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Le réveil d’une mère

Temps de lecture estimé : 4 min

Témoignage de Séverine Dubois, membre du mouvement Points-Cœur.

Suzana et son fils Arnel

Manille, Philippines, le 12 novembre 2012

« Un, deux, trois, pompez ! Un, deux, trois, pompez… » Il est 4 h 30 du matin et nous nous relayons une fois de plus avec Lisa dans cette salle d’hôpital pour donner au petit Arnel l’oxygène dont il a besoin.

Ate1 Suzana, la maman se repose un peu. La journée fut intense pour elle. Nous sommes arrivées vers midi aux urgences, si inquiètes pour la vie de notre ami. Dans le silence de la nuit, nous regardons, souffrantes, ce corps si chétif. Arnel est sale, mais surtout en malnutrition sévère : âgé de quatre mois, il ne pèse que 1,9 kg. Les médecins lui découvriront en plus une importante pneumonie. Il est dur de voir cette mère de huit enfants qui semble ne plus savoir s’occuper de son dernier-né. Comment a-t-elle pu ne pas se préoccuper de l’état de santé de son fils ? Comment a-t-elle pu rester passive devant le corps presque sans vie de son enfant ? Comment une mère peut-elle en arriver là et oublier les gestes lesplus fondamentaux inhérents à la maternité : nourrir son enfant, le prendre dans ses bras, le laver, lui parler, le soigner, l’aimer… ? Cette question ne me quitte pas…

Douze heures plus tôt

Nous passons après la messe du dimanche célébrer l’anniversaire de Nelson, trois ans. Mais devant l’état de santé alarmant de son plus jeune frère, nous proposons à la maman d’emmener Arnel Jr à la paroisse pour que l’un des prêtres le baptise en urgence.

En chemin vers la paroisse, Ate Suzana, devinant la question qui nous habite, nous le dit avec une profonde humilité : « J’ai trop de problèmes, c’est pour cela que je joue aux cartes. » Mais pendant ce temps, le pauvre petit Arnel baigne dans ses diarrhées et son vomi. Il n’est même plus capable de pleurer. C’est un cri à peine audible qui sort de sa bouche. Je pense à mon neveu du même âge, qui sourit constamment et qui à sa naissance faisait plus du double du poids actuel de notre petit ami. Arnel Jr, lui, a-t-il déjà souri… ?

Compréhension et incompréhension, compassion et révolte s’entremêlent alors, surtout quand toute la communauté se démène pour mendier dans un endroit, puis un autre, les médicaments dont Arnel aura quotidiennement besoin. Cela représente une fortune pour cette famille. Comment payer trois antibiotiques différents, l’oxygène, le salbutamol, pour des factures de plus de 2 000 pesos quand acheter un hamburger de 10 pesos est hors de prix pour la maman ?

Face à cet abîme, il est compréhensible que nos amis baissent les bras. Acheter les médicaments n’est même plus de l’ordre du rêve, ou de l’illusion. Cette possibilité n’est même plus évoquée. Alors il reste la cigarette, l’alcool et le jeu où l’on parie, pour oublier. Ne plus voir l’impossible, ne plus l’espérer. Être seulement capable d’une constatation : mon fils a la diarrhée… Mais ne plus lui laver l’œil quand l’infection qui vient de le toucher le menace de cécité, ne plus le changer, ne plus prendre le temps de le nourrir, ne plus aller à la paroisse chercher le lait promis, ne plus le prendre dans ses bras pour le rassurer…

Et malgré tout, pour la maman, c’est le début d’un réveil. Devant ce baptême improvisé et le souci que nous portons à son enfant, elle commence à sortir de sa torpeur. Les premières larmes coulent sur son visage inquiet quand Father Larry fait couler sur le front de l’enfant l’eau de la renaissance. L’eau de ses larmes n’en sera pas moins sacrement de renaissance pour Ate Suzana. À l’hôpital où son fils est immédiatement pris en charge par deux médecins et trois infirmières, la maman pleurera encore, surtout quand il sera intubé et que commencera le long processus de pompage manuel pour lui permettre de respirer. Puis d’autres larmes encore couleront quand avec les tubes que l’on retire, c’est du sang cette fois-ci qui s’écoulera de la bouche de cet être si faible…

Et puis, peu à peu, devant nos gestes de tendresse pour son bébé, Ate Suzana semble retrouver ceux de sa maternité. Elle le change, elle lui applique des compresses quand la fièvre monte, elle le lave délicatement. Ses yeux se rouvrent, les écailles tombent : elle essaie de gratter délicatement la peau du ventre incrustée de saleté. Et puis, elle ne cesse de demander quand elle va de nouveau pouvoir lui donner le biberon…

Avec le petit Arnel, nous rentrons dans le « rien que pour aujourd’hui » de Sainte Thérèse mais aussi dans le drame de la vie de nos amis. Car c’est au jour le jour qu’il nous faut trouver les médicaments : aujourd’hui, une dame de la paroisse nous met 200 pesos dans la main, en nous disant que nous en auront sûrement besoin ; puis ce sont les Sœurs de Mère Teresa qui apparaissent providentiellement à l’hôpital et qui peuvent nous aider mais le lendemain, elles n’ont pas les médicaments nécessaires ; heureusement un ami médecin donne un peu d’argent, mais le lendemain, il faudra faire les démarches auprès de l’assistante sociale pour ne pas payer les 1 900 pesos des examens de sang…

Le jour suivant, il faudra passer un marché avec le curé de notre paroisse : faire un don de sang pour son amie malade de cancer, et lui nous procurera les 1 500 pesos de la nouvelle prescription. Et demain ? Nous rejoignons donc la grande communion des saints qui mendient au Christ le pain de chaque jour, et partageons la pauvreté de nos amis qui vivent au jour le jour. Invitation à la foi, à la confiance, à la patience et à la persévérance car chaque jour la Providence se manifeste, mais chaque jour ne nous a pas épargnés pour autant les kilomètres en plein soleil et les allers et retours pour trouver le nécessaire. Et finalement, c’est vrai que la plus grande pauvreté est de ne pas avoir d’amis, car si elle a des compagnons pour jouer aux cartes, quand il s’agit de venir la relayer à l’hôpital, il n’y a personne…

Merci à Séverine Dubois pour son autorisation de publier son témoignage et ses photos sur notre blog.

  1. Ate :  nom donné à une femme plus âgée que soi, comme marque de respect, aux Philippines. NDLR

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  1. Cat-modératrice

    Nouvelles d’Arnel : j’ai reçu

    Nouvelles d’Arnel : j’ai reçu la dernière lettre circulaire de Séverine Dubois qui dit :

    Pour ceux qui m’ont demande comment il allait, sachez que le petit Arnel dont je vous parlais dans ma precedente lettre va mieux. Meme s’il est regulierement malade, il grandit ! Nous sommes alles le visiter aujourd’hui et il etait tout sourire.

  2. Evangéline

    Je rends grâce au Seigneur de

    Je rends grâce au Seigneur de soutenir ce petit bébé et d’avoir ouvert les yeux à la maman. Je rends grâce au Seigneur pour le personnel soignant et pour toutes les personnes qui se donnent.

  3. Cat-modératrice

    Nouvelles d’Arnel

    Voici ce que Sévrine écrit dans sa lettre du 6 mai 2013 :

    « Dans sa seconde encyclique, Benoît XVI parlait de la grande Espérance. Nul doute aujourd’hui que

    beaucoup de nos amis incarnent cette espérance. Certains sauront mettre des mots dessus, comme nos amis de Muntinlupa ; d’autres, comme le petit Arnel, n’ont pas encore la faculté de l’exprimer. Ils se contentent de la vivre. Ce petit Arnel, qui a eu un an le 2 mai, a bien changé depuis son séjour à l’hôpital, en septembre. Lui qui a frôlé la mort, est à présent hors de danger… au moins du danger d’alors. Il garde notamment comme séquelles de sa malnutrition une cécité de l’oeil droit. En outre, il commence juste à se tenir assis et peine à garder ses six kg… Un jour où nous visitions sa famille, je le prends dans mes bras. Je le regarde et regarde autour de moi. C’est si sale, si pauvre… Et Arnel est si sale, et si pauvre. Il y a cet oeil qui ne voit plus, il y a ces petites jambes disproportionnées par rapport au reste du corps, il y a ces poumons qui semblent avoir du mal à fonctionner normalement, il y a ces oreilles et ce cou remplis de crasse, il n’a pas de couche, ses fesses sont toutes irritées, et de temps en temps, il continue de régurgiter ce lait qui n’en a que le nom, qu’il vient de prendre dans un biberon moisi… Bref… Autour de lui, certains se droguent, sa mère joue aux cartes, d’autres enfants sont là, aussi sales, aussi seuls… Je regarde Arnel et je me mets à penser : “À quoi bon ? À quoi bon avoir tout fait pour sauver la vie de cet enfant ? Que vaut cette vie ? Quel est l’intérêt de vivre comme ça ? Quel sera le futur de cet enfant ? N’aurait-il pas mieux valu qu’il meurt, tout simplement…” À ce point de mes considérations, Arnel me fixe… et me sourit… Il me sourit d’un vrai sourire. Ce n’est pas un rictus, c’est un sourire, un vrai… Ce sourire a l’effet d’une claque… De quel droit puis-je juger de la valeur de cette vie, de quel droit puis-je, moi, penser qu’une telle vie n’est pas digne, si cet enfant, aussi sale soit-il, aussi pauvre soit-il, aussi délaissé soit-il, est capable de sourire, c’est-à-dire est capable de trouver au coeur même de ces conditions de vie les plus indignes, les plus choquantes, une raison non seulement de vivre, mais de sourire à la vie…? Dieu ne se soucie pas tant de notre futur que du présent, lieu de la rencontre avec Lui. Cette Espérance qui habite le coeur de cet enfant, ne repose évidemment pas sur des calculs savants d’assurance santé et plans épargne-vieillesse… Elle ne repose pas non plus sur un raisonnement intellectuel qui pourrait lui faire envisager que, peut-être, ayant une chance sur 10 000 de sortir de la pauvreté, ça vaut le coup de tenter sa chance… Luigi Giussani disait que la première réaction d’un homme qui sortirait à l’âge adulte du ventre de sa mère serait l’émerveillement devant le monde. Peut-être est-ce juste cela, la grande Espérance du petit Arnel. Il est. La présence des autres lui montre qu’il est. Cela lui suffit. La vie porte en elle-même la consistance de l’Espérance. Et à Arnel, cela lui suffit. »

  4. Evangéline

    (sans sujet)

    smiley

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