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Bijoutier niçois : où la légitime défense s’arrête-t-elle ?

Temps de lecture estimé : 7 min 30

Affiche du film « Légitime défense ». Sous-titre du film : « La violence est parfois la seule réponse. »
La violence est-elle parfois la seule réponse ?

Mercredi 11 septembre 2013 au matin, après une attaque armée contre son magasin, un bijoutier de Nice fait feu en direction de ses agresseurs, et l’un d’eux décède de ses blessures.
Depuis une semaine, l’agitation visible sur Internet et dans les médias est de plus en plus forte, en particulier sur Facebook.
Manifestement, l’intérêt très vif porté à cette affaire tient à plusieurs facteurs. J’en retiens deux. D’une part, l’exaspération générale envers l’explosion de la délinquance en France, et d’autre part l’atténuation progressive des peines prononcées contre les délinquants. Ces deux tendances lourdes trouvent leur origine dans les années 60 et n’ont pas été renversées depuis.

Le point central dans cette affaire est d’établir la qualification morale et juridique de l’acte accompli par le bijoutier lorsqu’il a fait feu sur ses agresseurs.
Il est extrêmement important de porter un regard dépassionné sur cette affaire. En effet, les esprits sont tellement agités que chacun voit midi à sa porte : le bijoutier est tantôt un héros, tantôt un salaud ; l’agresseur est tantôt un pauvre jeune, victime de la société, tantôt une racaille qui n’a eu que ce qu’il méritait. Tout cela n’obéit à aucune rationalité, et la plupart des jugements visibles sur Internet sont empreints d’une subjectivité quasi-totale.

D’abord les faits décrits chronologiquement :

  • Le bijoutier est agressé à coups de poings et de pieds, et menacé avec une arme à feu
  • Les agresseurs prennent les bijoux et s’enfuient en scooter
  • Le bijoutier prend son arme et sort du magasin
  • Le bijoutier prend le temps de viser et fait feu à trois reprises
  • Un des agresseurs, touché au dos, meurt peu de temps après

Le bijoutier ayant répondu à une violence exercée contre lui, la question de la reconnaissance de la légitime défense se pose. L’acte du bijoutier doit-il être qualifié d’acte commis en état de légitime défense, ou d’homicide ?

I. Moralité de l’acte

Le magistère de l’Église catholique s’exprime surtout sur la légitime défense dans le cadre de la protection de la vie humaine. Voici la principale référence en la matière :
Catéchisme de l’Église Catholique (1992), n°2263-2265 : « La défense légitime des personnes et des sociétés n’est pas une exception à l’interdit du meurtre de l’innocent que constitue l’homicide volontaire. ” L’action de se défendre peut entraîner un double effet : l’un est la conservation de sa propre vie, l’autre la mort de l’agresseur … L’un seulement est voulu ; l’autre ne l’est pas ” (S. Thomas d’Aquin., somme. théologique. 2-2, 64, 7).
L’amour envers soi-même demeure un principe fondamental de la moralité. Il est donc légitime de faire respecter son propre droit à la vie. Qui défend sa vie n’est pas coupable d’homicide même s’il est contraint de porter à son agresseur un coup mortel. Si pour se défendre on exerce une violence plus grande qu’il ne faut, ce sera illicite. Mais si l’on repousse la violence de façon mesurée, ce sera licite. »

Les conditions de la légitime défense telles qu’énoncées ici sont donc :

  • une menace directe et immédiate contre sa vie ou celle d’autrui
  • le respect du principe de proportionnalité

Il faut reconnaître en toute impartialité qu’en aucune manière la vie du bijoutier n’était menacée lorsqu’il a fait feu. Il n’avait plus besoin de se protéger. Les agresseurs étant déjà partis, plus rien ne l’autorisait moralement à commettre un acte ayant de fortes probabilités de tuer un être humain.

II. Légalité de l’acte

Du point de vue légal, c’est le Code pénal français qui est applicable, dans ses articles 122-5 et 122-7. Pour résumer, il existe selon ce Code quatre conditions à la légitime défense :

  • seule une violence directe contre des biens ou des personnes peut justifier le recours à une violence de la part de celui qui est agressé
  • aucun agent de la force publique n’est en mesure d’intervenir pour faire cesser la violence en cours
  • la violence exercée en réponse à l’agression doit être proportionnée à la violence exercée par l’agresseur
  • la riposte doit avoir lieu au moment de l’agression et non après

Dans le cas du bijoutier de Nice, la concordance avec la loi s’établit ainsi :

  • le bijoutier a répondu à une violence directe par une autre violence. La première condition de la légitime défense est établie.
  • il n’est fait état de la présence d’aucun policier ou autre agent de la force public. La deuxième condition de la légitime défense est établie.
  • la proportionnalité de la riposte. Les agresseurs ont menacé le bijoutier avec un fusil. Il a répondu avec un pistolet. La troisième condition de la légitime défense est établie.
  • le caractère simultané de la riposte. Ici, cette condition n’est pas remplie. Les agresseurs étaient déjà en fuite lorsque le bijoutier a pris son arme, est sortie de sa boutique, a visé et a fait feu. C’est cette condition qui n’est pas remplie.

Au regard du droit français, une des quatre conditions nécessaires à la reconnaissance de la légitime défense est donc manquante.
Au regard de la loi naturelle énoncée par le Magistère de l’Église, la légitime défense ne peut pas non plus être reconnue.
Dans les deux cas, c’est la même condition qui est en cause : on ne peut porter atteinte à une vie humaine, sauf pour défendre la sienne ou celle d’autrui, et ce au moment de l’agression.

Un exemple parlant de riposte au moment de l’agression. En 2009, un homme cagoulé et armé surgit au domicile d’une famille, et asperge d’essence le couple et leur fils. Le père de famille réagit, immobilise l’agresseur et en faisant ce geste le tue. Même si le père a d’abord été mis en examen, il a ensuite été relâché car le Procureur a privilégié l’hypothèse de la légitime défense. Puis un non-lieu a été prononcé. Par parenthèse, retenons que la garde à vue du père fut une grande injustice, tant la légitime défense était absolument évidente pour toute personne ayant un minimum de sens commun. Cette affaire a contribué à l’exaspération et au sentiment d’injustice déjà très présents en France.

III. Questions

Une fois ces éléments retenus, que peut-on dire à propos de l’affaire du bijoutier de Nice ? Plusieurs points doivent être examinés.
Du côté de l’agresseur principal tué en s’enfuyant, il avait déjà été condamné à quatorze reprises. On peut à bon droit s’interroger sur l’efficacité de la justice française, qui laisse en liberté un multirécidiviste, de surcroît condamné treize fois par des tribunaux pour mineurs.

Du côté du bijoutier, il faut se poser des questions sur ce qui a pu le pousser à ouvrir le feu sur des agresseurs déjà en fuite. Voulait-il ne pas laisser ses agresseurs avoir le dernier mot ? Estimait-il qu’ayant déjà subi une attaque auparavant, et venant de subir une violence physique, cela lui donnait le droit de riposter avec une violence supérieure ?
Il est difficile de dire qu’il a perdu le contrôle de ses actes. En effet, il avait acheté son arme sans autorisation. Il avait appris à s’en servir. Il est allé la chercher derrière son comptoir après le départ des agresseurs. Il est sorti du magasin, a visé posément et a fait feu à trois reprises.

Si dans le magasin, le bijoutier avait réussi à prendre le pistolet et à tirer sur les agresseurs, on aurait pu parler de légitime défense.
Si, hors du magasin, le malfaiteur avait pointé son arme vers le bijoutier et que celui-ci avait tiré le premier, il y aurait eu légitime défense.
Dans les deux cas, c’était la vie du bijoutier contre celle des agresseurs, mais plus dans le cas des tirs pendant la fuite.

Remarques conclusives
Même si de nombreuses personnes soutiennent qu’il y a eu légitime défense en fonction de leur propre conception de cette notion, une analyse dépassionnée montre que ce n’est pas le cas, tant au regard de la loi écrite que de la loi morale.
Devant la montée de la violence en France, il est probablement plus pertinent de parler d’autodéfense. Dans la mesure où les citoyens ne se sentent plus protégés par les forces de l’ordre et par la justice, certains se mettent volontairement dans l’illégalité en achetant des armes et en les utilisant sans se soucier de respecter strictement les conditions de la légitime défense.
Cette manière de procéder fait penser à la constitution de milices, déjà évoquée dans plusieurs quartiers où la violence s’est établie depuis longtemps.

Souhaitons que des choix politiques courageux soient faits pour que, la population se sentant davantage en sécurité, nous évitions que des personnes en viennent à se faire justice elles-mêmes, et ainsi à sombrer avec leurs agresseurs dans une spirale de violence, qui fait plus penser à la barbarie et à la loi de la jungle, qu’à une société parvenue à un haut stade de civilisation.

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    Ceux qui atténuent la

    Ceux qui atténuent la responsabilité du braqueur et la gravité de son acte ont tort, et contribuent paradoxalement à la violence défensive des personnes comme ce bijoutier.

    Cependant, on ne peut pas accepter que l’on réponde au vol par l’homicide. C’est ce genre de riposte que la loi du Talion (“Œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie”), dans l’Ancien Testament, voulait éviter.

    Et Jésus nous a enseigné à aimer nos ennemis au lieu de pratiquer la loi du Talion.

    On peut vouloir se mettre à la place du bijoutier et comprendre sa colère, mais c’est un contre-témoignage de la part des chrétiens que d’approuver son acte.

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