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La violence de Duan : un cri de soif d’amour

Temps de lecture estimé : 4 min 30

Points-Cœur est une association fondée en 1990 par le Père Thierry de Roucy, qui envoie de jeunes bénévoles vivre pour un ou deux ans dans des bidonvilles et des quartiers pauvres du monde entier. C’est une association catholique, et la prière prend une grande place dans la vie des équipes. Il y a aussi des jeunes qui décident de se consacrer à vie dans cette œuvre, au service de Dieu et des plus souffrants.

Dans le bidonville de Khlong Toey à Bangkok

La spécificité de cette mission est que la souffrance que Points-Cœur d’abord soulager est la souffrance morale, et surtout la solitude. Le style de vie est très simple, les bénévoles vivent par petites équipes de quatre ou cinq, ils adoptent les coutumes du pays, ils prennent le temps d’apprendre la langue et de bien connaître les gens de leur quartier. Ils cherchent d’abord l’amitié et la confiance, mais en tant qu’amis, ils souhaitent aussi bien sûr que les conditions de vie de leurs amis s’améliorent. Mais ils ne donnent aucune aide matérielle directe, d’autant plus qu’il serait très difficile d’aider matériellement tout un bidonville. Alors ils apportent une aide toute simple : accompagner les gens dans leurs démarches, les aider à se renseigner, les conduire à l’hôpital, insister auprès des services sociaux, ou bien des petits services, comme couper les ongles d’une vieille grand-mère, repasser l’uniforme de petites filles qui, sinon, se feraient battre à l’école, mettre un pansement sur un petit bobo…

Un jour de 1997, alors que je vivais au Point-Cœur de Bangkok, nous avons vu apparaître une jeune femme de 25 ans environ, du nom de Duan. Duan était très fortement perturbée psychologiquement. Elle avait subi beaucoup de violence, elle-même était très violente et son apparence physique était assez désagréable. Tout le monde la rejetait et la méprisait. Elle servait sa sœur et son beau-frère, qui la traitaient très durement.

Dès la première rencontre, elle a été tellement bouleversée par notre amitié, qu’elle ne voulait plus nous quitter. Souvent, elle dormait même dans la rue devant notre maison.

Mais son amitié n’était pas facile à vivre, elle faisait souvent des crises de violence et elle était très jalouse des enfants qui venaient chez nous. Parfois elle battait les enfants, et parfois aussi elle essayait de faire pression sur nous en se coupant elle-même avec des morceaux de verre. Les enfants étaient encore plus impressionnés quand ils la voyaient se couper elle-même que lorsqu’elle les frappait, et certains suivaient ensuite son exemple…

Parfois nous nous demandions s’il ne valait pas mieux pour les enfants lui interdire de venir nous voir, mais notre mission à Point-Cœur est bien d’être auprès des plus souffrants parmi les plus souffrants, et des plus abandonnés parmi les plus abandonnés, et la plus souffrante de tous c’était bien Duan, même si elle nous faisait souffrir aussi.

La seule solution que nous avions pour l’aider à progresser, c’était, lorsqu’elle se coupait ou qu’elle était méchante avec les enfants, de lui interdire la maison pour la journée, tout en l’accueillant avec amitié le lendemain.

Un jour cependant, elle avait fait une bêtise assez grave : elle avait volé le vélo d’une enfant que nous connaissions bien, et qui allait se faire battre très fort par sa mère à la maison à cause de cela. Nous avons expliqué à Duan que c’était grave, et que nous lui interdisions de venir pendant une semaine.

Duan a d’abord accepté la punition. Mais elle restait devant chez nous, et en voyant une adolescente qui venait aussi chaque jour chez nous, elle a été pleine de fureur et de jalousie, elle est entrée et a mordu l’oreille de l’adolescente, qui en a gardé la marque pendant une semaine !

J’étais seule à la maison, et j’étais très en colère. J’ai dit à Duan « Va-t’en !», mais je savais très bien que je l’aimais toujours. Pour moi c’était comme d’être en colère et de gronder son propre enfant, ça ne m’empêchait pas de ressentir beaucoup d’amour pour elle.

Mais en entendant ça, Duan est devenue folle de rage. Elle m’a frappée (mais sans chercher à me faire mal), et a commencé à verser le contenu des égouts dans la maison, à jeter des pierres et des bouteilles de verre dans la maison…

Je me demandais si j’allais devoir appeler la police, mais cette idée me faisait très mal. Duan s’est enfermée dans la maison voisine où il n’y avait  personne. Je suis entrée, pas très rassurée, et elle était enfermée dans la salle de bains.

Tout d’un coup, j’ai pensé que je n’avais pas dit à Duan que je l’aimais toujours. C’était évident pour moi, mais elle, qui n’avait jamais été aimée, pensait que notre amour pour elle était fini…

Alors je lui ai dit que je l’aimais et que je voulais discuter calmement avec elle. Elle s’est tout de suite calmée et est venue me voir. Je lui ai expliquée que les autres bénévoles et moi l’aimions beaucoup, mais qu’elle avait fait quelque chose de grave, et qu’on devait la punir. Je lui ai demandé si elle comprenait que c’était grave et si elle acceptait la punition. Elle comprenait et elle acceptait. Alors je lui ai demandé de nettoyer notre maison, ce qu’elle a fait. Puis nous l’avons exclue pour une semaine.

Mais c’était très difficile pour Duan de supporter cette punition. Elle restait sans cesse devant notre maison, et parfois elle avait des pierres à la main qu’elle avait envie de nous jeter… Tous les matins, je commençais la journée en parlant 20 minutes avec elle. Chaque matin, je lui demandais si elle se souvenait pourquoi elle était punie, si elle comprenait que c’était mal, si elle acceptait la punition. Et chaque matin je lui disais que nous l’aimions toujours, et qu’elle pourrait revenir dans 6, 5, 4, 3, 2 puis un jour…

Ainsi elle a accepté notre punition. Cette amitié a duré pendant 2 ans. En apprenant à croire en cette amitié, parfois elle se calmait un peu, parfois elle avait de nouveau des crises de violence… Au bout de deux ans, elle s’est sentie capable d’entrer dans un centre où elle pourrait être soignée et aidée. Sans ces deux ans d’amitié, elle n’aurait jamais pu supporter de vivre en collectivité, elle était trop violente et n’avait confiance en personne. Malheureusement, nous n’avons plus jamais eu de nouvelles, car les responsables du centre ont pensé que c’était mieux pour elle de rompre tout contact avec nous pour recommencer une nouvelle vie.

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  1. Evangéline

    Les conditions de vie sont

    Les conditions de vie sont tristes, mais quel beau témoignage. Merci.

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