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Quatre mois après sa renonciation inédite, les feux médiatiques étant maintenant éteints, Benoît XVI ayant rejoint la demeure qu’il a choisie pour les dernières années de son long pèlerinage sur cette terre, il est bon de revenir sur la vie et l’œuvre de cet homme à la destinée exceptionnelle, destinée que lui-même n’aurait jamais imaginée.

Benoît XVI, le pape professeur et théologien

Toute la vie de Joseph Ratzinger, puis de Benoît XVI ne peut se comprendre que dans l’amour de Jésus et le service de la vérité.

I. Le théologien

Né en 1927 dans une famille profondément catholique, il se destine au sacerdoce. Il manifeste très vite des qualités intellectuelles au-dessus de la moyenne. À 30 ans, en 1958, il commence à enseigner à l’université. Il est l’un des plus jeunes théologiens1 d’Allemagne. À 34 ans, il est l’un des consulteurs théologiques du Concile Vatican II (1962-1965), aidant l’archevêque de Cologne à préparer ses interventions.

Pendant 20 ans, il poursuit une intense activité de théologien, aidant l’Église à intégrer l’énorme acquis du Concile et se confrontant à tous les courants de pensée qui déforment sa juste perception, en particulier les thèses marxistes. Il livre de terribles combats intellectuels, depuis le Concile jusque dans les années 1970, se faisant remarquer dans des revues théologiques d’audience mondiale.

II. L’archevêque

À l’âge de 50 ans, en 1977, Paul VI le nomme archevêque de Munich et Freising, ce qui le surprend énormément, car il n’a aucune expérience pastorale. Plus tard, Benoît XVI a expliqué avoir été totalement pris de cours par cette nomination, lui qui s’imaginait travailler comme théologien jusqu’à la fin de ses jours. C’est la première fois qu’il expérimente avec force la dépossession de lui-même, qu’il va vivre encore deux fois dans sa vie. Il décide de prendre une devise épiscopale qui résume toute sa vie : « Coopérateurs de la vérité ».

III. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi

Depuis 1974, Joseph Ratzinger entretenait une correspondance suivie avec le cardinal polonais Karol Wojtyła, remarqué au Concile comme un grand spécialiste de théologie morale. Pendant le premier conclave2 de 1978, ils sympathisent et échangent sur de nombreux sujets.

En 1981, Karol Wojtyła, devenu entre-temps le pape Jean-Paul II, nomme Joseph Ratzinger préfet3 de la Congrégation pour la doctrine de la foi4.

Cette nomination est une nouvelle fois une surprise totale pour l’intéressé. D’un coup, il devient le dirigeant de la plus importante instance de la Curie romaine5 et le collaborateur le plus proche du pape.

C’est donc en tant que théologien le plus éminent de l’Église catholique qu’il reçoit cette charge. Son travail à la tête de cette congrégation est considérable. Si les rares et inévitables condamnations prononcées au cours de son mandat attirent inévitablement l’attention des médias, 99% de son travail consiste à encourager le travail théologique et la formation chrétienne dans le monde entier, spécialement dans les universités.

Pendant 23 ans, non seulement le préfet et le pape se rencontrent au moins une fois par semaine, mais il leur arrive de se rencontrer encore pour toutes sortes de travaux avec d’autres personnes. Ainsi, ils préparent ensemble des textes majeurs, comme le Catéchisme de l’Église Catholique (1992), ou l’encyclique de théologie morale Veritatis Splendor (la Splendeur de la Vérité – 1993).

En 1988, c’est lui qui tente tout ce qui est humainement possible pour éviter le schisme avec Mgr Lefebvre. Il lui tend la main et continue le dialogue après le schisme. Ce schisme restera comme une brisure, qu’il n’aura de cesse de résorber, comme préfet et comme pape.

Dès 1995, il est l’un des premiers à percevoir la gravité des abus sexuels sur mineurs par certains prêtres, et sa sûreté de jugement l’amène à préconiser des enquêtes. Ses demandes ne seront malheureusement pas suivies d’effets sur le moment. On n’en reconnaîtra le bien fondé que 10 ans plus tard.

Son activité se porte sur d’innombrables sujets : la liturgie, la catéchèse, la théologie de la libération6, la bioéthique, les apparitions, l’affirmation sereine de l’Église catholique comme unique dépositaire intégral de la Révélation divine, l’œcuménisme…

IV. Le pape

En 2005, à la mort de Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger est l’une des figures proéminentes du collège des cardinaux7, d’autant plus qu’il en est le doyen8, et qu’à ce titre, il préside les funérailles de Jean-Paul II ainsi que toutes les autres cérémonies.

Pendant la dernière messe avant le conclave, il dénonce la « dictature du relativisme », une expression forte qui résume le combat de toute sa vie.

À l’âge de 78 ans, c’est Joseph Ratzinger qui est chargé de succéder à l’immense figure de Jean-Paul II, l’un des plus grands papes de l’histoire.

Pour la troisième fois de sa vie, Joseph Ratzinger doit accepter le choix de Dieu sur lui à l’encontre de sa volonté propre. Parfaitement conscient de la lourdeur de la charge qui lui est confiée, il choisit le nom de Benoît XVI, en hommage au pape Benoît XV, le pape de la Première guerre mondiale, artisan de paix.

Benoît XVI continue de mettre son immense intelligence, sa simplicité, sa douceur, sa délicatesse au service de toute l’Église. Au lieu de le faire en toute discrétion comme préfet d’une congrégation, il se retrouve instantanément sous les feux de la rampe après un pontificat hors du commun.

Sa nouvelle charge est en continuité avec la précédente : Benoît XVI enseigne, forme, annonce, redresse… c’est toujours un professeur, mais le professeur de toute l’Église catholique et même au-delà.

C’est un pape du dialogue. Il reprend infatigablement la tâche de la réconciliation avec ceux qui ont suivi Mgr Lefebvre dans le schisme. À la fin de son pontificat, le miracle semble à portée de main, les concessions proposées par Benoît XVI vont bien au-delà de tout ce qui avait été proposé jusque-là, suscitant même des craintes parmi ses collaborateurs. Mais une fois de plus, l’autre main se ferme, sans que l’on connaisse le jour où un autre pape sera prêt à aller aussi loin. Par le texte Summorum Pontificum de 2007, il permet la célébration de la messe dans « l’ancien rite » par tous les prêtres sur simple demande des fidèles, apaisant ainsi une « guerre » liturgique qui remontait aux années du Concile.

Plusieurs groupes chrétiens, anglicans et autres, rejoignent l’Église catholique sous le pontificat de Benoît XVI, qui les accueille à bras ouverts. Il crée pour eux les structures adéquates. Il qualifie de « don précieux » les traditions reçues des groupes venant de la Communion anglicane.

Ses voyages sont moins fréquents que ceux de Jean-Paul II, mais il est toujours très bien reçu, encourageant les nations et continents à accueillir le Christ.

La question des abus sur mineurs est reprise avec une vigueur extrême, qui étonne certains catholiques peu habitués à voir cet homme si pondéré utiliser des termes si forts. Dans la Lettre aux catholiques d’Irlande, Benoît XVI écrit aux prêtres auteurs d’abus : « Vous avez trahi la confiance placée en vous. » Il reconnaît pleinement la responsabilité des évêques et prêtres. Il rencontre des victimes. Il refuse toute forme de tolérance pour les coupables. Il veut une pleine coopération avec les autorités civiles et l’application de toutes les peines canoniques prévues en la matière. Pour que les affaires d’abus soient traitées avec la plus grande justesse, Benoît XVI les retire complètement de la charge des évêques, ceux-ci doivent les faire remonter à la Congrégation pour la doctrine de la foi à l’instant même où ils en ont connaissance.

En 2008, Benoît XVI est à Paris, c’est un grand honneur pour la France. Après des années de travaux, le Collège des Bernardins, superbe édifice gothique au cœur de la capitale, reçoit le pape pour un discours tout-à-fait inhabituel, un discours au monde de la culture. Il y développe les racines monastiques de l’Europe, leur contribution unique à la civilisation occidentale. Ce discours est particulièrement bien reçu, tant par les croyants que par les non croyants.

En 2013, comme chacun sait, c’est un homme de 86 ans, non pas malade, mais affaibli, qui prend la décision, encadrée par le texte de Jean-Paul II, Pastor Bonus (1988), de renoncer à sa charge.

Un pontificat humble, souriant et priant

Ce septennat à la tête de l’Église a révélé le visage d’un homme évangélique, « doux et humble de cœur », à tous ceux qui ne le connaissaient pas déjà dans sa charge précédente.

Un jour, dans les années 90, un couple de touristes américains repère un prêtre sur le point d’entrer dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Ils lui demandent de les prendre en photo devant l’entrée, ce que le prêtre fait bien volontiers. Le prêtre et les touristes se quittent en souriant. Peu après, les touristes voient dans les journaux une photo du prêtre qu’ils ont rencontré et sont stupéfaits d’apprendre qu’il s’agit d’un cardinal, le cardinal qui est le plus proche collaborateur du pape Jean-Paul II, un certain Joseph Ratzinger…

Toute son immense intelligence est issue d’une intériorité peu commune, c’est un pape de prière intense et profonde, un pape qui vit la liturgie encore plus qu’il ne la célèbre. Lui-même a dit que l’un des fondements de la vie sacerdotale est la célébration quotidienne « impeccable » de la messe.

Son incroyable discrétion cache un cœur totalement consumé par l’amour de Dieu. La rencontre personnelle avec Jésus est pour lui une nécessité absolue dans la vie du chrétien, et il en est un parfait exemple. Dans ses attitudes affleure cette familiarité avec le Seigneur qui est la marque de ceux qui ont beaucoup reçu de Lui et beaucoup souffert pour Lui, sans jamais refuser de se donner à Lui.

C’est à une très grande action de grâce que nous pouvons nous livrer, une action de grâce pour celui qui a été l’heureux et fidèle continuateur de l’immense œuvre entreprise par le pape Jean-Paul II. Le défi était de taille, Benoît XVI l’a relevé tout en donnant à l’Église ses propres charismes, qualités et talents.

Oui, vraiment, nous rendons grâce à Dieu pour ce « pontificat de la joie », ce pontificat d’un merveilleux « coopérateur de la vérité ».

1. Théologie : c’est l’étude et le discours sur la religion, ici la foi catholique, c’est-à-dire le discours sur Dieu, sur le textes sacrés, sur les dogmes.

2. Le conclave est le moment où les cardinaux de moins de 80 ans se réunissent pour élire un nouveau pape. En 1978, il y eu deux conclaves, car le pape Jean-Paul Ier mourut après 33 jours de pontificat.

3. Le préfet est l’évêque qui dirige un dicastère de la Curie romaine (voir les autres notes ci-dessous)

4. La Congrégation pour la Doctrine de la foi est le dicastère qui s’occupe de tout se qui touche à la doctrine dans l’Église catholique. À ce titre, toutes les autres instances de la Curie romaine doivent faire valider leurs documents par cette congrégation, pour être sûr qu’ils soient conformes à la foi catholique.

5. La Curie romaine est constituée de l’ensemble des services qui aident le pape à remplir sa mission. Dans la société civile, la comparaison la plus proche serait celle d’un gouvernement. Cependant, la Curie n’est pas d’institution divine, contrairement au pape. Celui-ci peut donc la modifier de fond en comble sans avoir de comptes à rendre à personne. La Curie est divisée en dicastères qui sont autant de « ministères ». Il en existe de plusieurs sortes, les plus importants étant les congrégations et les conseils.

6. La théologie de la libération est une théorie apparue en Amérique du Sud au cours des années 1970 et qui consiste à voir dans le Christ un libérateur politique pour les pauvres. Cette théologie s’inspire le plus souvent des thèses marxistes.

7. Le collège des cardinaux est le nom donné à l’ensemble des cardinaux de l’Église catholique. Jean-Paul II a fixé à 120 le nombre maximal de cardinaux électeurs du pape, c’est-à-dire les cardinaux de moins de 80 ans.

8. Le doyen du collège des cardinaux est choisi par certains cardinaux et le pape doit confirmer ce choix. C’est lui qui est chargé de demander à celui qui est élu pape s’il accepte la charge pontificale.

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