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Notre Dieu est un Dieu qui s’intéresse à tous les aspects de notre vie. De façon bien humaine, nous avons tendance à classer les domaines de notre vie entre ceux qui regardent Dieu et les autres. La vie spirituelle est évidemment du ressort de Dieu. Mes rapports avec les autres le sont peut-être un peu moins, mais nous connaissons l’invitation pressante de l’Ancien Testament, reprise par Jésus : « Aime ton prochain comme toi-même ». En confession, nous allons volontiers évoquer nos péchés contre Dieu et contre le prochain.

Il est cependant un domaine qu’il n’est pas toujours facile de remettre totalement à Dieu : c’est notre vie matérielle, pour faire plus simple notre argent. Alors on se dit volontiers : « Dieu est trop grand pour s’occuper de mes petites histoires d’argent, je ne vais quand même pas le déranger pour ça ! » Cette considération peut en masquer une autre plus subtile et souvent inconsciente, parce que moins valorisante : « La prière et la contemplation, ça, c’est du ressort de Dieu, mais mon or, c’est mon argent ! »

Louis de Funès, ministre dans La folie des grandeurs

Vous aurez sans doute reconnu à la fin de cette phrase une citation du film « La Folie des grandeurs », où le ministre des finances du royaume d’Espagne, Don Salluste, joué par Louis de Funès, vole le roi d’Espagne en prétendant que c’est « Mon argent ».

Dans cette optique, même si nous ne sommes pas des voleurs, considérons-nous que « mon » argent m’appartient absolument en propre, que j’en suis le maître absolu, ou bien que cet argent appartient d’abord à Dieu, comme tout ce qui dépend de moi, intérieurement ou extérieurement, et que j’en ai seulement la gérance ?

Cette deuxième façon de voir n’a rien d’évidente. Si elle était évidente, Jésus ne prendrait pas la peine d’en parler. Or, il dit « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ».

Cela veut dire que l’argent devient notre maître dès lors qu’il n’est plus au service de Dieu. Décider fermement que mon argent est d’abord au service de Dieu, c’est le mettre à sa juste place, celle d’un serviteur, et non celle d’un maître. Croire que je peux être seul maître de mon argent, c’est comme croire que je peux dompter mes tentations par ma seule volonté, c’est une illusion de puissance, c’est de l’orgueil.

Alors que va-t-il se passer dès lors que je remets mon argent, c’est-à-dire l’ensemble de ma vie matérielle à Dieu ?

Je peux être tenté de paniquer : va-t-il me demander de renoncer à mon travail ? à mes loisirs légitimes ? Vais-je devoir accepter une perte de revenu majeure sans broncher ?

Assez logiquement, c’est plutôt une baisse brutale qui nous fait peur plutôt qu’une hausse brutale du type gagner au loto !

Jésus nous dit « N’ayez pas peur ». Il nous est difficile de considérer les conséquences de notre appartenance totale à Dieu, depuis notre baptême. Cette appartenance signifie que toutes les réalités de notre vie doivent être dirigées vers un seul but : laisser Dieu être le tout de notre vie, ce qui nous conduit au bonheur. Lui n’attend que notre accord pour le faire. Donc, si Dieu veut notre sanctification plénière, il va utiliser toute notre vie pour la réaliser, y compris notre argent.

L’argent est une réalité de nos vies. À nous de laisser Dieu en faire un atout pour notre sanctification, sinon l’argent sera un obstacle, une pierre d’achoppement sur notre chemin vers Dieu.

Dieu alors peut agir, et nous pouvons être moins inquiets. Exemple : j’ai 50 ans, j’ai perdu mon travail alors que je suis marié et que j’ai cinq enfants. C’est alors que je vais voir si je réagis à la manière du monde ou si j’accepte de laisser Dieu être le maître de ma vie. Dieu ne me demande pas d’être impassible, stoïque, devant un tel choc. Peu de gens sont capables d’encaisser un tel coup sans broncher, cela n’a rien à voir avec la foi ou la non foi. C’est lorsque je retrouve mes esprits que j’ai le choix de me laisser envahir par le désespoir, ou de dire à Dieu : « Tu es le maître de ma vie matérielle. J’accepte de ne pas comprendre pourquoi je dois subir cette épreuve. J’ai confiance dans le fait qu’à travers toutes mes épreuves, tu me conduis vers toi. »

La difficulté la plus grande est souvent de continuer à avoir confiance alors que nos plus proches sont également affectés. C’est là que la vraie prière peut apparaître : nous sommes enfin VRAIMENT démunis, vraiment dépendant de Dieu. Il n’y a aucune espèce de punition là-dedans, mais une déprise que généralement il ne nous est pas donné de comprendre.

Dieu a loué la foi d’Abraham car il a accepté de sacrifier son fils unique, c’était bien plus que de l’argent.

Mais Seigneur ! Comment peux-tu me faire une chose pareille ? : « Je suis ministre, je ne sais rien faire ! », dit Salluste après sa déchéance). Prie le Seigneur, sois sûr qu’il vise toujours ta sanctification, reste dans la confiance quoi qu’il arrive.

Mais si je suis riche, ou normalement pourvu et que mes richesses augmentent sans arrêt, parce que j’ai un don pour ça ? Est-ce que je suis damné ? C’est le danger inverse de celui qui s’appauvrit. Je peux m’installer dans ma situation, ou laisser la cupidité se développer.

Saint Jacques, dans son Épître, a des paroles très fortes contre les mauvais riches. Je suis tenu de prier le Seigneur pour qu’il m’inspire ce que je dois faire de cet argent : le donner aux œuvres ? Le réinvestir pour mes propres entreprises ou d’autres ? Le confier à une banque ou à un investisseur fiable pour que l’argent fructifie ? Tout cela est neutre moralement, à moi de prier et de décider quel est le meilleur usage de l’argent que Dieu me confie.

En tout cas, rien n’est plus étranger à l’Évangile que de thésauriser, c’est-à-dire laisser l’argent dormir sans qu’il soit utile.

Dans tous les cas, laisser Dieu hors de mes questions d’argent, c’est me comporter exactement comme un non chrétien. Que je sois généreux ou cupide ne change pas le fait que je ne laisse pas Dieu régner sur toute ma vie.

Donc acceptons avec largesse, progressivement, que le Seigneur étende son règne sur cette réalité si ambiguë de notre vie : notre argent.

Laissons Salluste avoir le dernier mot :

Le chambellan : Don Salluste, vous vous retirerez au couvent de San Ignacio, où vous ferez vœux de chasteté… et de pauvreté.

Don Salluste : Oh non ! Pas de pauvreté ! Sire !

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