.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Pour ma part ça ne me chose pas que les textes choisis pour telle ou telle fête liturgique puisse être thématiques et non chronologiques.

  3. Pelostome

    Bonjour Cat,

    Si l’on creuse un peu plus loin, on peut voir que les initiateurs de cette situation sont les Évangélistes eux-mêmes. Le début de l’Évangile de Matthieu est particulièrement éloquent à ce niveau. Je vais commencer par une relecture du texte.

    Matthieu commence son Évangile par la généalogie de Jésus, suivie de « l’annonce faite à Joseph ». Celui-ci, juste, droit, et éperdument amoureux, est marié à Marie, mais ils n’ont pas encore habité ensemble, ce qui signifie, en français courant, qu’ils n’ont pas eu de relation sexuelle. Or, on s’aperçoit un jour que Marie est manifestement enceinte.

    Je crois qu’il est important de s’arrêter un instant sur la détresse de Joseph, trompé, trahi, humilié, qui ne peut se résoudre à accuser la femme qu’il aime et décide donc, comme la loi de Moïse l’y autorise, à la « répudier », c’est-à-dire à lui rendre sa liberté en endossant toute la responsabilité du divorce – autant dire : prendre tous les torts à sa charge, comme si c’était lui qui la quittait pour une autre. Mais cela n’est pas suffisant : si la répudiation avait été publique, Marie aurait été forcément accusée dans son dos, tant il était clair que c’était elle, la fautive. Aussi, Joseph décide-t-il de la répudier en secret. Peut-être avait-il le fol espoir que la femme qu’il aimait plus que tout au monde, pourrait retrouver l’homme avec qui elle l’avait trompé, qu’elle prendrait naturellement sa place auprès de lui et qu’ils formeraient un couple, puis une famille heureuse. Sa décision prise, il se couche et il s’endort.

    La nuit, dit-on, porte conseil. Ses défenses désarmées, Joseph, dans son subconscient, voit les choses telles qu’elles sont : le séducteur ne reviendra pas ; il laissera Marie seule, honteuse, déshonorée, fille mère, marquée à vie par un instant d’abandon. Non, sa place n’est pas, ne sera pas, ne peut pas être auprès de celui qui l’a déjà lâchement abandonnée : elle est auprès de lui, qui l’aime, qui ravale sa fierté d’homme, qui accueillera ce fils venu d’ailleurs, qui sera pour lui le meilleur père possible.

    Le chapitre premier se termine par : « il ne s’unit pas à elle, jusqu’à ce qu’elle enfante un fils, auquel il donna le nom de Jésus ». Souhaitait-il lever toute ambigüité sur le fait que ce fils n’était biologiquement pas le sien ? Pressentait-il vraiment le mystère insondable de cet enfant ? Toujours est-il que Matthieu ne se prononce pas sur le fait que Joseph et Marie se soient unis charnellement ou non, après la naissance de Jésus. Pour y répondre, l’Église fait une aveugle confiance à une simple tradition populaire et des Évangiles apocryphes.

    Notons au passage que cette doctrine de la virginité mariale frappe de nullité le couple qui nous est présenté depuis 2000 ans comme « Sainte Famille » : n’ayant jamais « consommé » l’amour charnel, il est à ranger parmi les mariages blancs combattus avec force par l’Église.

    Mais il y a pire. Nous y reviendrons d’ici quelques jours.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Pour le moment je ne vois pas bien le rapport entre votre propos et la discussion en cours, à part le fait que vous ayez vous-même sauté un passage, celui du songe de Joseph, et modifié ce que le texte nous dit des intentions pour lesquelles Joseph ne répudia pas Marie.
      Par ailleurs, un mariage non consommé n’est pas nul, il est valide (si les autres causes de validité sont réunies) mais non indissoluble.

      • Pelostome

        Bonjour Cat,

        j’ai été sans doute trop elliptique. Mon propos n’était pas d’écrire une version contradictoire mais complémentaire à celle de l’Évangile. Matthieu décrit Joseph comme un homme « juste » qui prend la décision de répudier Marie en secret d’une manière qui nous est présentée comme raisonnable et logique mais sans aucune dimension affective ni émotionnelle.

        Lorsque j’écris : « La nuit, dit-on, porte conseil. Ses défenses désarmées, Joseph, dans son subconscient, voit les choses telles qu’elles sont », il me semble évident que je parle de l’épisode du songe (d’accord, ce n’est pas explicite ; c’est bien là l’ellipse : le terme « subconscient » renvoie implicitement au domaine du rêve).

        Quand j’écris : « Non, sa place n’est pas, ne sera pas, ne peut pas être auprès de celui qui l’a déjà lâchement abandonnée : elle est auprès de lui, qui l’aime, qui ravale sa fierté d’homme, qui accueillera ce fils venu d’ailleurs, qui sera pour lui le meilleur père possible », n’est-ce pas simplement une manière profane – même si elle peut être considérée comme trop émotionnelle – d’exprimer : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse » ?

        J’admets qu’il manque le passage suivant : « puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint » ; c’est ma manière à moi de tenter de redonner de l’humanité à Joseph au lieu de le présenter comme un bon petit soldat qui « fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit » sans se poser de question ni d’état d’âme.

        Concernant l’absence d’union charnelle entre Joseph et Marie, il sera décidément dit que vous me surprendrez jusqu’au bout. J’ai toujours lu que l’Église n’annule jamais un mariage, mais peut le déclarer nul de facto pour un certain nombre de raisons diverses, en particulier un manquement à l’un des quatre piliers chrétiens du mariage : liberté, fidélité, indissolubilité, fécondité.

        Ainsi, vous m’avez indiqué dans une autre discussion que si un homme se marie avec la ferme intention, dès le départ, de tromper sa femme, le mariage est nul. De même, si un couple se marie avec la ferme intention de ne pas avoir d’enfants. Je dois donc considérer votre réponse comme le cas d’un couple ayant la ferme intention d’avoir des enfants sans jamais avoir de relation sexuelle.

        L’Église refusant catégoriquement toute forme de procréation médicalement assistée, je ne vois pas d’autre solution à ce dilemme que l’adoption. Est-ce que vous entendez par là qu’un couple s’engageant librement dans une union fidèle et indissoluble avec la ferme intention de ne jamais avoir de relation sexuelle mais d’adopter des enfants vit un mariage valide, voire normal ?

        Déclarer cela peut être considéré comme assez étrange, mais acceptable… si l’on se réfère au Code de Droit Canonique de 1917, pour lequel la fécondité est la raison d’être première du mariage. Mais votre site est largement consacré à la richesse de la catéchèse de Jean-Paul II, entre autres sur le couple, par exemple dans votre article « La procréation est-elle le but premier de la sexualité ? » : « … la dimension unitive, qui a pour but le don de soi et l’approfondissement de la communion entre les époux, peut être considérée comme première, car la procréation est un fruit de cet amour. »

        Plus loin, vous m’avez indiqué que Benoît XVI déclare dans « Deus caritas est »: « En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre ».

        A l’aune de cet enseignement, présenter le couple de Joseph et Marie, qui refuse obstinément l’union charnelle, comme un modèle définitif pour les couples chrétiens, c’est bel et bien s’opposer à cette catéchèse ; connaissant la profonde dévotion mariale de Jean-Paul II, cette contradiction latente à l’intérieur même de sa pensée a de quoi laisser perplexe.

        Ceci posé, revenons au sujet principal de ce fil.

        L’un des drames fondamentaux du peuple hébreu est sa scission en deux royaumes : au nord, le royaume de Samarie, le plus riche, dénommé également Israël ou Ephraïm ; au sud, le petit royaume de Juda, d’où est tiré le nom « Juif ». Ces deux royaumes ne se contentent pas de s’ignorer : périodiquement, ils se font la guerre.

        Au temps du « Premier Isaïe » (car il y en a eu trois), le royaume du nord conclut une alliance avec un autre royaume – pas du tout hébreu, totalement païen : le royaume d’Aram – pour attaquer Juda. Isaïe est envoyé rassurer le roi Acaz (de Juda) par un signe de la part du Seigneur.

        Isaïe part d’un fait concret : une jeune femme enceinte. Son fils, dit-t-il, sera appelé « Emmanou-Él », c’est-à-dire « Avec nous, Dieu ». et il ajoute qu’« avant qu’il fasse la différence entre le bien et le mal », c’est-à-dire : « avant qu’il ait atteint l’âge de raison », c’est-à-dire : « avant qu’il ait sept ans », c’est-à-dire tout simplement : « avant sept ans », les deux royaumes ennemis seront anéantis.

        Les Juifs lisent la Bible en hébreu ; mais celle-ci a été traduite en grec, langue incontournable dans l’Antiquité. Et les mots n’ont pas exactement le même sens d’une langue à l’autre – d’autant plus que l’hébreu ancien écrit les consonnes mais pas les voyelles, ce qui peut faire varier le sens d’un mot selon les voyelles lues entre les consonnes ; donc, dans les faits : selon le lecteur.

        Le texte hébreu parle d’une « jeune femme », sans autre précision, mais le mot retenu en grec pour la traduction est celui de « vierge ». Matthieu, dans son Évangile, au chapitre 1, versets 22-23, se réfère à ce passage d’Isaïe sans le nommer : « Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète :Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : ‘Dieu-avec-nous’ »

        Ce faisant, Matthieu, pourtant juif, et écrivant pour les communautés juives,

        1°) s’appuie au mieux sur une approximation, au pire sur une erreur de traduction
        2°) change délibérément le temps du verbe : au lieu de « la jeune femme est enceinte » (présent), il écrit « la Vierge concevra » (futur)
        3°) omet le sujet principal du signe annoncé en sortant la phrase de son contexte : le signe d’Isaïe porte sur le temps qu’il faut à un enfant pour distinguer le bien du mal, afin de bien appuyer sur le fait que la patience et la foi demandées au roi sont très peu de choses au regard de l’échelle de temps, non seulement de l’histoire du peuple hébreu, mais même de la vie d’un homme ! Isaïe invite au recul, à la distance, au refus de l’immédiateté à tout prix. Matthieu supprime impitoyablement cette dimension dans son empressement à faire entrer coûte que coûte la parole de l’Ancien Testament dans celle du Nouveau : il faut justifier la conception virginale.

        Voilà un exemple flagrant du « péché originel » de l’Évangile; l’Église n’a rien fait d’autre que de reprendre à son compte ces dévoiements de sens dans son enseignement. Aucun catéchiste ne prendra la peine d’indiquer aux enfants dont il a la charge que la conception virginale repose sur des approximations littéraires s’empilant les unes sur les autres. L’Église fera mine par le suite de se désoler du fondamentalisme et de l’intégrisme. C’est dommage.

        Encore une fois, il ne s’agit pas pour moi de condamner catégoriquement l’enseignement de l’Église, juste de plaider pour la prise de recul et de distance si chère à Isaïe ; je crois sincèrement qu’elle ne contredit pas la foi mais au final la renforce.

        • Cat-modératrice

          Bonjour Pelostome,

          J’avais cru que vous vouliez donner une version non surnaturelle de la conception de Jésus et de la décision de Joseph.

          En ce qui concerne la possibilité d’annuler un mariage non consommé (pour ceux qui ne connaissent pas l’expression : un mariage où il n’y a eu aucune relation sexuelle), je comprends votre surprise, car c’est en contradiction avec ce que j’ai déjà écrit, qui n’était pas assez précis. De fait, dans l’Église ce sont les mariages consommés qui sont indissolubles. Quant au fait que l’intention de s’abstenir de relations sexuelles est une forme de fermeture à la procréation, je ne sais pas quelle est la doctrine de l’Église sur le sujet. Pour que le mariage soit valide, il doit falloir que l’intention d’abstinence ne soit pas dans le but d’éviter d’avoir des enfants.

          Nous avons l’exemple de Louis et Zélie Martin qui avaient l’intention de s’abstenir toujours de relations sexuelles, et un conseiller spirituel les a aidés à changer d’avis après plusieurs mois de mariage. Leur mariage était pourtant valide, et ils ont vécu la suite de leur union sans abstinence.

          Quant à la sainte famille, à mes yeux c’était plus des consacrés incognitos qu’un vrai couple.

          En ce qui concerne la traduction de « Jeune femme », cette expression désignait en hébreu soit les jeunes femmes, soit les femmes vierge. C’est une des interprétations possibles de le traduire en « vierge ». Si l’on suppose que les auteurs des Évangiles sont inspirés, on peut en déduire que c’est effectivement ce que Dieu a voulu dire, ou l’une des choses que Dieu a voulu dire.

          Je n’ai pas les connaissance linguistiques qu’il faut pour discuter de la traduction de « est enceinte » en « concevra ».

          Je ne comprends pas pourquoi vous êtes si sûr que l’âge du fils, le temps d’attente, est le sujet principal de ce passage.

          Vous parlez de « dévoiements » de sens, alors qu’un même passage de l’Écriture peut avoir de nombreux niveaux de sens. Je crois en l’inspiration des Évangiles, donc je crois que le sens que nous dévoile St Mathieu est l’un des sens voulus par Dieu quand il a inspiré ce passage d’Isaïe.

          Je n’oublie pas vos autres commentaire, j’y répondrai dès que possible.

          • Pelostome

            Bonjour Cat,

            vous m’écrivez : « Je ne comprends pas pourquoi vous êtes si sûr que l’âge du fils, le temps d’attente, est le sujet principal de ce passage ».

            Ma foi, c’est parce que cette phrase est la seule en lien direct avec la double menace de Samarie et Aram. Je n’ai pas l’impression qu’Isaïe dise au roi Acaz : « Tu vois bien que tes ennemis seront défaits puisqu’un enfant va naître » ; on pourrait autant dire : « Regarde, le temps est à l’orage, c’est bien le signe que tu seras victorieux » !

            Je dois par ailleurs avouer que j’ai eu un coup au moral en lisant : « Quant à la sainte famille, à mes yeux c’était plus des consacrés incognitos qu’un vrai couple » ; je m’étais couché tard la veille, réveillé tôt avec une belle énergie, et je me suis senti tout à coup très fatigué.

            J’ai pris quelques jours avant de réagir, le temps de digérer. Après analyse, et en forçant à peine le trait, le résumé de votre propos m’apparaît assez cocasse.

            Je pense que j’ai eu cette réaction parce que, ce qu’il en ressort, c’est : « Marie et Joseph ne formaient pas un vrai couple ». Je devrais m’en réjouir : cela devrait apporter de l’eau à mon moulin. En fait, j’ai surtout l’impression d’une supercherie : l’Église catholique a dépensé depuis plus de 60 ans une énergie phénoménale à convaincre les chrétiens qu’elle encense l’amour charnel entre époux, mais le couple qui nous est donné en modèle depuis 2000 ans apparaît en fait comme une sorte de béguinage entre un moine et une religieuse. À ce compte-là, je finis par me dire que l’Église catholique devrait peut-être tout simplement s’abstenir purement et définitivement de tout propos sur la sexualité, puisque le « couple » de référence chrétien, selon elle, ne l’a jamais pratiquée – sans compter que l’essentiel des propos sur ce sujet sont proférés par Jésus, et plus encore par Saint Paul, qui n’y ont jamais goûté non plus.

            Enfin, quand vous écrivez « Si l’on suppose que les auteurs des Évangiles sont inspirés, on peut en déduire que c’est effectivement ce que Dieu a voulu dire, ou l’une des choses que Dieu a voulu dire », cela revient à considérer que la multiplicité des sens possibles permet peu ou prou toutes les interprétations.

            Ainsi donc, Matthieu réactualise la prophétie d’Isaïe en un sens totalement nouveau pour coller à la dévotion de son temps sur la conception virginale ? Chiche ! Puisque Joseph et Marie ne formaient pas un vrai couple, je pense que nous pourrions sans problème aujourd’hui traduire ce terme par : « Mère célibataire », ce qui permettrait d’être en phase avec notre siècle. Pourquoi pas ?

            • Cat-modératrice

              Bonjour Pelostome,

              Je cite ici le texte d’Isaïe :

              « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe :
              Voici, la jeune femme est enceinte,
              elle va enfanter un fils
              et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.
              Il mangera du lait caillé et du miel
              jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien.

              Car avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien,
              elle sera abandonnée, la terre dont les deux rois te
              jettent dans l’épouvante. » (Isaïe 7, 14-16)

              Pour moi ce texte est messianique, et le message principal est l’annonce de la naissance de cet enfant, dont on nous donne plusieurs caractéristique. Il n’est pas là d’abord pour donner une indication de temps. Son nom signifie « Dieu avec nous », c’est à travers l’enfant que Dieu va se donner. Et je ne pense pas que l’indication de temps signifie qu’il faille savoir attendre, au contraire, la délivrance aura lieu « avant » que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien. On ne sait pas à quel moment « avant », mais quand l’enfant saura rejeter le mal et choisir le bien, la délivrance aura déjà eu lieu. Il y a bien une attente à accepter, c’est celle de la naissance de cet enfant, qui est le cœur de la prophétie.

              Je suis désolée de vous avoir perturbé en disant « Quant à la sainte famille, à mes yeux c’était plus des consacrés incognitos qu’un vrai couple ». J’ai bien précisé « à mes yeux » pour dire qu’il ne s’agissait pas de la position officielle de l’Église. Mais c’est vrai que ce n’était pas assez clair. Je crois vous en avoir déjà parlé, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi un vrai couple ne devrait pas avoir de relations sexuelles, même si l’épouse a commencé par donner naissance à Dieu. Ou bien si être la mère de Dieu est incompatible avec une vie conjugale, parce que Marie a été consacrée par cet enfantement, en ce cas ce n’est pas un vrai couple mais des consacrés incognitos. J’ai du mal à voir les choses autrement, mais ce n’est pas la vision de l’Église.

              Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’accord sur le fait que l’Église devrait s’abstenir de propos sur la sexualité parce que Marie et Joseph vivaient dans l’abstinence. Il est évident que ce couple est dans une situation tout à fait particulière. Leur enfant et Dieu, est-ce que ça interdit à l’Église de parler des familles parce que les autres familles ont des enfants qui ne sont pas Dieu ? La Bible a un enseignement sur la sexualité depuis la Genèse jusqu’à Saint Paul, c’est un élément fondamental de la foi chrétienne. La doctrine a évolué avec le temps, l’Église a appris à mieux comprendre ce trésor qu’est la sexualité voulue et créée par Dieu. L’abstinence de Marie et Joseph n’est pas contradictoire avec un enseignement sur la sexualité des couples, et sur une vision très positive de la sexualité dans le couple.

              Vous écrivez :

              Enfin, quand vous écrivez « Si l’on suppose que les auteurs des Évangiles sont inspirés, on peut en déduire que c’est effectivement ce que Dieu a voulu dire, ou l’une des choses que Dieu a voulu dire », cela revient à considérer que la multiplicité des sens possibles permet peu ou prou toutes les interprétations.

              De très nombreuses interprétations pourraient être possibles pour tous les passages de la Bible. Les protestants, qui ne reconnaissent pas d’autorité en la matière, ont des interprétations vraiment très variées, chacun peut choisir sa propre interprétation.

              Dans l’Église catholique, il y a un magistère, une autorité, dont l’une des missions est de discerner le sens des écritures, avec l’aide de l’Esprit Saint, sans pour autant tout verrouiller. Les auteurs bibliques ont d’autant plus cette autorité. La foi chrétienne nous enseigne que les auteurs bibliques ont eu un charisme spécial pour nous transmettre l’enseignement de Dieu.

              • Pelostome

                Bonjour Cat,

                votre réponse sur la prophétie d’Isaïe illustre merveilleusement la tendance maladive de l’Église à phagocyter l’Ancien Testament. Vous mentionnez une dimension messianique à la prophétie d’Isaïe au chapitre 7. Au passage, il est important de garder à l’esprit que le mot « Messie » n’est utilisé qu’une seule fois dans les 66 chapitres du livre d’Isaïe, pour désigner… Cyrus, roi de Perse ! On ne peut pas trouver moins juif…

                Mais il y a plus important encore : le chapitre 8. Dans ce chapitre, Isaïe s’unit à sa femme, qui donne naissance à un fils. Cette fois, Isaïe déclare qu’avant même que celui-ci sache dire « Maman » et « Papa », les richesses de Damas (capitale du royaume d’Aram) et de Samarie (capitale du royaume du même nom) seront aux mains du royaume d’Assour. Il enfonce bien le clou en déclarant que, parce que les Judéens ont perdu la foi au point de nouer des alliances au lieu de livrer franchement bataille, c’est Assour qui va écraser la coalition d’Aram et Samarie. Je pense qu’il s’agit là du vrai signe : Dieu a décidé la perte de la coalition, quand bien même Jérusalem le refuse.

                Il est clair que les chapitres 7 et 8 ont exactement le même propos. Mais la femme d’Isaïe ne saurait en aucun cas être considérée vierge, et son fils n’a aucun attribut messianique. Or, si le chapitre 7 est cité dans la liturgie, autant que je puisse m’en souvenir, le chapitre 8 n’apparaît jamais, ni dans les messes dominicales, ni dans celles de semaine.

                C’est une chose de déclarer que le magistère et les auteurs du Nouveau Testament ont un super-pouvoir qui leur permet de mieux interpréter l’Ancien Testament que les hommes et les femmes de bonne volonté.

                C’est totalement autre chose de s’arroger le droit de sélectionner arbitrairement dans l’Ancien Testament les textes qui les arrangent.

                C’est contre cela que je m’insurge ; c’est cela, l’objet de ma révolte.

                En ce qui concerne le couple réel ou supposé de Marie et Joseph, vous n’avez aucun besoin de présenter des excuses. Vous avez effectivement bien indiqué qu’il s’agit de votre avis et pas celui de l’Église. Mais votre franchise permet de démasquer le propos de l’Église, que celle-ci ne souhaite pas assumer.

                Si on considère, comme l’indique officiellement son enseignement, que Marie et Joseph forment un vrai couple bien qu’ils n’aient jamais eu de relation sexuelle, alors la démonstration de Benoît XVI dans « Deus Caritas est » ne tient pas. En effet, vous m’avez fait connaître ce texte où il proclame qu’on ne peut pas opposer éros et agapè car l’éros conduit naturellement à l’agapè, et que les deux sont indissociables.

                Hélas, si Benoît XVI indique clairement que l’éros conduit à l’agapè, il n’indique nulle part que l’agapè conduit en retour à l’éros. C’est bien ce que signifie le couple de Marie et Joseph : d’une part, il saute l’étape de l’éros pour déboucher directement sur l’agapè – pourquoi pas ? – mais surtout, son agapè ne le conduit jamais à l’éros puisqu’ils n’ont jamais de relation sexuelle.

                Sans le dire, Benoît XVI se fait l’écho d’une expérience partagée par des millions de couples : au début de la relation, c’est l’éros qui règne en maître. Celui-ci va donner naissance d’une part à l’agapè, d’autre part aux enfants. L’éros, qui a déjà perdu de sa superbe, va laisser progressivement toute la place à l’agapè, et le couple va se dissoudre dans la famille. Lorsqu’il n’y a finalement plus d’éros, plus de désir à l’intérieur du couple, toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle rencontre avec un tiers, un adultère, un divorce, puis une nouvelle histoire d’amour qui permet à l’éros de reprendre sa place.

                Bien sûr, il ne s’agit pas d’une fatalité ; mais statistiquement, c’est amplement constaté. C’est un risque incontournable ; celle-ci devrait être systématiquement abordé dans les préparations au mariage. Au lieu de cela, l’Église se contente de la condamnation absolue du divorce suivi d’une nouvelle union, là où elle devrait faire un effort phénoménal de prévention.

                Je pense que l’Église ne fait pas cela par méchanceté. Il suffit de lire la première lettre aux Corinthiens : Saint Paul se proclame fièrement célibataire, et, tout en reconnaissant que le mariage n’est pas un péché, exhorte les chrétiens célibataires à ne pas se marier, afin de leur éviter les tourments du mariage.

                Ces tourments sont issus des émotions, de l’éros, du désir, du sexe. Ils font partie de l’expérience humaine et permettent de faire grandir les personnes ; vouloir préserver ses disciples de cette formidable expérience de vie est particulièrement significatif quant à l’opinion de Paul sur le sujet.

                Aujourd’hui, même si certains célibataires consacrés ont des intuitions fulgurantes sur le couple, de manière générale, il semble illusoire d’attendre un enseignement pertinent sur ce sujet de la part de personnes qui n’ont pas ressenti au plus intime d’eux-mêmes ces émotions. Au final, ériger Marie et Joseph en modèle ultime pour le couple chrétien révèle ce que l’Église n’ose même pas s’avouer ; on pourrait presque parler d’un fantasme, même s’il est probablement inconscient : enfanter sans faire l’amour revient à développer toute la grâce de l’agapè en s’affranchissant de l’éros. C’est grâce à votre commentaire que j’en ai pris conscience ; je vous en remercie chaleureusement.

                • Cat-modératrice

                  Bonjour Pelostome,

                  Vous écrivez :

                  Votre réponse sur la prophétie d’Isaïe illustre merveilleusement la tendance maladive de l’Église à phagocyter l’Ancien Testament.

                  Pourtant, c’est Jésus le premier qui a interprété l’Ancien Testament à la lumière de sa venue. On le voit dans le récit des Pèlerins d’Emmaüs : « Alors il leur dit : ‘‘Ô cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?’’ Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. » (Luc 24, 25-27)

                  On le voit s’attribuer aussi les promesses qui se trouvent dans divers textes de l’Ancien Testament, notamment Isaïe 35, 5-6 et 61,1. Sa démonstration est une preuve pour les disciples de Jean parce que c’est l’accomplissement des prophéties.

                  « Appelant à lui deux de ses disciples, Jean les envoya dire au Seigneur : ‘‘Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?’’ Arrivés auprès de lui, ces hommes dirent : ‘‘Jean le Baptiste nous envoie te dire : Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?’’ À cette heure-là, il guérit beaucoup de gens affligés de maladies, d’infirmités, d’esprits mauvais, et rendit la vue à beaucoup d’aveugles. Puis il répondit aux envoyés : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ; et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi ! » (Luc 7, 18-23)

                  Il s’attribue aussi le texte d’Isaïe 61, 1-2.

                  « On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit :

                  L’Esprit du Seigneur est sur moi,
                  parce qu’il m’a consacré par l’onction,
                  pour porter la bonne nouvelle aux pauvres.
                  Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance
                  et aux aveugles le retour à la vue,
                  renvoyer en liberté les opprimés,
                  proclamer une année de grâce du Seigneur.

                  Il replia le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue tenaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : ‘‘Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture.’’ » (Luc 4, 18-21)

                  Dans les actes des apôtres aussi, ce n’est plus Jésus lui-même mais le diacre Philippe qui interprète un autre texte d’Isaïe comme faisant référence à Jésus (Actes 8, 26-35).

                  Si l’on croit que c’est le même Dieu qui a inspiré l’Ancien et le Nouveau Testament, et que le but, dès le départ, était que le Fils soit envoyé pour sauver les hommes, que l’élection du peuple Juif avait pour but de préparer l’humanité à l’accueil du Fils de Dieu, il est logique de penser que l’Ancien Testament parle déjà du Fils. Le fait que l’Ancien Testament parle de Jésus est un élément incontournable de la foi chrétienne.

                  En ce qui concerne Isaïe 7 et 8, rien ne permet d’affirmer que les deux enfants sont les mêmes. Votre interprétation est une interprétation possible, mais elle n’est pas celle qui a été discernée par l’Église, comme vous savez. Dans Isaïe 7, 14-16, la conception de l’enfant est annoncée comme le signe que Dieu donne pour son peuple. L’enfant s’appelle « Dieu avec nous ». Le terme « jeune fille » peut vouloir dire « vierge ». Comme la foi chrétienne nous enseigne que Dieu nous parle de son Fils dès l’Ancien Testament, il est normal d’y voir une annonce du Christ.

                  Vous écrivez :

                  C’est une chose de déclarer que le magistère et les auteurs du Nouveau Testament ont un super-pouvoir qui leur permet de mieux interpréter l’Ancien Testament que les hommes et les femmes de bonne volonté.

                  C’est totalement autre chose de s’arroger le droit de sélectionner arbitrairement dans l’Ancien Testament les textes qui les arrangent.

                  C’est contre cela que je m’insurge ; c’est cela, l’objet de ma révolte.

                  Je pense que vous serez d’accord avec moi sur le fait qu’il est impossible de faire lire la Bible entière à la messe, et que l’on ne peut pas faire des lectures d’une longueur infinie. Vous serez peut-être d’accord avec moi sur le fait qu’il y a des textes plus pertinents que d’autres et que, par exemple, il n’est pas très utile de faire lire les dimensions du temple à la messe.

                  Si l’Église fait exprès d’exclure des textes qui la dérangent, je comprends que cela vous révolte. Comme dans l’exemple du texte d’Ézéchiel dont vous parlez dans un autre commentaire, où une partie est éliminée, d’après vous dans le but de légitimer l’interdiction du divorce et du remariage, d’après moi parce qu’elle montre de la violence et que la violence dans l’Ancien Testament est souvent censurée.

                  Si j’ai bien compris, pour vous le texte d’Isaïe 8 n’est pas lu à la messe parce qu’il démontre que le texte d’Isaïe 7 n’est pas un texte messianique. Pour moi l’Église ne voit pas de lien entre ces deux textes, et elle ne fait pas lire celui d’Isaïe 8 parce qu’il faut bien choisir entre tous les textes possibles, et que celui-ci lui semble moins pertinent que d’autres.

                  Vous écrivez :

                  Si on considère, comme l’indique officiellement son enseignement, que Marie et Joseph forment un vrai couple bien qu’ils n’aient jamais eu de relation sexuelle, alors la démonstration de Benoît XVI dans « Deus Caritas est » ne tient pas. En effet, vous m’avez fait connaître ce texte où il proclame qu’on ne peut pas opposer éros et agapè car l’éros conduit naturellement à l’agapè, et que les deux sont indissociables.

                  Il ne faut pas oublier que la norme des couples est d’avoir des relations sexuelles. C’est dans le texte de la Genèse que Jésus reprend : « C’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Genèse 2, 24). Saint Paul dit aussi : « Ne vous refusez pas l’un à l’autre. » La situation de Marie et Joseph est très spéciale, et ils ne sont pas à prendre en exemple sur le point de l’abstinence de relations sexuelles. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu une forme d’eros entre eux, car l’eros est un désir d’union à l’autre pas uniquement sexuel. Benoît XVI parle de l’eros de Dieu pour nous comme d’un désir de communion avec nous. Ce qui n’empêche pas qu’il parle aussi de l’eros sexuel quand il dit que l’eros est bon, mais l’eros n’est pas que sexuel.

                  Vous écrivez :

                  Hélas, si Benoît XVI indique clairement que l’éros conduit à l’agapè, il n’indique nulle part que l’agapè conduit en retour à l’éros.

                  Cela ne veut pas dire que l’eros ne soit pas indispensable. L’eros est en Dieu même, donc même s’il dit que l’eros conduit à l’agape et pas l’inverse, cela n’empêche pas que l’eros ait une dimension éternelle et bonne en soi. L’eros de Dieu n’est pas sexuel, mais l’être humain vit l’image de Dieu à travers un eros sexuel. L’union sexuelle de l’homme et de la femme est une image de l’eros qui est en Dieu. Saint Paul dit aussi que l’union de l’homme et de la femme est une image de l’union du Christ et de l’Église. Par contre, au ciel il n’y aura plus de relations sexuelles, mais l’union spirituelle sera beaucoup plus forte que l’union sexuelle. L’union sexuelle est une prémisse et une image de l’union spirituelle que nous vivrons au Ciel.

                  Vous écrivez :

                  Sans le dire, Benoît XVI se fait l’écho d’une expérience partagée par des millions de couples : au début de la relation, c’est l’éros qui règne en maître. Celui-ci va donner naissance d’une part à l’agapè, d’autre part aux enfants. L’éros, qui a déjà perdu de sa superbe, va laisser progressivement toute la place à l’agapè, et le couple va se dissoudre dans la famille. Lorsqu’il n’y a finalement plus d’éros, plus de désir à l’intérieur du couple, toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle rencontre avec un tiers, un adultère, un divorce, puis une nouvelle histoire d’amour qui permet à l’éros de reprendre sa place.

                  Je pense que le fait que l’eros disparaisse du couple est une conséquence du péché. Comme vous le dites plus loin, ce n’est pas une fatalité et il y a beaucoup de couples où la venue des enfants n’éteint pas le désir. Je pense qu’un couple chrétien doit essayer de prendre les moyens pour que l’eros ne se « dissolve pas dans la famille ». Encore une fois, Benoît XVI dit que l’eros est en Dieu, l’eros n’est donc pas voué à disparaître ni à se dissoudre dans l’agape.

                  Vous écrivez :

                  Bien sûr, il ne s’agit pas d’une fatalité ; mais statistiquement, c’est amplement constaté. C’est un risque incontournable ; celle-ci devrait être systématiquement abordé dans les préparations au mariage. Au lieu de cela, l’Église se contente de la condamnation absolue du divorce suivi d’une nouvelle union, là où elle devrait faire un effort phénoménal de prévention.

                  Je ne pense pas que les préparations au mariage consistent uniquement à rappeler l’interdiction du divorce. Les préparations au mariage sont très inégales selon les paroisse. Chacun fait avec les moyens du bord. Est-ce que vous pensez que l’Église hiérarchique devrait imposer un programme pour la préparation au mariage, avec cette question de la sauvegarde de l’eros ? C’est une vraie question ! Mais ce serait aussi risqué d’uniformiser la préparation au mariage et d’en confier le programme à Rome. Vous y verriez sûrement des éléments qui vous déplairaient.

                  Vous écrivez :

                  Saint Paul se proclame fièrement célibataire, et, tout en reconnaissant que le mariage n’est pas un péché, exhorte les chrétiens célibataires à ne pas se marier, afin de leur éviter les tourments du mariage.

                  Il ne faut pas oublier que Saint Paul Croyait que la venue de Jésus dans la gloire était imminente. Mais la dévalorisation du mariage par Paul me pose vraiment problème. Pourtant ailleurs il écrit : « Ce mystère est grand ».

                  Vous écrivez :

                  Aujourd’hui, même si certains célibataires consacrés ont des intuitions fulgurantes sur le couple, de manière générale, il semble illusoire d’attendre un enseignement pertinent sur ce sujet de la part de personnes qui n’ont pas ressenti au plus intime d’eux-mêmes ces émotions.

                  Je ne suis pas d’accord avec vous. D’ailleurs les personnes mariées ne connaissent qu’une seule expérience de la vie matrimoniale et ils risquent aussi de généraliser leur propre expérience.

                  Vous écrivez :

                  Au final, ériger Marie et Joseph en modèle ultime pour le couple chrétien révèle ce que l’Église n’ose même pas s’avouer ; on pourrait presque parler d’un fantasme, même s’il est probablement inconscient : enfanter sans faire l’amour revient à développer toute la grâce de l’agapè en s’affranchissant de l’éros.

                  Jésus a été conçu sans faire l’amour parce qu’il est le fils de Dieu et non de Joseph. Même si Marie et Joseph avaient été un couple non abstinent, Jésus aurait tout de même été conçu sans faire l’amour. Je ne crois pas que l’Église fantasme de s’affranchir de l’eros. Son enseignement n’a rien à voir avec ça.

  4. Pelostome

    Bonsoir,

    nous ne nous sommes peut-être pas tout à fait compris lorsque vous avez écrit le 30 juillet dernier : « Pour ma part ça ne me choque pas que les textes choisis pour telle ou telle fête liturgique puisse être thématiques et non chronologiques. »

    Ce que je voulais dire en parlant du chapitre 6 de Matthieu choisi pour le mercredi des Cendres, ce n’est pas que la liturgie donne les versets 1 à 18 et que le lendemain, elle ne continue pas avec les versets suivants ; c’est que la liturgie donne les versets 1 à 6, puis saute les versets 7 à 15, et termine la lecture du jour avec les versets 16 à 18 comme si les versets 7 à 15 n’avaient jamais été écrits… alors que dans ces versets, Jésus apprend à ses disciples le Notre Père !

    Si c’est bien ce que vous avez voulu dire, si pour vous la mise en avant de l’aumône, la prière et le jeûne en secret l’emportent sur cet enchâssement voulu par Matthieu de la prière fondamentale des chrétiens en plein milieu de ce texte, alors vous m’étonnez. A ce compte-là, l’Église pourrait réécrire la Bible à sa guise en en changeant totalement le sens, en sortant les phrases de leur contexte.

    La plupart des gens s’accorderont pour dire que j’exagère, mais est-ce bien si sûr ?

    Nouvel exemple pour la première lecture de ce jour, 16 août 2024 : Ezékiel, chapitre 16, versets 1 à 15, puis verset 60, puis verset 63.

    Les 15 premiers versets décrivent Jérusalem (c’est-à-dire le royaume de Juda) comme une enfant abandonnée en plein champ à sa naissance, autant dire : promise à la mort ; Dieu la voit et lui dit : « Vis ! », et elle grandit comme une enfant sauvage jusqu’à sa puberté, où il « étend sur elle le pan de son manteau » pour « couvrir sa nudité ». Il s’agit là d’une expression pour le moins ambiguë puisque « étendre le pan de son manteau » signifie en hébreu « prendre pour femme ».

    S’ensuit une description minutieuse et magnifique de tous les vêtements, bijoux et mets fins dont Dieu pare cette femme pour lui donner un éclat extraordinaire, avant une condamnation sans appel au verset 15 : « Mais tu t’es fiée à ta beauté, tu t’es prostituée en usant de ta renommée, tu as prodigué tes faveurs à tout passant : tu as été à n’importe qui ».

    Après ce verset 15, la liturgie omet délibérément 45 versets, et non des moindres : le terme « prostituée » ou « prostitution » y est répété 19 fois dans les 21 versets qui suivent ! Puis le texte biblique insiste sur la fureur de Dieu : « 38 Je t’inflige le châtiment des femmes adultères et des femmes sanguinaires : je répands ton sang avec fureur et jalousie.

    39 Je te livre entre leurs mains ; ils nivelleront ton podium et démoliront tes estrades ; ils t’arracheront tes vêtements et te prendront tes bijoux ; ils te laisseront complètement nue.
    40 Puis ils dresseront l’assemblée contre toi, ils te lapideront et de leurs épées te démembreront ;
    41 ils incendieront tes maisons ; ils feront justice de toi, sous les yeux d’une multitude de femmes. Je mettrai fin à ta vie de prostituée ; tu ne pourras même plus donner de salaire.
    42 J’assouvirai ma fureur contre toi. Puis ma jalousie se détournera de toi, je m’apaiserai, je ne serai plus irrité. »

    La fureur de Dieu se calme peu à peu pour en arriver au verset 60 : « Cependant, moi, je me ressouviendrai de mon alliance, celle que j’ai conclue avec toi au temps de ta jeunesse, et j’établirai pour toi une alliance éternelle », puis la liturgie saute à nouveau deux versets pour terminer sur le dernier du chapitre : « Ainsi tu te souviendras, tu seras couverte de honte. Dans ton déshonneur, tu n’oseras pas ouvrir la bouche quand je te pardonnerai tout ce que tu as fait – oracle du Seigneur Dieu. »

    47 versets omis sur 63, ça représente trois quarts du texte sacrifié.

    Si j’ai bien compris votre raisonnement, le thème du jour serait donc l’amour de Dieu premier, puis sa miséricorde face au péché, ce qui justifierait la suppression du reste.

    Mais la violence inouïe du texte biblique illustre avant tout le désarroi et la souffrance incommensurables de Dieu ; force est de constater que l’Église n’en veut pas. L’Église est attachée à gommer l’image d’un Dieu vengeur et guerrier, d’accord. Mais ce faisant, elle le transforme en un super-héros de l’agapé totalement insensible à la douleur qui endure sans un seul gémissement la trahison et la honte, tout occupé à s’employer à la seule et unique réaction valable aux yeux de l’Église : le pardon.

    Le dévoiement semble minime, mais en filigrane, il est colossal : en vérité, le simple fait de supprimer cette violence du texte d’Ezekiel, amène une transformation phénoménale à l’enseignement sur le pardon.

    Devant la douleur la plus atroce, l’Église a coutume de dire : « Quelle que soit l’offense subie, tu peux toujours pardonner ».

    Mais la réécriture du texte d’Ezekiel revient à dire – sans l’avouer : « Quelle que soit l’offense subie, tu DOIS toujours pardonner ».

    L’ouverture libératrice devient une injonction culpabilisante. Voilà l’effet subliminal de cette pratique. Et personne n’y trouve rien à redire : tous les versets cités sont bel et bien dans le texte original !

    Et encore, si on rapproche cette première lecture de l’Évangile du jour, l’effet obtenu est encore plus fort.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Il y a une très grande différence pour moi entre votre exemple du Mercredi des Cendres et votre exemple du texte d’Ézéchiel.

      Il y a plusieurs façons d’étudier la Bible, et elles se complètent. Il est nécessaire de prendre le texte dans sa globalité, il est aussi nécessaire d’étudier des thèmes d’une manière transversale, si l’on veut recevoir tout ce que la Bible a à nous enseigner.
      J’ai dit : « Ça ne me choque pas que les textes choisis pour telle ou telle fête liturgique puisse être thématiques et non chronologiques. » Pour une fête qui est sur un thème, il me semble légitime d’étudier un texte sur le même thème. Je ne dis pas qu’il faille le faire tout le temps, mais là il s’agit de recevoir l’enseignement de Dieu sur le jeûne, la prière et l’aumône. Le reste de l’année, il y a des textes suivis.

      Dans votre exemple sur Ézéchiel, c’est autre chose, effectivement on altère le sens du passage biblique. C’est comme dans certains psautier, par exemple les Prière du Temps Présent, où les versets choquants des psaumes ont été éliminés.
      Je ne suis pas d’accord avec ces pratiques.

      Par contre, je ne comprends pas vos propos au sujet de « Tu peux pardonner » et « Tu dois pardonner », en quoi le texte implique l’un ou l’autre ?

      • Pelostome

        Concernant le texte utilisé pour le mercredi des Cendres, il s’articule en 4 parties : la première parle de l’aumône ; la seconde, de la prière ; dans la troisième, Jésus apprend à ses disciples le Notre Père ; enfin, la dernière porte sur le jeûne.

        Pour la liturgie des Cendres, l’Église ne veut parler que de l’aumône, de la prière et du jeûne ; elle supprime impitoyablement le Notre Père du texte de la liturgie du jour. Rien moins que la prière centrale des chrétiens. C’est quand même fort de café comme charcutage.

        Pour le passage d’Ezechiel, la violence inouïe du texte ne peut se comprendre que par l’identification de Dieu à un conjoint trompé : il laisse déborder sa fureur selon la mesure de sa souffrance, avant finalement de revenir à son amour. Cette situation est vécue par de nombreux couples et parle donc au cœur des lecteurs de la Bible.

        Cette situation conduit à un échec cuisant du mariage ; selon les émotions qui sont les nôtres, le divorce apparaît dans ce cas comme une porte de sortie salutaire permettant de se reconstruire par la suite auprès d’un nouvel amour. Mais l’Église condamne cela. La seule solution pour ne pas devenir fou consiste à dépasser la douleur pour réussir à pardonner à l’infidèle ; mais cela n’est pas à la portée de tout le monde.

        Le discours officiel de l’Église consiste à dire : « Avec l’aide de Dieu, rien n’est impossible ; donc le pardon reste possible malgré le poignard dans le cœur ».

        En supprimant la violence du texte d’Ézekiel, l’Église nie la souffrance. En ce sens, son discours officieux et non assumé revient à dire : « Avec l’aide de Dieu, rien n’est impossible, donc le pardon est possible, donc il est obligatoire ». Cette dernière partie de la phrase ne pourrait pas être audible si l’Église reconnaissait la violence du texte, signe de la souffrance de l’être trompé. Je pense donc que cette sélection tout à fait consciente du texte à garder et du texte à supprimer, concourt délibérément à porter un discours qui, pour la plupart des couples, relève de l’utopie, en le présentant non pas comme un idéal réservé à quelques-uns, mais comme un précepte incontournable s’appliquant à tous, quelle que puisse être l’étendue de la souffrance endurée.

        • Cat-modératrice

          Bonjour Pelostome,

          En ce qui concerne le texte du mercredi des Cendre, je vous ai déjà dit mon point de vue dans mon commentaire précédent.

          Le texte d’Ézéchiel exprime la colère de Dieu, mais il montre tout de même Dieu qui pardonne, donc qu’il y ait le passage enlevé ou non, le message de pardon reste le même.

          Vous dites que l’Église condamne le fait de « se reconstruire par la suite auprès d’un nouvel amour » après un divorce. Mais c’est d’abord Jésus qui condamne cela. Les textes des Évangile sont très clairs sur la condamnation du remariage après un divorce. Et cette explication figure deux fois dans l’Évangile de St Matthieu (Mt 5, 31-32 et Mt 19, 3-9), une fois dans Marc (Mc 10, 2-12) et une fois dans Luc (Lc 16, 18).

          Je pense donc que l’Église n’a pas besoin de moyens si compliqués et si peu explicites que celui dont vous parlez. L’Évangile est assez explicite comme cela.

          Je pense que l’élimination du passage d’Ézéchiel a pour raison le malaise du aux passages montrant de la violence dans la Bible. Pour la même raison que dans beaucoup de psautiers, le passage entre crochets du psaume 137 est passé sous silence. C’est un exemple parmi de nombreuse censures :

          Au bord des fleuves de Babylone
          nous étions assis et nous pleurions,
          nous souvenant de Sion ;
          aux peupliers d’alentour
          nous avions pendu nos harpes.
          Et c’est là qu’ils nous demandèrent,
          nos geôliers, des cantiques,
          nos ravisseurs, de la joie :
          « Chantez-nous, disaient-ils,
          un cantique de Sion. »
          Comment chanterions-nous
          un cantique de Yahvé
          sur une terre étrangère ?
          Si je t’oublie, Jérusalem,
          que ma droite se dessèche !
          Que ma langue s’attache à mon palais
          si je perds ton souvenir,
          si je ne mets Jérusalem
          au plus haut de ma joie!
          [Souviens-toi, Yahvé,
          contre les fils d’Edom,
          du Jour de Jérusalem,
          quand ils disaient: « A bas!
          Rasez jusqu’aux assises! »
          Fille de Babel, qui dois périr,
          heureux qui te revaudra
          les maux que tu nous valus,
          heureux qui saisira et brisera
          tes petits contre le roc !]

          Dans cet exemple il ne s’agit pas de la violence de Dieu, mais de la violence de celui qui prie Dieu.

  5. Pelostome

    Le choix en première lecture de la mise en cause pour prostitution de Jérusalem chez Ézékiel peut contribuer à éclairer d’un jour nouveau l’Évangile du même jour : la condamnation par Jésus du remariage après divorce.

    Tout d’abord, il y au début de ce texte une dynamique que je n’avais pas encore totalement approfondie

    1°) les pharisiens veulent mettre Jésus à l’épreuve ; c’est une situation courante dans l’Évangile. Mais cela signifie aussi qu’en fait, le remariage, ils s’en moquent totalement, leur seul but étant de mettre Jésus en difficulté
    2°) les pharisiens demandent s’il est permis de renvoyer sa femme « pour n’importe quel motif » ; cette demande suppose qu’il y a une gradation des motifs. Il y a même un motif valable selon Jésus : l’AELF le désigne par l’expression « union illégitime », vague et obscure. La Bible Expliquée est plus explicite : l’expression y désigne clairement l’adultère de la femme. En appliquant la loi de l’époque au sens strict, la femme devrait alors être mise à mort, auquel cas le mari devient veuf, et peut alors se remarier sans aucun problème ; le divorce avec remariage devient alors un adoucissement de la peine de l’épouse, qui peut continuer à vivre, mais avec le déshonneur. Il peut y avoir aussi tout un tas de raisons, de ressentiments, de non-dits, qui conduisent les conjoints à se « mal-aimer » au point que l’union n’apporte plus que de la souffrance. Enfin, parmi toute la liste des raisons possibles, il y a le divorce « pour n’importe quel motif » : nous nous sommes aimés, nous ne nous aimons plus, nous nous séparons
    2-bis ) On note que l’adultère de l’homme n’est pas directement concerné ; en fait, sauf erreur de ma part, l’adultère masculin est réprimé par la loi juive à partir du moment où il s’agit d’une femme mariée : l’homme « prend » la femme qui « appartient » à un autre. Pour le reste, la Bible fourmille de patriarches ou de rois qui s’adonnent à l’acte de chair avec des servantes ou des concubines, et aucun d’entre eux n’est jamais lapidé !
    3°) dans le récit de Matthieu, à la différence de celui de Marc, Jésus invoque directement le récit de la création de l’homme et la femme dans la Genèse ; les pharisiens ont beau jeu de souligner l’incohérence : si la loi oblige l’homme à écrire une lettre pour dédouaner sa femme de quelque tort que ce soit lors du divorce, c’est donc que la loi permet le divorce, et « pour n’importe quel motif »
    4°) la Bible Expliquée met en avant le fait qu’à l’époque de Jésus, les lettres de répudiations étaient monnaie courante ; je pense qu’on peut considérer qu’au départ, elles constituaient un pis-aller face à une situation exceptionnelle, et que cette situation exceptionnelle est peu à peu devenue la règle.

    En quelque sorte, l’Église, en érigeant en dogme intangible l’indissolubilité du mariage, a réussi pendant quelques siècles à rétablir le caractère exceptionnel du remariage après divorce. Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans la même situation qu’à l’époque de Jésus : les couples ont souvent tendance à se séparer à la moindre contrariété.

    Certes, la crispation de l’Église catholique sur cette question est donc facilement compréhensible – d’autant plus que c’est une différence de taille avec les Églises protestantes, où le mariage n’est pas vu comme un sacrement.

    Le problème, c’est que si l’Église voulait rétablir à nouveau ce caractère exceptionnel, l’Histoire est là pour indiquer avec force que cela n’est possible que dans une théocratie. Je pense que l’Église elle-même ne souhaite pas spécialement ce retour en arrière.

    Elle est donc condamnée à un dilemme cruel : soit elle continue à promouvoir une exigence qui, au niveau spirituel, est extrêmement noble, mais au niveau sociétal, relève d’un combat d’arrière-garde, soit elle reconsidère son rapport au mariage.

    Pour l’instant, c’est la première option qui est choisie, et la manière de réécrire les textes y concourt. Nous avons déjà vu que le réarrangement du texte d’Ezékiel revient à rendre le pardon non plus possible, mais obligatoire ; le choix de l’expression « union illégitime » au lieu d’« adultère » va dans le même sens : alors que Jésus présente cette situation comme pouvant justifier le divorce, l’Église utilise un terme plus difficilement compréhensible.

    Et là où Jésus concède qu’il existe un cas où l’indissolubilité n’est pas une exigence absolue, l’Église proclame que, même en cas d’adultère, le pardon reste possible… donc obligatoire.

    Au moment où François décide d’ouvrir la possibilité de bénir des couples de même sexe ou remariés, une réflexion approfondie sur le mariage en tant que sacrement serait probablement bénéfique.

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Je ne pense pas que, si les Pharisiens veulent mettre Jésus à l’épreuve en le questionnant sur le mariage, cela signifie que seule la mise à l’épreuve de Jésus les intéresse, et qu’ils se moquent de la question du mariage. Rien ne montre cela, peut-être que les deux les intéresse. Mais ce n’est pas important, dans tous les cas ils donnent à Jésus l’occasion de donner un enseignement fondamental.

      Quand Jésus dit que le divorce est envisageable en cas d’« union illégitime », il me semble logique qu’il parle justement des cas où le mariage n’est pas valide. Il ne permet donc pas une rupture du mariage.

      La TOB traduit par « union illégale » et la Bible de Jérusalem par « prostitution », ce qui pourrait aller dans votre sens.

      Mon lexique grec (je ne connais pas le grec mais je consulte le lexique) traduit le mot par :

      1) relation sexuelle illicite

      1a) adultère, fornication, homosexualité, mœurs d’une lesbienne, relation avec des animaux etc.

      1b) relation sexuelle avec un proche parent ;

      1c) relation sexuelle avec un ou une divorcée ;

      2) métaph. le culte des idoles

      2a) de la souillure de l’idolâtrie, provenant de la consommation de sacrifices offerts aux idoles.

      Nous ne sommes pas plus avancé, car cela peut aller soit dans votre sens : « adultère ». Soit dans le sens d’un mariage non valide dès le départ : « relation sexuelle avec un proche parent », « relation sexuelle avec un ou une divorcé(e) ».

      Même dans le cas de la traduction du mot par « adultère », cela peut vouloir dire que le mariage n’est pas valide, car il est un adultère, car l’un des deux membres était déjà marié à quelqu’un d’autre.

      Le texte en lui-même permet donc différentes interprétations, y compris celle que vous proposez.

      Vous écrivez :

      Il peut y avoir aussi tout un tas de raisons, de ressentiments, de non-dits, qui conduisent les conjoints à se « mal-aimer » au point que l’union n’apporte plus que de la souffrance. Enfin, parmi toute la liste des raisons possibles, il y a le divorce « pour n’importe quel motif » : nous nous sommes aimés, nous ne nous aimons plus, nous nous séparons.

      Si le mariage est valide au départ, ces raisons que vous citez ne sont pas admises par Jésus comme cause de divorce. Il n’admet pas le remariage mais il n’interdit pas la séparation. Il ne faut pas oublier que l’amour dans le mariage se cultive, et peut renaître même quand on ne ressent plus de sentiment. Les sentiments peuvent revenir quand dans un couple on change de comportement et on apprend à s’aimer vraiment. Mais dans certains cas, la cohabitation n’est en effet plus possible. La séparation est permise, et il est en effet très dur d’interdire le remariage après une séparation, quelle que soit la cause de la séparation. Les disciple de Jésus eux-mêmes ont trouvé cette parole dure.

      Vous écrivez :

      On note que l’adultère de l’homme n’est pas directement concerné.

      D’après la traduction donnée par mon lexique, le mot ne désigne pas l’adultère féminin mais l’adultère tout court. Par contre, comme vous le dites, je crois que la loi juive ne traite pas l’adultère masculin aussi durement que l’adultère féminin.

      Vous écrivez :

      Pour le reste, la Bible fourmille de patriarches ou de rois qui s’adonnent à l’acte de chair avec des servantes ou des concubines, et aucun d’entre eux n’est jamais lapidé !

      En effet…

      Vous écrivez :

      La Bible Expliquée met en avant le fait qu’à l’époque de Jésus, les lettres de répudiations étaient monnaie courante ; je pense qu’on peut considérer qu’au départ, elles constituaient un pis-aller face à une situation exceptionnelle, et que cette situation exceptionnelle est peu à peu devenue la règle.

      Jésus dit en effet que c’était un pis-aller, dû à l’endurcissement du cœur. Je ne suis pas au courant au sujet de cette multiplication des répudiations.

      Vous écrivez :

      Certes, la crispation de l’Église catholique sur cette question [du remariage après divorce]est donc facilement compréhensible – d’autant plus que c’est une différence de taille avec les Églises protestantes, où le mariage n’est pas vu comme un sacrement.

      Le problème, c’est que si l’Église voulait rétablir à nouveau ce caractère exceptionnel, l’Histoire est là pour indiquer avec force que cela n’est possible que dans une théocratie. Je pense que l’Église elle-même ne souhaite pas spécialement ce retour en arrière.

      Elle est donc condamnée à un dilemme cruel : soit elle continue à promouvoir une exigence qui, au niveau spirituel, est extrêmement noble, mais au niveau sociétal, relève d’un combat d’arrière-garde, soit elle reconsidère son rapport au mariage.

      L’Église ne peut pas revenir sur une interdiction aussi clairement prononcée par Jésus. Jésus nous a bien prévenus que nous serions en décalage avec la société, en le suivant. Dans les premiers temps du christianisme, la société ne comprenait pas que les chrétiens ne divorcent pas, refusent l’adultère (même s’il existait forcément secrètement) et ne tuent pas leurs enfants nouveau-nés. Pour autant les chrétiens n’ont pas cherché à s’aligner sur la société. Pourtant, il est vrai que la société a une influence sur la vie des chrétiens eux-mêmes et beaucoup de chrétiens divorcent et se remarient aujourd’hui. L’Église ne les exclue pas même si elle ne peut pas accepter de leur donner la communion – aujourd’hui le pape François autorise la communion des divorcés-remariés dans certains cas.

      Vous écrivez :

      Nous avons déjà vu que le réarrangement du texte d’Ézéchiel revient à rendre le pardon non plus possible, mais obligatoire.

      Je vous ai répondu au sujet d’Ézechiel dans un autre échange. En ce qui concerne le pardon possible ou obligatoire, Jésus dit clairement, à plusieurs reprises dans les Évangiles, que le pardon est obligatoire, qu’il est même une condition pour recevoir le pardon de Dieu.

  6. Pelostome

    Je termine mon triptyque sur l’articulation entre Ezekiel 16 et Matthieu 19. 3-12 par une réflexion glanée sur internet, qui a de quoi ébranler nos idées reçues sur le mariage.

    Le mariage est un sacrement du service, au même titre que l’ordination.

    Or la formation des prêtres dure au minimum 6 ans.

    Les futurs époux, eux, ne bénéficient d’aucune formation : uniquement d’une préparation, qui dure rarement plus d’un an, et se résume à quelques rencontres avec un prêtre, quelques autres avec un couple marié, et un week-end d’approfondissement.

    En d’autres termes, si le prêtre était de niveau master, l’immense majorité des couples mariés à l’église bénéficieraient à peine d’un simple bac. Et puisque les deux sacrements sont des sacrements du service, on devrait attendre des deux la même qualité… L’Église se montre bien piètre manager.

    Je lis sur votre site à propos de la visite du Jean-Paul II au Bourget en 1980 : « …après une saignée inédite qui a vu un tiers des prêtres français quitter le ministère… »

    Dans les années qui ont suivi, j’ai entendu dire que le nombre de vocations sacerdotales recommençait doucement à progresser, mais qu’il est clair qu’il n’atteindra plus jamais les niveaux du début du 20° siècle.

    Avec le recul dont nous disposons maintenant, il serait intéressant de se poser la question du nombre de prêtres quittant le ministère, aujourd’hui ; en d’autres termes : les prêtres sont-ils maintenant moins nombreux, mais plus « fidèles » ?

    Une estimation similaire serait également intéressante pour les couples mariés à l’Église : divorcent-ils moins, autant, voire peut-être plus – qui sait ? – que ceux mariés civilement ?

    Au final, François a promulgué la possibilité de bénir les couples de même sexe ou divorcés remariés. On peut se demander si cette simple bénédiction ne devrait pas être la règle pour la majorité des couples chrétiens, et le sacrement de mariage, une exception impliquant des couples formés pendant plusieurs années à cela.

    Autant que je sache, tous les célibataires ne sont pas forcément appelés au sacrement de l’ordination ; pourquoi tous les couples devraient-ils être appelés au sacrement de mariage ?

    L’Église gagnerait peut-être à paraphraser la parole de Jésus sur le célibat en la renversant pour l’appliquer à l’amour charnel : « Il y a des gens qui forment un couple simplement parce qu’ils ont la possibilité physique d’avoir des relations sexuelles ; il y en a qui se marient civilement pour des questions humaines, légales, administratives ; il y en a qui ont choisi de se marier à cause du royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne ! »

    • Cat-modératrice

      Re-bonjour Pelostome,

      Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par « le mariage et l’ordination sont des sacrements du service ».

      Je trouve démesuré que la formation des prêtres dure obligatoirement 6 ans. Aujourd’hui un Saint Curé d’Ars ne pourrait pas être prêtre, et il a déjà eu beaucoup de mal à le devenir à son époque. 6 ans de formation intellectuelle peuvent être très bénéfiques pour certains prêtres, mais cela ne devrait pas être obligatoire pour tous. Les premiers prêtres n’étaient pas tous des intellectuels, et pourtant ils ont tous été canonisés (sauf Judas). Une formation intellectuelle très poussée n’empêche pas des catastrophes de se produire, cela ne protège pas de tout, on en a la preuve régulièrement, malheureusement.

      En ce qui concerne les couples, Jésus enseigne que les relations sexuelles ne doivent pas avoir lieu avant le mariage. Il dit, en citant le livre de la Genèse : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme, et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer » (Matthieu 19, 4-6). C’est à travers les relations sexuelles que l’homme et la femme ne font plus qu’uns et sont unis indissolublement.

      Donc si on imposait une longue formation au couple avant le mariage, cela les empêcherait de faire vie commune avant la fin de cette formation. Et je ne suis pas sûre que, comme pour les prêtres, une formation intellectuelle puisse pallier à tous les problèmes. D’ailleurs de nombreuses personnes ne sont pas intellectuelles et seraient ainsi interdites de mariage.

      On peut certainement faire mieux pour la formation au mariage, mais pour ma part je n’ai pas les compétences pour conseiller ceux qui organisent ces formations. Pour moi ce n’est pas la longueur de la formation qui fait les choses et je pense même qu’un an de formation c’est trop long.

      En ce qui concerne la bénédiction des couples illégitimes permise par le pape François, le texte qui permet ces bénédictions précise bien que ces couples sont dans une situation de péché.

  7. Pelostome

    Bonjour Cat,

    merci pour toutes vos réponses ; je vous prie d’accepter mes excuses pour être parti dans des directions différentes selon l’évolution de mes réflexions et les nouveaux textes lus dans l’intervalle. Je vais essayer de faire une synthèse de ce que j’en retire.

    Le point de départ était le chapitre 38 du livre d’Isaïe, dans lequel la liturgie intervertit sciemment des versets. Vous avez répondu simplement « C’est bizarre » ; il m’a semblé, moi, que c’est plus profond et beaucoup moins innocent que cela. Au passage, comme l’interversion des versets est soi-disant justifiée par le fait que ce texte est un doublon du chapitre 20 du livre des Rois, je ne comprends toujours pas pourquoi ce n’est pas le livre des Rois qui est cité dans la liturgie.

    Il m’est alors apparu que depuis les origines – en fait : depuis les Évangiles – l’Église a tendance à triturer les textes bibliques à sa sauce. J’ai pris pour exemple le dogme de la conception virginale, que Mathieu justifie par le chapitre 7 d’Isaïe où l’annonce de l’enfantement d’un bébé par une jeune femme est interprété comme l’enfantement du Messie par une vierge. J’ai donc cité le chapitre 8 où se trouve également annoncé un enfantement, sans aucune mention messianique ni virginale. Je ne voulais en aucun cas signifier qu’il s’agissait du même enfant. Je voulais insister sur le fait que pour Isaïe, le sens des deux chapitres était exactement le même, bien que les deux enfants diffèrent.

    Que Mathieu ait donné un nouvel éclairage sur ce texte ancien, en s’appuyant sur un double sens du mot « jeune femme » / « vierge » pour justifier la conception virginale, et que l’Église primitive lui ait emboîté le pas, n’est pas ce qui me choque le plus. Il est tout à fait juste que la Parole vive, et que son sens puisse être adapté aux différents temps vécus par l’espèce humaine. Ce qui m’embête, c’est que cette Parole semble aujourd’hui confisquée par le Magistère comme elle l’était à l’époque de Jésus par les scribes et les prêtres.

    Vous m’avez indiqué que Jésus lui-même sélectionne soigneusement les textes de l’Ancien Testament qui le concernent, en particulier lors de sa rencontre avec les « pèlerins d’Emmaüs ». Compte tenu de la distance entre Jérusalem et Emmaüs (qui « ne dépasse pas ce qui est permis un jour de sabbat »), je conçois aisément qu’il lui était difficile de remonter au déluge ou à la création du monde et de dérouler la Bible in extenso.

    Le temps de l’Église est différent. Nous parlons ici de deux millénaires déjà écoulés, et compte tenu de l’état du monde, il est probable qu’il en faudra au moins dix fois plus pour que l’humanité soit prête à bâtir le véritable paradis auquel nous sommes appelés.

    Pour les lectures de l’Évangile, la liturgie tourne sur 3 années : année A avec principalement l’Évangile de Mathieu, année B avec Marc, année C avec Luc – et celui de Saint Jean comble les trous (l’Évangile de Marc est particulièrement court). Pour l’Ancien Testament, qu’est-ce qui empêcherait de tourner sur quinze ans (cinq fois trois) ? Lire des textes qui n’ont pas de rapport direct avec le Christ permettrait sans doute de mieux connaître la culture juive, et connaître une culture est un puissant antidote contre l’intolérance, ce dont notre monde a cruellement besoin.

    Entre-temps, j’ai été frappé par le traitement infligé au chapitre 16 du livre d’Ézekiel, qui gomme impitoyablement toute trace de violence divine. Comme vous, je pense qu’effectivement, l’Église n’a pas supporté la violence du texte ; je ne savais pas que le psaume 136 avait été victime du même traitement. Mais nous avons besoin de nous confronter à la violence. Nous voyons aujourd’hui qu’à vouloir la nier, elle nous revient en pleine figure de la part de personnalités que tout le monde pensait irréprochables.

    Il est possible que je me sois un peu fourvoyé en évoquant l’infidélité et l’une de ses conséquences : le divorce. Je l’ai fait parce que c’est le sujet du texte d’Ézekiel, et même s’il s’agit d’une parabole, je voulais insister sur la souffrance endurée. Je suis persuadé que la plupart des violences – pas toutes, mais la plupart – naissent de la souffrance.

    En vérité, le dialogue qui me hante depuis des années à ce sujet, est celui entre Nadine Trintignant et Philippe Vandel, qui lui demandait, au micro de France Info, si elle pensait pouvoir pardonner un jour à Bertrand Cantat, qui a tué sa fille Marie à coups de poings. Elle a répondu clairement qu’il n’en est pas question. Il faut quand même noter qu’elle ne réclame ni le rétablissement de la peine de mort, ni même que le meurtrier retourne en prison. En ce sens, elle se montre fidèle au sens premier de la parole de Jésus, qui vise à désarmer le cycle infernal de la vengeance.

    En effet, j’ai pu noter qu’effectivement, Jésus énonce le pardon comme une obligation pour ses disciples, entre autres en Mathieu 18,35 : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur ».

    Il existe cependant des paroles de Jésus que l’Église ne prend pas au sens littéral, et refuse même totalement de prendre au sens littéral. Nous avons ainsi évoqué dans un autre fil Origène, dont vous m’avez dit qu’il n’a jamais été canonisé justement parce qu’il a pris au pied de la lettre les paroles de Jésus sur la mutilation en Mathieu 18, 8-9.

    (J’ajoute une parenthèse dont je viens tout juste de me rendre compte : dans le passage correspondant en Marc 9, l’Église censure encore une fois incompréhensiblement les versets 44 et 46 au motif qu’ils sont répétitifs par rapport au verset 48 ! Vous y comprenez quelque chose ?)

    Il faudrait donc ne pas prendre Jésus au pied de la lettre quand il ordonne à Origène de se mutiler, mais le prendre au pied de la lettre quand il condamne Nadine Trintignant parce qu’elle ne pardonne pas au meurtrier de sa fille.

    Il me semble qu’il est vraiment très difficile de s’y retrouver. Et ce qui me révolte, c’est que triturer les textes ajoute de la confusion.

    Avant de vous laisser, je voulais juste conclure par une question que vous m’avez posée sur le mariage en tant que sacrement du service. Le fait est que les sept sacrements catholiques sont classés en trois catégories : sacrements de l’initiation, du service, et de la route. Les sacrements de l’initiation chrétienne sont le baptême, l’Eucharistie et la confirmation ; les sacrements de la route sont la réconciliation et le sacrement des malades ; les sacrements du service sont l’ordination et le mariage.

    Je suis étonné que vous trouviez le temps de formation des prêtres trop long : six années pour étudier l’ensemble de la Bible, je ne trouve pas cela trop. Les premiers prêtres chrétiens étaient des gens simples, je le concède, mais d’une part ils baignaient depuis leur enfance dans une histoire du salut vieille de 1500 ans, d’autre part, ils ont passé trois ans de formation intensive avec Jésus lui-même : nous pouvons sans peine considérer que ça vaut bien 10 ans de séminaire !

    Je pense que l’Église a énormément perdu du fait que l’Évangile a été prêché à des païens en se coupant de l’esprit de l’Ancien Testament, en ne considérant pas assez la pensée juive ; et je ne pense pas que réduire la formation des prêtres à une seule année irait dans le bon sens à ce sujet. Je ne souhaite en aucun cas exclure des personnes non intellectuelles de la prêtrise, je souhaite qu’ils puissent acquérir un savoir. L’intellectualisme et le savoir sont deux notions différentes.

    Au demeurant, votre syllogisme « Une formation intellectuelle très poussée n’empêche pas des catastrophes de se produire, cela ne protège pas de tout, on en a la preuve régulièrement, malheureusement » est assez faible : ce n’est pas parce que de grands esprits peuvent chuter qu’il faut privilégier systématiquement les esprits simples. Cela reviendrait à dire : « puisque la navette Challenger a explosé en 1986 alors qu’elle avait été conçue par la fine fleur des ingénieurs aéronautiques de la NASA, c’est donc qu’il suffit d’avoir un CAP de plombier pour construire un engin spatial » !

    Dans le même état d’esprit, je suis sceptique sur le fait de décréter que la première personne avec qui nous avons une expérience sexuelle doive nous engager pour toute notre vie ; il me semble que parmi les personnes qui construisent notre vie affective, il est important d’en discerner une parmi d’autres avec qui prendre tout le temps et toute la formation nécessaire pour bâtir un mariage qui soit réellement ce qu’il doit être : un sacrement du service, qui soit le signe visible de l’amour, au lieu de trop souvent faire partie de la quasi-moitié des unions se terminant par un divorce (si vous arrivez à trouver des statistiques sur la proportion des chrétiens qui se séparent par rapport au reste de la population, ça m’intéresserait beaucoup).

    Je crois que quand on impose à tous les couples de la terre une exigence aussi démesurée, le minimum serait de proposer une formation à la hauteur. Je ne sais pas non plus quel devrait être le contenu de cette formation. Cela mériterait forcément un synode à tous les niveaux de l’Église pour que les prêtres forcément célibataires se mettent réellement à l’écoute des couples, qui sont les premiers concernés – et pas l’inverse, comme c’est le cas aujourd’hui.

    Je l’ai déjà dit, je crois : l’amour, ça s’apprend, et en matière d’amour, l’Église demande aux couples de passer un master en suivant les cours du soir à partir d’un niveau d’analphabète.

    Pour finir, si je peux faire une confidence, je suis moi-même coupable d’énormément d’angélisme, et j’ai tendance à pardonner beaucoup – principalement dans le domaine affectif et sexuel, parce que c’est l’essentiel de ma souffrance, et parce que c’est mon tempérament ; mais je n’ai jamais été confronté à la mort violente d’un être cher…

    Je crois que si l’Église use de ce pouvoir qui lui permet de décréter que telle ou telle parole d’Évangile doive être suivie à la lettre ou pas, elle devrait mieux prendre en compte la souffrance… et surtout faire très attention à la manière dont elle enseigne : éviter de minimiser celle-ci dans les textes dont elle est censée être garante en les remixant à sa sauce !

    • Cat-modératrice

      Bonjour Pelostome,

      Quand j’ai dit « C’est bizarre », cela ne voulait pas dire que c’était innocent, mais que j’étais étonnée et que je ne savais pas qu’en penser.

      Je pense que rien ne permet d’affirmer que pour Isaïe les deux enfants dont vous parlez ont le même rôle et la même signification.

      Vous écrivez :

      Compte tenu de l’état du monde, il est probable qu’il en faudra au moins dix fois plus pour que l’humanité soit prête à bâtir le véritable paradis auquel nous sommes appelés.

      L’humanité ne peut pas bâtir le Paradis, elle en est bien incapable. Le Paradis vient de Dieu seul. Les hommes, quand ils sont sanctifiés, vivent d’une certaine façon déjà dans le Paradis. Mais il me semble peu probable qu’un jour l’ensemble des êtres humains sur terre devienne des saints. Jésus annonce même le contraire quand il dit qu’à la fin des temps « en cette nuit-là, deux seront sur un même lit : l’un sera pris et l’autre laissé ; deux femmes seront à moudre ensemble : l’une sera prise et l’autre laissée. » (Luc 17, 34-35)

      Vous écrivez :

      Pour l’Ancien Testament, qu’est-ce qui empêcherait de tourner sur quinze ans (cinq fois trois) ? Lire des textes qui n’ont pas de rapport direct avec le Christ permettrait sans doute de mieux connaître la culture juive, et connaître une culture est un puissant antidote contre l’intolérance, ce dont notre monde a cruellement besoin.

      Oui pourquoi pas tourner sur 15 ans, à condition que les textes fondamentaux reviennent chaque année, et que les textes vraiment moins pertinents (par exemple les dimensions du temple) soient tout de même laissés de côté. Mais le but des lectures à la messe n’est pas de connaître la culture juive mais de connaître Dieu. La lutte contre l’intolérance est importante mais ce n’est pas le but des textes de la messe.

      Vous écrivez :

      En vérité, le dialogue qui me hante depuis des années à ce sujet, est celui entre Nadine Trintignant et Philippe Vandel, qui lui demandait, au micro de France Info, si elle pensait pouvoir pardonner un jour à Bertrand Cantat, qui a tué sa fille Marie à coups de poings. Elle a répondu clairement qu’il n’en est pas question. Il faut quand même noter qu’elle ne réclame ni le rétablissement de la peine de mort, ni même que le meurtrier retourne en prison. En ce sens, elle se montre fidèle au sens premier de la parole de Jésus, qui vise à désarmer le cycle infernal de la vengeance.

      Jésus ne parle pas d’actions seulement extérieures, il parle de pardonner « du fond du cœur » (Matthieu 18, 35). Pardonner ne signifie pas éliminer la justice. Je pense que réclamer la prison pour un assassin n’est pas contradictoire avec le fait de l’avoir pardonné. Réclamer la peine de mort, par contre, serait de la vengeance.

      Nous parlions de pardon dans le cadre de l’adultère, dans certains cas le pardon peut aller de paire avec une séparation, si la relation avec le conjoint est vraiment destructrice.

      Je pense que pardonner « du fond du cœur » cela signifie : ne pas souhaiter de mal à l’autre, être capable de prier pour l’autre, ne pas garder d’amertume dans le cœur (même si on garde de la douleur), ne pas être obsédé par le mal que l’on a subi. Cela est bénéfique aussi bien spirituellement que psychologiquement.

      Vous écrivez :

      En effet, j’ai pu noter qu’effectivement, Jésus énonce le pardon comme une obligation pour ses disciples, entre autres en Mathieu 18,35 : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur ».

      Il existe cependant des paroles de Jésus que l’Église ne prend pas au sens littéral, et refuse même totalement de prendre au sens littéral. Nous avons ainsi évoqué dans un autre fil Origène, dont vous m’avez dit qu’il n’a jamais été canonisé justement parce qu’il a pris au pied de la lettre les paroles de Jésus sur la mutilation en Mathieu 18, 8-9.

      Il faudrait donc ne pas prendre Jésus au pied de la lettre quand il ordonne à Origène de se mutiler, mais le prendre au pied de la lettre quand il condamne Nadine Trintignant parce qu’elle ne pardonne pas au meurtrier de sa fille.

      Quand Jésus dit : « Et si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi » (Matthieu 18, 9), il ne faut (Dieu merci) pas prendre son expression au premier degré, mais cela veut quand même dire quelque chose, et il faut totalement obéir à ce que Jésus nous demande à travers cette image : renoncer à certaines choses auxquelles on tient quand elles contribuent à nous faire tomber dans le péché.

      Quand Jésus dit « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur », il ne faut pas prendre au pied de la lettre le fait que Dieu nous mettra en prison jusqu’à ce qu’on ait remboursé l’argent que l’on doit. La parabole qui de Matthieu 18, 23-34 n’est pas à prendre au pied de la lettre, comme toutes les paraboles, mais la conclusion ne ressemble aucunement à une image. De quoi « pardonner » serait l’image ?

      Par ailleurs, Jésus ne condamne pas Nadine Trintignant, mais il la prévient que le fait de ne pas pardonner sera destructeur pour elle.

      Vous écrivez :

      Ce qui me révolte, c’est que triturer les textes ajoute de la confusion.

      Je comprends que cela puisse vous révolter.

      Vous écrivez :

      Le fait est que les sept sacrements catholiques sont classés en trois catégories : sacrements de l’initiation, du service, et de la route. Les sacrements de l’initiation chrétienne sont le baptême, l’Eucharistie et la confirmation ; les sacrements de la route sont la réconciliation et le sacrement des malades ; les sacrements du service sont l’ordination et le mariage.

      Je ne connaissais pas cette classification. Pouvez-vous me dire son origine ? Dans le catéchisme de l’Église Catholique, les sacrements sont classés aussi en trois catégories : les sacrements de l’initiation, les sacrements de guérison et les sacrements au service de la communion et de la mission. Le catéchisme précise que ce n’est pas la seule classification possible.

      En ce qui concerne la formation des prêtres, je ne dis pas qu’il faudrait la réduire à une année. Mais pour le moment il s’agit de six années de formation intellectuelle, qui s’ajoutent aux études que les séminaristes ont fait avant. Ces six années de formation intellectuelle risquent d’une part de les « dessécher » en les cantonnant à l’intellect, d’autre part elles excluent des personnes non intellectuelles, tous ceux qui ne sont pas capables de suivre au moins six ans d’études très intellectuelles en plus des études qu’ils ont fait avant. On pourrait tout à fait transformer ces six années d’études de manière à les rendre accessibles à des personnes moins intellectuelles, mais pour le moment ce n’est pas le cas. Bien sûr il faudrait continuer à proposer des études très intellectuelles à ceux à qui cela correspond.

      Vous écrivez :

      Au demeurant, votre syllogisme « Une formation intellectuelle très poussée n’empêche pas des catastrophes de se produire, cela ne protège pas de tout, on en a la preuve régulièrement, malheureusement » est assez faible : ce n’est pas parce que de grands esprits peuvent chuter qu’il faut privilégier systématiquement les esprits simples. Cela reviendrait à dire : « puisque la navette Challenger a explosé en 1986 alors qu’elle avait été conçue par la fine fleur des ingénieurs aéronautiques de la NASA, c’est donc qu’il suffit d’avoir un CAP de plombier pour construire un engin spatial » !

      Je ne suis pas d’accord avec votre comparaison, car en effet, seule une formation d’ingénieur peut permettre de créer une navette fiable. Mais je ne pense pas que des études purement intellectuelles soient la solution contre les dérives. Tout ne repose pas sur l’intellect, et je ne pense pas que ce soit la formation intellectuelle biblique et théologique qui puisse protéger des abus sexuels. J’espère que la formation des séminariste a dors et déjà adopté le discernement des vocations et les formations humaines nécessaires pour la prévention de ces abus, en plus de la formation intellectuelle dispensée.

      Vous écrivez :

      Dans le même état d’esprit, je suis sceptique sur le fait de décréter que la première personne avec qui nous avons une expérience sexuelle doive nous engager pour toute notre vie

      Il ne s’agit pas d’épouser la première personne avec qui nous avons eu une expérience sexuelle ! Le pape lui-même, quand il était évêque en Argentine, luttait contre la pratique qui consistait à obliger les jeunes qui avaient conçu un enfant à se marier ensemble obligatoirement.

      Jésus nous invite à n’avoir de relation sexuelle qu’avec la personne que nous épouserons, et seulement après le mariage. Mais si nous désobéissons – ou si nous agissons sans savoir que c’est mal – en ayant des relations sexuelles hors mariage, cela ne veut pas dire qu’il faut forcément épouser la personne avec qui nous avons eu ces relations sexuelles.

      Vous écrivez :

      Je crois que quand on impose à tous les couples de la terre une exigence aussi démesurée, le minimum serait de proposer une formation à la hauteur. Je ne sais pas non plus quel devrait être le contenu de cette formation. Cela mériterait forcément un synode à tous les niveaux de l’Église pour que les prêtres forcément célibataires se mettent réellement à l’écoute des couples, qui sont les premiers concernés – et pas l’inverse, comme c’est le cas aujourd’hui.

      Oui cela pourrait être une bonne idée de faire un synode sur la formation au mariage, en se mettant à l’écoute des couples – ceux qui ont réussi à rester ensemble comme ceux qui ont divorcé.

      Vous écrivez :

      Je crois que si l’Église use de ce pouvoir qui lui permet de décréter que telle ou telle parole d’Évangile doive être suivie à la lettre ou pas, elle devrait mieux prendre en compte la souffrance… et surtout faire très attention à la manière dont elle enseigne : éviter de minimiser celle-ci dans les textes dont elle est censée être garante en les remixant à sa sauce !

      Dans l’Église, de nombreux prêtres, religieux, laïcs, savent tenir compte de la souffrance et accompagner ou entourer ceux qui souffrent et qui sont dans des situations en désaccord avec ce que demande l’Église. Malheureusement, c’est une qualité que n’ont pas tous les chrétiens ni tous les prêtres. Je suis d’accord sur le fait qu’il ne faut pas minimiser la souffrance. Pensez-vous à des textes du magistère en particulier qui vous semblent condamner sans tenir compte de la souffrance ? En ce qui concerne les textes de la messe, je suis d’accord sur le fait qu’il ne faut pas les amputer.

      • Cat-modératrice

        En ce qui concerne le pardon, j’ai parlé de l’attitude intérieure, mais il faut tout de même préciser que, lorsqu’une relation n’est pas destructrice, le pardon suppose le maintien de la relation, le fait de continuer à se donner à la personne. Que ce soit dans le mariage, dans les liens familiaux ou même dans l’amitié.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Site sous WordPress & Thème par Anders Norén