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Le 19 septembre 2013, la Mairie de Paris a décidé d’honorer la mémoire de Mgr Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris pendant 24 ans, en donnant son nom au Petit Pont, le pont qui enjambe la Seine à la jonction de la Préfecture de police et du parvis de Notre-Dame – place Jean-Paul II.

Le cardinal Lustiger et Saint Jean-Paul II

Il n’est que justice d’honorer ainsi un évêque hors normes, que l’on peut faire figurer aux côtés d’autres évêques d’exception comme saint Charles Borromée (1538-1584), archevêque de Milan, le bienheureux Alain de Solminihac (1593-1659), évêque de Cahors, ou saint Eugène de Mazenod (1782-1851), archevêque de Marseille.

Mgr Lustiger, converti du judaïsme, avait déjà une trajectoire exceptionnelle jusqu’à sa nomination à la tête du diocèse de Paris en 1981 par le pape Jean-Paul II. Toute l’Église de France, y compris Mgr Lustiger lui-même, fut surprise que le pape ait décidé de confier une charge si importante à cet évêque novice, anti-conformiste et en marge des cercles dans lesquels les plus hauts responsables sont habituellement choisis.

Il se mit au travail immédiatement, dans la droite ligne de ses ministères précédents : aumônier de la Sorbonne, curé de Sainte-Jeanne-de-Chantal, évêque d’Orléans.

Son style était très simple, accessible, ce qui le rendit immédiatement populaire auprès des médias et de la population, des plus petits aux plus « grands ». Pour pouvoir s’adresser à tous, il fonda Radio Notre-Dame l’année même de sa nomination en 1981, et la chaîne de télévision KTO en 1999. Cette chaîne, depuis, est diffusée sur l’ensemble du territoire français.

Le cardinal Lustiger fut un évêque profondément missionnaire, ayant intégralement intégré et mis en pratique la « Nouvelle évangélisation » voulue par Jean-Paul II. Le renouveau du sacerdoce, la construction de sept nouvelles églises correspondant à sept nouvelles paroisses, la refondation du Collège des Bernardinsl’accueil des JMJ de Paris en 1997, l’envoi plus généreux de prêtres dans les diocèses voisins pauvres en vocation, l’accueil des Mouvements d’Église comme les communautés de l’Emmanuel ou du Chemin Neuf, l’initiative Paris Toussaint 2004… On aurait du mal à trouver un domaine où le cardinal n’ait pas mis sa marque dans le grand mouvement d’évangélisation qui a caractérisé son épiscopat.

En 1984, conscient de l’importance de former les prêtres du diocèse de Paris selon ses propres conceptions, il créa une année spirituelle préliminaire, l’année Saint-Augustin, et fonda le séminaire de Paris. Beaucoup de jeunes voulant être prêtre affluèrent dans le diocèse de Paris. Des hommes d’autres diocèses sentirent qu’il y avait là un charisme particulier dont ils voulaient vivre.

Le cardinal Lustiger apportait un soin extrême à sa mission de maître en liturgie dans son diocèse. Il disait qu’il lui avait fallu environ dix ans avant de trouver une manière de célébrer la messe qui lui semblait à peu près convenante. J’ai vu moi-même une confirmante avoir les larmes aux yeux en recevant la paix du Christ des mains du cardinal qui venait de lui conférer le sacrement. Il touchait les cœurs simplement en célébrant la messe, car de lui émanait la force et la douceur du Christ prêtre, rendu intensément présent dans son serviteur.

Son attention à la liturgie incluait aussi le service de l’autel et la beauté du chant, avec la refonte de la Maîtrise de la Cathédrale Notre-Dame.

Le cardinal était un prédicateur d’exception. Les fidèles étaient souvent suspendus à ses lèvres. La simplicité et la force de son langage retenaient l’attention de l’assemblée, et celle-ci se sentait nourrie, renouvelée dans sa foi, sa vie spirituelle et sa volonté d’évangéliser. Toujours la Bible à la main, il engageait toute sa personne dans sa prédication, et l’on voyait qu’il vivait profondément ce qu’il enseignait. Sa mission de premier évangélisateur de son diocèse, il la vivait tout simplement dans sa cathédrale au cours de la messe du dimanche soir, tant dans sa prédication que dans sa manière de célébrer la liturgie.

Cette mission, il l’exerçait aussi avec ses prédications hebdomadaires sur Radio Notre-Dame, le Mot du Cardinal. Il l’exerça également par l’écriture de vingt livres au cours de son épiscopat.

Son immense culture lui permettait de mêler, dans ses interventions, des considérations bibliques, théologiques, philosophiques, historiques, littéraires, sociologiques, politiques si finement tissées, que l’on pouvait se demander comment un seul esprit pouvait abriter un tel assemblage d’intelligence et de connaissance, toujours au service de Dieu et des hommes.

Concernant le dialogue interreligieux, Mgr Lustiger, fils de juifs polonais, a su renforcer et développer des liens avec des autorités juives de haut niveau.

Le cardinal fut également sur plusieurs fronts lorsque des décisions politiques atteignaient l’enseignement de l’Église. Il s’est opposé à la loi restreignant la liberté des école privées en 1984. Il a défendu avec vigueur la vie humaine depuis la conception jusqu’à la mort naturelle. Il était un interlocuteur respecté à tous les niveaux politiques, jusqu’aux présidents de la République.

Le président de la République en exercice a d’ailleurs interrompu ses vacances, pour venir assister à ses obsèques, en 2007, qui eurent un retentissement international. Les plus hautes autorités de l’État français étaient présentes, ainsi que l’ancien président polonais Lech Wałęsa. 16 cardinaux, 50 évêques et 500 prêtres ont également accompagné le cardinal à sa dernière demeure, dans la crypte de Notre-Dame.

Le cardinal a profondément marqué ses plus proches collaborateurs. Le lendemain soir de son décès, Mgr Vingt-Trois, successeur de Mgr Lustiger, a invité les jeunes pour une messe « intime » à Notre-Dame. D’une voix brisée et entrecoupée de silences, il a exprimé combien il était atteint par la perte non seulement d’un ami, mais d’un père. L’émotion était palpable dans l’assemblée, tant les jeunes se savaient aimés par le cardinal Lustiger, lui qui n’avait jamais oublié son ministère d’aumônier à la Sorbonne et la formidable aventure des JMJ de 1997 à Paris.

Aujourd’hui, six ans après son grand passage, on peut espérer qu’un procès de béatification est déjà ouvert. En effet, Mgr Lustiger fut un serviteur infatigable de Dieu et de l’homme, tant il a puisé à la source de la prière le secret d’une vie livrée, dévorée par la soif d’aimer, de servir et d’annoncer le Sauveur.

Nous ne pouvons que faire monter une immense action de grâce vers Dieu pour ce si grand serviteur de l’Église, et espérer que, rapidement, nous puissions l’honorer officiellement comme un bienheureux et un saint, à l’exemple de tant de saints évêques avant lui.

Voir aussi : Un évêque ça sert à quoi ?

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