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Comme un petit enfant : bébé endormi

L’un des propos de Jésus les plus surprenants, pour ses disciples comme pour nous aujourd’hui, est celui-ci, rapporté dans l’Évangile selon saint Matthieu :

À ce moment les disciples s’approchèrent de Jésus et dirent : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des Cieux ? » Il appela à lui un petit enfant, le plaça au milieu d’eux et dit : « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux. » (Mt 18, 1-4)

Bien sûr, Jésus n’attend pas de ceux qui le suivent qu’ils se comportent d’une manière infantile et cessent d’assumer leurs responsabilités. Non, Jésus nous invite à entrer dans une certaine attitude spirituelle.

J’ai la grâce de pouvoir regarder ma fille grandir, elle a tout juste un an et demi. Ce qui m’a frappée en la voyant vivre depuis ses premiers mois, c’est de constater le naturel avec lequel un bébé accepte sa dépendance et sa vulnérabilité.

Elle reçoit tout de moi et de son père, et pour elle ce n’est aucunement un motif de révolte ou de mépris de soi. Au contraire, cette dépendance est pour elle source de joie, car elle permet d’expérimenter et de faire grandir jour après jour l’intimité d’amour entre nous.

Les premiers temps, sa faiblesse était absolue, elle ne pouvait même pas maintenir sa tête, encore moins se déplacer par elle-même. Pour communiquer, elle était totalement dépendante de notre volonté de prendre le temps d’interpréter le sens de ses pleurs et de ses regards.
Pour autant, sa faiblesse et ses incapacités, innombrables comparées aux nôtres, ne lui donnaient pas la moindre honte, aucun désir de se cacher aux yeux du monde pour éviter que l’on découvre de tels handicaps, aucune velléité de se faire passer pour plus puissante qu’elle ne l’était.

Aujourd’hui, à un an et demi, elle a un peu plus de possibilités pour se mouvoir, agir de son propre chef et communiquer. Elle a donc aussi la possibilité de commencer à faire des bêtises…
Ma fille sait pertinemment quand elle fait quelque chose d’interdit. D’ailleurs quand c’est le cas, quand elle vide son biberon d’eau méticuleusement sur le parquet, qu’elle joue avec mes chaussures (c’est interdit à cause des microbes) ou qu’elle vide un de mes tiroirs, elle devient particulièrement silencieuse et elle sursaute si je la surprends. Selon la gravité de la bêtise et le nombre de récidives, je la gronde plus ou moins fort : parfois elle est furieuse, parfois elle pleure. Mais jamais ces évènements ne coupent notre relation et notre complicité. Il ne lui viendrait jamais à l’idée qu’elle pourrait perdre notre amour à cause de ça, et elle non plus, elle n’a aucune tentation de nous repousser et de nous refuser ses sourires, en tous cas pas plus d’une minute. Pourtant elle ne comprend pas tout, elle ne saisit pas la raison de tous les interdits, mais elle a la certitude de notre amour.
À mes yeux, la relation de notre fille avec mon mari et moi est une métaphore de notre relation avec Dieu.

La sainteté, ce n’est pas d’être capable de faire des choses extraordinaires, ni de se priver de tous les plaisirs, ni de se contraindre à aller soigner les lépreux en Inde si l’on n’en a aucune envie, ni d’être capable de se retenir de faire des bêtises ou de dire des gros mots.

La sainteté prend sa source dans la forme de relation que l’on a avec Dieu, et Dieu nous dit que pour être uni à lui, il faut prendre modèle sur ma fille et sur tous les petits.

Jésus nous invite donc à aimer notre dépendance et notre faiblesse, parce qu’elles sont source de communion avec lui. La dépendance d’un homme envers Dieu est naturelle comme la dépendance d’un bébé envers sa mère. Si nous avons honte de notre faiblesse, honte d’avoir besoin de Dieu, c’est que nous sommes aveuglés sur la réalité de notre condition.

Il est dans la nature même de l’être humain d’être limité, incomplet, d’avoir besoin de l’aide d’autres hommes et de l’aide de Dieu. Notre culture moderne nous pousse à le regretter et à vouloir le cacher — et comme chacun cache si bien sa faiblesse, nous croyons être anormaux en découvrant la nôtre. Mais cette prétention à se suffire et à tout réussir est aussi ridicule que le serait la prétention d’un nourrisson de se nourrir tout seul et de cacher son incapacité à marcher. Et c’est ce refus qui nous coupe des autres et de Dieu.

Dans son encyclique Redemptoris Missio, saint Jean-Paul II nous révèle que « la nature du Royaume est la communion de tous les êtres humains entre eux et avec Dieu. » Le Royaume de Dieu, c’est ce pour quoi nous sommes faits, c’est notre bonheur. Cette communion avec Jésus et avec nos frères, c’est donc le but ultime de notre vie et le plus grand bonheur vers lequel nous pouvons tendre. Nous devons donc choisir entre notre orgueil et notre bonheur. Si notre but est de nous suffire à nous-mêmes, non seulement nous serons toujours et encore humiliés de ne pas y parvenir totalement, mais nous nous éloignons de la communion pour laquelle nous sommes faits.

De même, d’une certaine manière, Jésus nous invite à aimer notre péché. Non, rassurez-vous, je ne vous invite pas à offenser Jésus volontairement ! Le mal est quelque chose de dramatique, aux conséquences incalculables, et quand nous faisons le mal, si nous aimons vraiment Jésus, nous en avons le cœur transpercé. Saint Paul nous dit :

« Où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé : ainsi, de même que le péché a régné dans la mort, de même la grâce régnerait par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur.
Que dire alors ? Qu’il nous faut rester dans le péché pour que la grâce se multiplie ? Certes non ! Si nous sommes morts au péché, comment continuer de vivre en lui ? » (Rm, 5,20b – 6, 2)

Mais Jésus nous dit aussi qu’Il est venu pour les malades et non pas pour les justes. C’est donc souvent pour faire grandir notre communion avec Lui, qu’Il désire encore plus que nous la désirons, que Jésus nous laisse retomber dans le péché, qu’Il ne nous empêche pas de céder à la tentation, alors qu’Il a tout a fait le pouvoir de nous en préserver, si nous le lui demandons. L’attitude d’un petit enfant est alors, tout en regrettant nos fautes, de ne pas nous inquiéter de notre péché. La puissance du péché, c’est nous qui la lui conférons en laissant le mal que nous faisons nous décourager et nous faire hésiter à nous rapprocher de Dieu. Le péché n’est pas un problème pour Dieu : si nous le lui offrons, il n’est plus « qu’une goutte d’eau dans un brasier ardent » (sainte Thérèse de Lisieux).

C’est pourquoi, si le mal que nous faisons, sans cesse et sans cesse, nous pousse à prier toujours plus et à nous confesser très régulièrement — peut-être toujours des mêmes péchés — alors oui, là où le péché se multiplie, la grâce surabonde. De ce mal découle un bien infiniment plus grand. Alors oui, notre péché nous conduit à une intimité chaque fois plus grande avec Jésus, et c’est cette intimité qui, peu à peu, va user en nous la source du péché, et nous en délivrer. Mais ça, c’est l’affaire de Dieu, à nous d’en cultiver le désir.

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