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«Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur.»

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Cette citation de Beaumarchais dans « Le Mariage de Figaro » nous invite à réfléchir sur la liberté d’expression. J’écris cet article alors qu’une loi est en préparation en Russie. Cette loi réprimant la liberté d’expression en matière religieuse, j’expose d’abord la question de la critique de la religion, et ensuite celle de la liberté d’expression en général.

I. Les lois anti-blasphème

En Russie, la Douma, chambre basse du Parlement, veut voter une loi dite « anti-blasphème », pour renforcer la répression contre les actes portant atteinte aux « sentiments religieux ».

Quelques données : la liberté d’expression est un droit fondamental, protégé de la manière la plus forte par l’article 19 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948, qui dispose que : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions. » La critique des opinions religieuses fait évidemment partie de cette liberté.

L’article 29 de la même déclaration dispose que les limitations introduites aux libertés doivent être établies par la loi uniquement pour satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général.

La nécessité du maintien de l’ordre public est inscrite dans les lois de tous les pays du monde. Mais ces lois, selon la Déclaration, ne doivent pas uniquement viser les atteintes à l’ordre public qui ont une origine religieuse, elles doivent être de portée générale et être les moins restrictives possibles. En matière de liberté, l’esprit de la Déclaration de 1948 est que la liberté d’expression doit être la règle, et que sa restriction doit être l’exception.

Dans cette optique, les lois anti-blasphème sont en elles-mêmes contraires à la Déclaration de 1948, et donc illégitimes.

De plus, elles enclenchent une dynamique de répression dont on ne peut connaître l’issue.

Il est bon de savoir que la Déclaration de 1948 a été soutenue par le pape Jean-Paul II de manière explicite, comme on le voit dans son message à l’occasion des 40 ans de cette déclaration.

En Russie, le projet de loi, rédigé dans l’urgence après une intrusion brutale d’indésirables pendant un office religieux, vise à renforcer les dispositifs existants pour les troubles à l’ordre public liés à la religion. Mais jusqu’où s’arrêtera la portée de cette loi avec le temps ? Notons l’ironie de la situation quand on connaît l’extrême violence des persécutions anti-religieuses du temps de l’Union soviétique (1922-1991).

La Russie, comme tous les pays du monde, pourrait parfaitement réprimer comme troubles à l’ordre public, sans nouvelle loi, les vociférations dans les Églises, le vandalisme contre les lieux de culte et, a fortiori, le meurtre de responsables religieux. Quel besoin de lois supplémentaires, ouvrant la porte à toutes les dérives ?

Cette future loi anti-blasphème fait hélas penser à d’autres lois du même type, qui, elles, sous couvert de protection, visent à terroriser et à museler les citoyens qui n’appartiennent pas à la religion dominante.

En Inde, des lois anti-blasphème existent dans plusieurs États. Des chrétiens et des musulmans en font les frais. Dans le cas le plus fréquent, des hindous viennent commettre des violences contre les adeptes des autres religions, et les autorités ferment les yeux.

Au Pakistan, la loi anti-blasphème est encore plus radicale : toute parole ou geste, même le plus infime, contre Mahomet est en principe puni de mort. Un exemple : en 2010, un musulman de la minorité ismaélite jette par terre la carte de visite d’un musulman s’appelant Mohammed. Une plainte est déposée par le propriétaire de la carte de visite pour blasphème contre Mahomet : le chrétien risque la peine de mort.

Maintenant revenons en France. Imaginons les propos suivants dans la presse ou sur Internet :

  • un musulman dit : « Le christianisme est fondé sur une imposture et un mensonge : Dieu ne peut pas avoir de fils, et d’ailleurs ‘Issa (Jésus dans le Coran) n’est pas mort sur une croix. »
  • un juif dit : « Dans la sourate 5, verset 33 du Coran, il est écrit “le paiement de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager […], c’est qu’ils soient exécutés, ou crucifiés, ou que leur soit coupée la main et la jambe opposées”.  C’est un verset barbare et ignoble. Pourquoi les musulmans disent-ils qu’il est révélé par Allah comme tout le Coran ? Qu’attendent-ils pour proclamer haut et fort que jamais un tel verset ne pourra être considéré comme révélé ? »
  • un chrétien dit : « Les pratiques juives sont ridicules. D’ailleurs, saint Paul dit que ceux qui sont sous la Loi juive sont esclaves de cette loi. Qu’attendent les juifs pour se débarrasser de ce fatras ? »

Est-ce que les musulmans, les juifs et les chrétiens seraient fondés à porter plainte devant un tribunal pour « atteinte à leurs sentiments religieux » ?

Nous pouvons être choqués ou non de la virulence de ces propos. Serions-nous encore plus choqués si leurs auteurs étaient arrêtés ? jugés coupables ? emprisonnés ? exécutés ?

Alors, jusqu’où sommes-nous prêts à défendre la liberté d’expression ?

II. La liberté d’expression en général

Elle nous apparaît habituellement, nous Occidentaux, comme une chose tout à fait naturelle.

La liberté d’expression et de religion n’apparaît qu’au début du XVIIIème siècle en Europe et en Amérique du Nord. Elle a été vue comme un progrès capital dans l’histoire de l’Occident, un progrès pour la société dans son ensemble et pour chaque personne en particulier. Enfin, il devenait possible à tout un chacun de professer ses convictions et ses critiques sans risquer de sanctions de la part de l’État ou de tout autre groupe. Cette liberté, comme toutes les autres, a fait l’objet de combats innombrables, d’avancées et de reculs continuels.

La limite entre liberté d’expression et protection des personnes est ténue. L’appel à la haine, au meurtre, la calomnie, la diffamation sont généralement réprimés, mais ils ne sont pas toujours faciles à qualifier juridiquement.

La liberté d’expression est souvent restreinte à cause d’événements passés, nous allons le voir plus loin.

Aujourd’hui, si l’on considère tous les pays du monde, la liberté d’expression reste l’exception et sa répression la règle. Le plus souvent, malheur à celui qui exprime une opinion divergente de celle des autorités établies, en matière politique, religieuse, et parfois même historique. La répression peut venir des autorités, mais aussi de personnes ou groupes qui ne tolèrent pas les opinions exprimées.

Voici un petit spectre de la liberté d’expression à notre époque, des régimes les plus répressifs aux plus libres.

A. Aucune liberté d’expression

Les répressions les plus extrêmes sont visibles aujourd’hui dans les deux pays suivants : la Corée du Nord (absolument aucune liberté d’expression) et l’Arabie Saoudite (aucune liberté d’expression religieuse hors islam). Autrefois, sous le IIIème Reich (1933-1945) et sous Staline (1925-1953), la plus infime critique du régime ou du dirigeant pouvait valoir la mort ou des années de camp. L’immense écrivain Alexandre Soljenitsyne a passé 8 ans dans un camp pour avoir exprimé, en 1945, dans une lettre à un ami, une légère ironie envers Staline.

B. Liberté d’expression globalement respectée

En Europe, sauf exceptions, la liberté d’expression est officiellement garantie. Du point de vue médiatique, ce qui sort de l’idéologie standard du moment est peu toléré. L’expression publique « dissidente » est donc souvent limitée à Internet et aux publications spécialisées.

Du point de vue légal, la liberté est la règle, et la restriction l’exception.

Du fait de l’histoire, les propos et écrits qui nient la réalité de l’extermination des Juifs d’Europe (« négationnisme ») sont réprimés pénalement.

Plus récemment, la France s’est illustrée en inventant les « lois mémorielles », les lois qui définissent le point de vue officiel d’un État sur des faits historiques. Ainsi, depuis 1990, avec la loi Gayssot, il est interdit de contester le statut de crime contre l’humanité d’un fait défini comme tel par le tribunal de Nuremberg, le tribunal qui a jugé les crimes du nazisme.

En 2001, par la loi Taubira, la France reconnaît officiellement que la Traite atlantique (le commerce des esclaves entre l’Afrique et l’Amérique) est un crime contre l’humanité.

Ainsi, les historiens sont empêchés de mener librement leurs travaux sur ces questions. De plus, ces lois constituent une porte ouverte à d’autres lois du même type, qui risquent de se multiplier avec le temps, tant il y a de nombreux groupes, s’estimant victimes de l’histoire, qui souhaiteraient obtenir une telle reconnaissance.

C. Liberté d’expression pleinement respectée

Aux États‑Unis, terre fondée par des Européens persécutés en Europe pour leurs convictions religieuses, la liberté d’expression et de religion a une valeur quasi-sacrée. Elle est l’objet du Premier amendement de la Constitution, ratifié en 1791. Y porter atteinte est donc considéré comme un crime contre un droit fondamental des citoyens.

Dans le contexte de la Guerre froide, le communisme a été interdit pendant un temps mais ne l’est plus.

Alors qu’ils seraient férocement réprimés en Europe, des groupes se revendiquant de l’idéologie la plus haïe du monde peuvent s’exprimer publiquement aux États‑Unis. Ainsi, une manifestation néo-nazie a été autorisée par les autorités de Los Angeles en 2012.

La liberté d’expression, définie et mise en application depuis seulement trois siècles, est pour l’instant un privilège qui ne concerne qu’un petit nombre de pays dans le monde.

C’est toujours une mauvaise nouvelle de voir un pays restreindre cette liberté. Comme toutes les libertés, elle est fragile, et chaque être humain a la responsabilité de lutter, selon ses moyens, pour que ses droits fondamentaux, et ceux des autres, soit respecté. La liberté d’expression fait partie des droits les plus précieux de la personne humaine.

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  1. Cat-modératrice

    La liberté d’expression subit

    La liberté d’expression subit des atteintes inquiétantes en France.

    Récemment, le ministre de l’Éducation Nationale français, Vincent Peillon, a annoncé qu’une « Charte de la laïcité » serait affichée dans toutes les écoles. Il a précisé :
    « Chacun est libre de ses opinions. Mais pas de contester un enseignement ou de manquer un cours » au nom notamment de préceptes religieux. (Cf. l’article du Figaro)

    Être libre de ses opinions sans être libre de les exprimer, c’est bien le principe des dictatures !

  2. Filippo-modérateur

    Liberté de conscience bafouée aux Etats-Unis aussi…

    Malheureusement, l’actualité m’oblige à revenir sur l’exemple donné au point C, “liberté d’expression pleinement respectée”.

    Même aux Etats-Unis, il devient impossible de refuser une prestation professionnelle dans le cas où ce qui est demandé ne convient pas à la conscience du professionnel.

    Ainsi, au Nouveau-Mexique, les dirigeants d’une entreprise de photographie qui ont refusé de prendre des images d’une “cérémonie d’engagement” (et même pas d’un mariage) entre homosexuelles se sont vus condamnés en appel à l’unanimité des cinq juges.

    Un juge a même expliqué, dans ses conclusions, que se forcer à participer à un événement qui va contre ses convictions, lorsque c’est dans le cadre professionnel, est « le prix de la citoyenneté ». C’est l’argument totalitaire par excellence : la conscience doit céder devant la loi.

    Cette triste histoire doit trouver son terme lors d’un prochain jugement à la Cour suprême, mais elle prouve que même au “pays de la liberté”, rien n’est jamais acquis.

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