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Sur un forum catholique, un internaute s’interroge :

Dans ma vie de chrétien il y a, comme en chacun de nous, le poids de mes péchés. Régulièrement, toutes les quinzaines voire toutes les trois semaines, je rencontre un prêtre pour la confession.

J’ai un péché récurrent. Je tombe régulièrement. Je me relève et je retombe.

J’en viens à me décourager, me disant que je n’ai pas assez de foi, assez de force. Et puis, comble d’orgueil, j’en viens à être gêné devant le prêtre. Alors je change parfois de confesseur.

Oui, je sais qu’il y a là nécessité pour moi de poser un vrai acte de confiance et d’humilité. Mais mon propos s’est éloigné de son objet.

Voilà ma question : A revenir sans cesse devant le même péché à toutes les confessions, n’y-a-t-il pas là « facilité » de ma part. En gros, « j’y tombe mais c’est pas grave, je vais être pardonné ».
(Source ici)

Cet argument revient dans la bouche ou sur le clavier de nombreuses personnes qui dénigrent la religion catholique :

En fait c’est ce que je reproche à la religion catholique, on dit 2 pater et 3 ave et on peut continuer dans le péché jusqu’à la prochaine confession. Nous athées, nous vivons avec nos péchés qui nous servent à faire notre mea culpa et de ne plus reproduire les mêmes erreurs parce que nous avons une conscience.
(Source ici)

Et souvent, des catholiques se découragent : « La religion, ce n’est pas pour moi… Je me confesse, je reste sans pécher une dizaine de jours, puis je retombe dans le même péché. Parfois même c’est dès le lendemain. Je ne veux pas retourner sans cesse me confesser, sachant que je vais encore retomber, c’est trop facile ! Si je ne suis pas capable de rester pur, alors je préfère carrément laisser tomber, sinon c’est de l’hypocrisie. »

Est-ce si facile d’accueillir la miséricorde de Dieu encore et encore ?

La confession, ce n’est pas comme restaurer un ordinateur avec ses paramètres d’origine, de manière à ce que tout recommence comme si on n’avait jamais fait de fausse manœuvre.
Ce n’est pas comme brûler un casier judiciaire de manière à pouvoir vivre sans avoir à assumer les conséquences de ses actes, et en sachant qu’on aura encore la possibilité de détruire un nouveau casier autant de fois que nécessaire : bref, une fausse virginité.

Certes, n’importe qui peut aller voir un prêtre dans le but de se blanchir face à Dieu, sans avoir la moindre intention de tenter de s’améliorer, ni de réparer le mal qui a été fait. Peut-être le prêtre prononcera-t-il les paroles de l’absolution — contrairement à Jésus, les prêtres ne lisent pas tous dans les cœurs — mais celui qui lui aura avoué ses péchés dans de telles dispositions ne bénéficiera d’aucun bienfait spirituel : la confession ne sera tout simplement pas valide.

Le code de droit canonique (la loi de l’Église catholique) est clair là-dessus :

Pour bénéficier du remède salutaire du sacrement de pénitence, il faut que le fidèle soit disposé de telle manière que, en réprouvant les péchés qu’il a commis et en ayant le propos de s’amender, il se convertisse à Dieu.
(Canon 987)

Il faut comprendre que la confession ne change pas les dispositions de Dieu vis-à-vis de nous : Dieu nous aime et ne cessera jamais de nous aimer, Dieu ne garde rancune pour rien de ce que nous avons pu faire pour l’offenser. Dieu ne sait qu’aimer, et Il n’est pas lunatique, Il ne changera pas d’humeur comme les divinités grecques.

C’est parce qu’Il nous sait en danger que Dieu nous invite à la confession : c’est nous qui en sommes transformés, pas notre dossier aux Cieux !

La confession est aussi appelée « sacrement de réconciliation » : si un fils quitte ses parents en claquant la porte après avoir volé de l’argent et les avoir insultés sans raison, les parents peuvent garder le même amour pour ce fils, mais ce n’est pas en leur pouvoir de rétablir la relation telle qu’elle était autrefois, quand leur fils les respectait et leur manifestait son affection. Ils peuvent lui faire parvenir, d’une manière ou d’une autre, de petits signes par lesquels il puisse comprendre qu’ils l’aiment toujours et sont prêts à tout lui pardonner. Mais tant que le fils n’aura pas lui-même fait le pas de revenir vers eux et de leur demander sincèrement pardon, tout en leur rendant ce qui lui reste de l’argent volé (que ses parents lui redonneront peut-être, d’ailleurs), la relation ne pourra pas être vivante, la blessure ne pourra pas se refermer, et le fils ne pourra pas être librement lui-même face à ses parents.

Je parle de relation parents-enfant dans cet exemple, car il s’agit de notre relation avec notre Père des Cieux, mais nous pouvons en faire l’expérience dans toutes sortes de relations : que ce soit avec des amis, des collègues de travail, un frère, une sœur, que ce soit un père qui offense son fils : la personne qui a été blessée peut garder dans son cœur un amour intact pour l’autre, mais la relation ne pourra continuer à vivre et à grandir que si celui qui a blessé l’autre le regrette et souhaite changer d’attitude. S’il y a une démarche sincère de demande de pardon, la relation peut même devenir plus forte que jamais.

Alors donc, c’est trop facile de blesser ses parents, et de revenir régulièrement leur demander pardon, en sachant qu’on n’arrivera pas à se retenir d’être à nouveau violent avec eux ?

Le péché nous éloigne de Dieu parce qu’il nous ferme, et non parce que Dieu se ferme. Se confesser, c’est reconnaître devant Dieu notre incapacité à être fidèle, notre faiblesse, et notre désir de changer, d’apprendre à aimer, de devenir plus ressemblant à ce qu’est Dieu.

Si on regrette vraiment le mal qu’on a fait, il est logique aussi de vouloir le réparer autant que possible. On peut parfois rendre ce que l’on a volé, mais certains actes ne peuvent pas être annulés. Les personnes qui se moquent de la confession donnent souvent l’exemple des violeurs ou des pédophiles. Un violeur qui regrette sincèrement son acte a droit lui aussi à se réconcilier avec Dieu à travers la confession, même si c’est un homme qui risque de récidiver malgré ses bonnes intentions. Pourtant, ce qu’il a fait ne pourra jamais être effacé de la vie de ses victimes, et l’absolution qu’il reçoit ne le dispense pas des conséquences de ses actes et de la peine de prison à laquelle il peut être condamné.
Un prêtre peut même refuser l’absolution à un homme qui refuserait de réparer le mal qu’il a fait, de rendre ce qu’il a volé, de se livrer à la police s’il sait être dangereux pour les autres…

Un chrétien qui se confesse de son péché le fait normalement parce qu’il a le désir de retrouver la communion avec Dieu. Ce chrétien est donc conscient que tel ou tel acte qu’il commet est mal. Peut-être ne ressent-il pas de remords d’avoir fait cela, mais la sensation de remords n’est pas quelque chose que nous maîtrisons. Il n’y a pas de culpabilité dans le fait de ne pas ressentir de souffrance pour un acte mauvais que nous voudrions ne pas avoir fait et ne plus faire.
Ce chrétien qui veut s’améliorer parce qu’il désire se rapprocher de Dieu et devenir meilleur, mais qui n’arrive ni à ressentir de la souffrance du mal qu’il a fait, ni à s’empêcher de commettre à nouveau ce péché (par exemple, il recommence toujours à faire des remarques blessantes à sa sœur qui l’agace, et il n’arrive pas non plus à lui demander pardon, ou bien il retombe sans cesse dans des pratiques sexuelles malsaines), va chaque fois présenter à Dieu cette situation lorsqu’il se confesse.
Si cet homme est sincère, à chaque confession il retrouve la pleine communion avec Dieu, et ce contact intime avec Dieu agit sur son cœur.

Peut-être qu’il faudra beaucoup de temps avant que cette transformation du cœur devienne visible, mais si cet homme cherche vraiment à être cohérent, soit il sera libéré de son péché peu à peu, soit peu à peu il aura de plus en plus mal du mal qu’il fait

Alors oui, c’est facile de se réconcilier avec Dieu, car Dieu n’attend que ça, de nous donner son pardon par l’intermédiaire du prêtre. Oui, on peut le faire autant de fois que l’on veut, si on pèche à nouveau chaque jour, on peut se re-confesser tous les jours pour le même péché.

Pour certaines personnes, le « C’est trop facile » est le combat de toute leur vie. Il faut parfois toute une vie pour accepter de croire en l’amour de Dieu qui veut effacer le mal qui nous sépare de lui (sans pour autant en faire disparaître les conséquences — mais Il nous aide à les assumer), et pour accepter d’avoir besoin de cet amour.

Par contre, celui qui accepte ce chemin de « facilité », qui accepte de se reconnaître faible devant un prêtre et devant Dieu, et d’y revenir autant de fois que nécessaire, est bien loin du « J’y tombe mais c’est pas grave, je vais être pardonné » cité au début de ce texte.
Plus un homme est proche de Dieu, moins il s’étonne de pécher, moins il s’en inquiète, mais plus il a mal du mal qu’il fait.

Si nous devenons vraiment proches de Dieu, nous bénéficierons d’une facilité qui ne nous laissera plus jamais tranquille. Plus nous connaîtrons Dieu, plus nous découvrirons son amour, plus nous aurons confiance dans le pardon qu’il nous donne, et plus nous serons bouleversés par tout ce que nous voyons comme obstacles à son amour, que ce soit en nous ou dans les autres. C’est si facile de recevoir le pardon de Jésus, mais ce pardon peut nous bouleverser et nous conduire à être tourmentés par toutes les souffrances de l’humanité. Nous aurons mal de ce qui en nous fait mal aux autres, nous aurons mal au point d’être obligés de nous déranger pour aider les autres, au point de prendre des risques. Nous aurons mal au point de pleurer pour le péché de tous ceux qui ne veulent pas être pardonnés.

Peut-être que cela prendra des années avant que notre cœur puisse s’ouvrir de cette manière, mais si la confession est vécue d’une manière authentique et sincère, rien ne pourra empêcher ce processus d’amour de s’engager. De nombreuses personnes fuient la « facilité » de la confession, est-ce parce qu’ils ont mal compris le vrai sens de cette démarche ? Parce qu’ils manquent de patience et ne supportent pas d’être incapables de vaincre leurs péchés par eux-mêmes ? Mais ne sommes-nous pas nombreux à craindre au fond de nous les conséquences d’un vrai cheminement spirituel qui nous conduirait jusqu’au bout des exigences de l’amour ?

Dans son encyclique Dives in misericordia, Jean-Paul II corrige nos fausses idées sur la miséricorde, celle de Dieu et celle que nous recevons des hommes :

Il nous arrive parfois, en considérant les choses ainsi, de percevoir surtout dans la miséricorde un rapport d’inégalité entre celui qui l’offre et celui qui la reçoit. Et par conséquent, nous sommes prêts à en déduire que la miséricorde offense celui qui en est l’objet, qu’elle offense la dignité de l’homme. La parabole de l’Enfant prodigue montre que la réalité est tout autre. La relation de miséricorde se fonde sur l’expérience commune de ce bien qui est l’homme, sur l’expérience commune de la dignité qui lui est propre. Cette expérience commune fait que l’Enfant prodigue commence à se voir lui-même et à voir ses actions en toute vérité (une telle vision dans la vérité est une authentique humilité) ; et précisément à cause de cela, il devient au contraire pour son père un bien nouveau : le père voit avec tant de clarté le bien qui s’est accompli grâce au rayonnement mystérieux de la vérité et de l’amour, qu’il semble oublier tout le mal que son fils avait commis.
(§ 6)

Venir recevoir la miséricorde de Dieu dans le sacrement de réconciliation, ce n’est pas se rabaisser et renoncer à sa dignité, c’est donner à Dieu l’occasion de nous renouveler pleinement dans notre dignité d’homme.