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Ce jour, 19ème dimanche du temps ordinaire de l’année C, l’Église nous propose un fragment de l’Évangile selon saint Luc, chapitre 12, qui est généralement interprété de manière restrictive.
Voici les passages que je retiens :
- « Restez en tenue de service, et gardez vos lampes allumées. »
- « Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. »
- « Heureux serviteur, que son maître, en arrivant, trouvera à son travail. »
- « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. »
Ces passages peuvent être rapprochés de la parabole des talents, et de tous les autres passages où il est question d’un « service », d’un « travail », de dons que nous devons faire « fructifier ».
L’interprétation courante est la suivante : nous avons des choses à faire pour Dieu. Donc, il faut s’activer pour être un bon employé, un bon directeur, un bon conjoint, un bon parent, un bon bénévole (dans une œuvre d’Église ou ailleurs), un bon chrétien (je vais à la messe tous les dimanches et je donne volontiers à des œuvres).
Si je ne le fais pas, je ne suis pas sûr que Dieu me punira, mais en tout cas, je n’aurai pas accompli sa volonté et je serai malheureux.
Une remarque rapide : selon cette interprétation, je fais des choses pour Dieu au lieu de laisser Dieu me parler et agir en moi. Donc, je n’ai en fait pas besoin d’être chrétien pour faire tout cela. Être un homme bon dans toutes mes œuvres ne nécessite même pas d’être croyant, n’importe quel athée peut le faire, et même mieux que moi. Dieu ne me sert à rien.
Alors que me manque-t-il ?
Cette veille dont parle Jésus est en fait l’accueil de la totalité des grâces du baptême. Grâce veut dire quelque chose de reçu. Qu’est-ce que je reçois au baptême ? De très nombreuses grâces. Je me concentre sur l’une d’elles : au baptême, je reçois la dignité du Christ prêtre, prophète et roi. Qu’est-ce à dire ?
La dignité royale est celle du service des frères. C’est généralement la seule qui est perçue dans l’Évangile de ce jour. « Si je sers mes frères, alors j’aurai gardé ma lampe allumée et le Seigneur sera content de moi. »
Mais les deux autres titres sont placés avant le titre royal, ce qui signifie qu’ils ont une préséance.
I. Le chrétien revêtu de la dignité de prêtre
Qu’est-ce qu’être prêtre selon le Christ ? Il s’agit de rendre à Dieu l’hommage qui lui est dû de manière gratuite, de le remercier pour ses dons, et aussi de prier pour chaque homme vivant en ce monde, surtout les plus nécessiteux. C’est un mouvement ascendant. Ce mouvement s’accomplit dans la liturgie1 et dans la prière personnelle. Dans ces deux dimensions, je rends à Dieu un culte d’adoration2, car si l’homme ne se tourne vers Dieu que pour lui demander quelque chose, il en fait un distributeur automatique.
L’adoration doit toujours être première dans ma prière. « L’heure vient où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. » (Jean 4, 23) Puis, je remercie pour tous les dons de Dieu aux hommes : d’abord le Salut qu’il leur donne, les bienfaits visibles ou invisibles, les conversions, les bonnes actions, toutes les joies individuelles et collectives, les miracles… Puis, enfin, je lui présente les prières des hommes, leurs souffrances… En particulier, je prie pour ceux qui ne prient pas. Également, je demande à Dieu sa volonté sur moi, je le supplie d’être un homme selon son cœur, d’avoir un cœur brûlant d’amour pour lui et pour tout homme.
Je dois donc impérativement dégager des espaces de prière dans ma vie. Il est des conditions de vie où c’est très difficile, par exemple pour un cadre dévoré par son travail ou une mère de famille débordée par les tâches de la maison. Ces états ne durent cependant pas toujours très longtemps. Il est parfois possible de se faire aider ou de déléguer. Le Seigneur sait que nous avons besoin de le prier. À nous de désirer prier et d’essayer de le faire, à lui de d’exaucer cette prière. Dans tous les cas, l’exercice du sacerdoce3 des baptisés est la première « tâche » du chrétien, celle d’un authentique disciple de Jésus.
II. Le chrétien revêtu de la dignité de prophète
Qu’est-ce qu’être prophète selon le Christ ? Il s’agit d’annoncer l’Évangile par ma vie et ma parole, d’annoncer l’Évangile reçu de Dieu. Le prophète, étymologiquement, est celui qui parle au Nom de Dieu, et non pas celui qui annonce l’avenir. C’est un mouvement descendant. Autant le prêtre fait monter l’adoration et la prière vers Dieu, autant le prophète reçoit d’en haut la Parole de Dieu pour la porter aux hommes. Donc, baptisé, j’ai pour mission de porter la Bonne Nouvelle à ceux qui m’entourent.
Je ne peux porter la Bonne nouvelle que si je la connais. Me former aux Écritures et à la Tradition4 de l’Église n’est en rien facultatif. Dieu s’est révélé, spécialement par Jésus. Dans l’Évangile, on voit, Jésus longuement enseigner à ses disciples. Si je me dis disciple, je ne peux ignorer cet enseignement. J’ai donc à me former tout au long de ma vie, et l’homélie du dimanche n’est certainement pas suffisante pour cela. Si j’ignore le contenu de la Révélation, le contenu accessible par la raison, je ne peux pas me dire chrétien. Saint Pierre dit (1 Pierre, 3, 15) : « Soyez toujours prêt à rendre compte de l’espérance qui est en vous. »
III. Le chrétien revêtu de la dignité de roi
Qu’est-ce qu’être roi selon le Christ ? C’est pratiquer le service des frères, vivre la vie dans le monde. Nous exerçons une royauté de service, à la manière dont Jésus lave les pieds de ses disciples. Ce service implique parfois les plus hautes responsabilités, je peux extérieurement ressembler à un « roi ». Pour ne pas être vécu « comme les païens », c’est-à-dire de la manière que j’ai mentionnée plus haut, le service royal doit être alimenté par les deux autres « tâches ». Il doit être vécu en étant nourri par la prière de demande à Dieu d’accomplir sa volonté, dans un esprit de remerciement constant pour les bienfaits reçus, et en priant pour les frères.
Saint Vincent de Paul servait parfois les pauvres d’une manière extrêmement intense, et en même temps il priait des heures durant la nuit. Saint Dominique évangélisait le jour et suppliait Dieu la nuit en gémissant : « Mon Dieu, ma Miséricorde, que vont devenir les pécheurs ? ». Nous devons bien sûr respecter nos besoins de sommeil, mais nos activités n’auront rien à voir avec le Royaume de Dieu si nous ne prions pas, si nous ne nous formons pas et si nous n’avons pas le désir d’évangéliser.
Jésus nous dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15, 5) Cette constatation est à prendre au sens le plus large (c’est moi qui extrapole) : « si vous ne m’adorez pas, si vous ne me demandez rien, si vous n’avez aucun désir d’être un authentique disciple, si vous ne m’écoutez pas pour savoir ce que j’attends de vous, alors vos actions, même les plus belles, ne servent en rien le Royaume de Dieu et ne rendent pas gloire à Dieu. »
IV. Les baptisés, des hommes et femmes solidement établis dans le Christ
Nous les chrétiens, sommes des privilégiés. Notre maître nous donne une dignité incomparable et nous appelle à un accomplissement inimaginable pour ceux qui ne connaissent pas Jésus. Par la triple dignité que le baptême nous confère, nous sommes solidement établis pour que Dieu puisse étendre son Royaume et son Salut à travers nous. Nous ne sommes plus propriétaires de nos actions, c’est le Seigneur qui nous en donne l’inspiration et la force de les accomplir. Nous devenons d’authentiques bâtisseurs.
En priant, nous sommes protégés de l’activisme, agitation fébrile et stérile. De plus, la contemplation de Dieu renforce notre volonté de l’annoncer.
En évangélisant, nous sentons que nous devons prier encore plus intensément et nous former davantage, par miséricorde pour nos contemporains.
En vivant et servant dans le monde, toujours à l’écoute de la volonté de Dieu, nous alimentons notre prière pour les hommes, et notre volonté de leur annoncer l’amour de Dieu.
Les trois « tâches » sont comme un trépied qui nous tient debout, fermes dans la foi, revêtus de la force de l’Esprit. Voilà un authentique motif d’action de grâce (la forme de remerciement réservée à Dieu) que nous pouvons ensemble faire monter vers le Seigneur.
- La liturgie est la prière publique de l’Église. Elle inclut la messe (Eucharistie), les offices (Laudes, Vêpres…), la célébration des funérailles, la célébration de certains Sacrements, c’est-à-dire le baptême, la confirmation, le mariage, l’ordination (un homme devient prêtre), et encore d’autres célébrations.
- L’adoration est une forme de vénération qui n’est dûe qu’à Dieu seul. Il s’agit de le vénérer pour lui-même, comme source de tout, comme celui qui est le tout-autre, incréé et créateur, celui qui donne l’être à tout ce qui est. Les saints et les anges peuvent être vénérés. On peut leur demander de prier Dieu pour obtenir des grâces, et les remercier pour leurs prières en notre faveur, mais ils ne sont que des créatures. De ce fait, ils ne peuvent qu’être vénérés, et aucunement adorés, ce serait du polythéisme.
- Le sacerdoce est ce qui est conféré au prêtre. Dans cet article, le baptisé participe au sacerdoce du Christ et revêt donc sa dignité de prêtre. Ne pas confondre avec le prêtre au sens courant.
- « La sainte Tradition et la Sainte Écriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu, confié à l’Église. » (Constitution dogmatique Dei Verbum (1965) du Concile Vatican II). L’Écriture est le nom technique de la Bible. Elle comporte les 73 livres reconnus par l’Église catholique comme révélés par Dieu. La Tradition est constituée de l’immense ensemble des textes écrits par toutes sortes d’auteurs reconnus comme ayant une autorité dans l’Église.
BB
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